Intervention de Adeline Hazan

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Monsieur le député Peu, je suis d'accord avec vos propos sur l'effondrement des dispositifs en extra-hospitalier. La situation dont souffre particulièrement la Seine-Saint-Denis est globalement la même partout.

Depuis 30 ans, le nombre de lits d'hospitalisation a diminué des deux tiers sans qu'on ait mis en face l'équivalent en moyens pour développer l'extra-hospitalier. Ainsi, quelqu'un souffrant de troubles ne pourra pas obtenir de rendez-vous dans un centre médico‑psychologique (CMP) avant six mois. Or, tous les psychiatres nous le disent, de tels délais conduisent à une hospitalisation voire à une hospitalisation sous contrainte car, pendant ce laps de temps, les troubles vont s'aggraver. Il existe donc un lien de causalité important entre l'insuffisance des moyens extra-hospitaliers et la hausse du nombre d'hospitalisations sans consentement.

Ces malades passent souvent d'abord par les urgences générales d'un hôpital. À Saint-Étienne – et cela nous a amenés à faire des recommandations en urgence – certains patients ont passé huit jours aux urgences, attachés sur un brancard, sans pouvoir aller aux toilettes, ni boire ni manger. Voilà comment les choses se passent dans notre pays, dans certains lieux !

Quand nous visitons un établissement nous examinons également l'organisation en extra-hospitalier. La situation est toujours corrélée : les hospitalisations sans consentement sont moins nombreuses lorsque l'extra-hospitalier est assez développé. À cet égard, les inégalités sont criantes sur le territoire et je ne doute pas que la Seine-Saint-Denis soit particulièrement concernée. Le plan santé annoncé à l'été 2018 établissait d'ailleurs ce constat mais ne prévoyait pas de moyens suffisants pour l'extra-hospitalier.

Dans certains pays européens, notamment en Italie, l'hospitalisation forcée n'existe pas. Les structures extra-hospitalières y sont en revanche extrêmement développées. Ainsi, il n'y a plus d'hôpitaux psychiatriques à Trieste depuis quarante ans – des hospitalisations de deux ou trois jours peuvent intervenir en pleine crise. Les gens sont soignés en extra-hospitalier dans une optique d'insertion sociale. On ne soigne pas seulement le trouble mental : on soigne aussi la place de la personne dans la société, car, souvent, les choses sont liées. Je vous invite à vous reporter au rapport Psychiatrie et soins sans consentement - Les droits fondamentaux à l'épreuve des soins sans consentement.

La représentation nationale s'est saisie de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé pour y inclure un article sur l'isolement et la contention. C'est un progrès, certes insuffisant comme le Conseil constitutionnel vient de le dire, mais c'est aussi le signal qu'il n'y aura pas, avant la nuit des temps, de véritable loi sur la santé mentale et la psychiatrie. Or, un tel texte est nécessaire. Il permettrait de prioriser l'extra-hospitalier et donc de parvenir à une diminution du nombre d'hospitalisations.

Concernant la lutte contre la récidive et les mesures alternatives à l'incarcération, nous sommes très loin derrière tous les pays du nord de l'Europe, que ce soit le Danemark, la Suède ou la Norvège.

Il faudrait, et cela me tient beaucoup à cœur, faire comprendre à nos concitoyens qu'une condamnation à une peine alternative, comme le port d'un bracelet électronique, n'est pas une relaxe. Porter un bracelet électronique pendant six mois, ce n'est pas rien ! Ce n'est pas facile à vivre ; cela figurera sur le casier du condamné et l'empêchera de faire un certain nombre de choses.

Monsieur le député Terlier, vous n'êtes pas d'accord avec ma sévérité. J'ai cependant visité tous les CEF. Heureusement, certains fonctionnement mieux que d'autres, mais les dysfonctionnements sont majoritaires. Ces établissements proposent peu d'activités, pas de projets éducatifs et on y trouve des équipes en crise permanente. Parfois, elles passent autant de temps à essayer de gérer leurs crises qu'à s'occuper des jeunes. En outre, comme ces CEF ne sont pas attractifs, ce sont souvent des sortants d'école qui en prennent la tête avec l'envie de les quitter rapidement. Bref, le bilan n'est vraiment pas bon.

Sur les CRA, vous avez cité Toulouse et le bon accueil des familles qui y est fait tout en précisant que ce centre était très vétuste. D'une manière générale, les gens sont entassés, les conditions d'hébergement ne sont pas satisfaisantes. On n'a pas le droit de laisser pendant trois mois des personnes sans activité. Ce qui était tolérable pendant quelques jours ne l'est plus depuis que la période de rétention a été allongée. Elles se retrouvent à errer ou sont massées devant l'unique téléviseur du centre. Ces conditions ne sont pas dignes.

Concernant les établissements pour mineurs (EPM), le constat est toujours d'actualité : la situation est insatisfaisante. On y retrouve jusqu'à 50 % de mineurs non accompagnés dont on ne sait quoi faire. Ils vont sortir sans préparation et sans possibilité de bénéficier d'un placement de l'aide sociale à l'enfance.

Madame Pau-Langevin, concernant la rétention des enfants, je rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à ce sujet pour la première fois en 2012, puis cinq fois en 2016. En Europe, je crois que certains pays ne pratiquent pas l'enfermement des enfants.

En tout cas, l'assignation à résidence est une alternative à l'enfermement. Personne ne dit qu'il faut interdire l'expulsion et la reconduite à la frontière de familles avec enfants quand cela est nécessaire. Il ne s'agit pas de créer un appel d'air. En revanche, dès lors qu'il y a des enfants, il faut remplacer le placement en centre de rétention par une assignation à résidence.

Monsieur le député Poulliat, je prends acte de cette nouvelle grille sur la radicalisation dont vous a parlé la garde des Sceaux. J'espère qu'elle sera rapidement utilisée car ce sujet est un serpent de mer. Cela fait cinq ans qu'il en est question. En fonction des décisions politiques qui seront prises, de plus en plus de femmes seront en effet incarcées. Les mesures envisagées en matière de lutte contre la radicalisation devront donc les concerner.

Monsieur le député Di Filippo, quel que soit le motif de la condamnation, les détenus doivent être accompagnés. À cet égard, la loi de 2016 n'était pas bonne. Les détenus qu'elle visait sortiront un jour et ils ne doivent pas être exclus des politiques d'aménagement de peine. Plus on les stigmatise, avec des mesures extrêmement sévères, moins on les prépare à la sortie et plus on met la société en danger.

Concernant le retour en France des djihadistes, lorsque le Gouvernement souhaitait le favoriser, il y a deux ans, l'administration pénitentiaire avait fait savoir que les établissements étaient prêts. Depuis, la ligne gouvernementale a changé, mais je pense qu'ils le sont encore.

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