Intervention de Alice Thourot

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlice Thourot, rapporteure :

Avant d'aborder la discussion de ce quatrième projet de loi en réponse à l'épidémie de covid-19, gardons en mémoire l'état des lieux sanitaire dressé hier soir par le ministre de la santé, que le conseil scientifique a qualifié de préoccupant. Durant la seule semaine du 7 au 13 septembre, le nombre de patients hospitalisés et le nombre d'admissions en réanimation ont augmenté de 50 %. Le chiffre des décès liés au covid-19 a quant à lui doublé : 265 personnes ont succombé en une seule semaine. Dans le même temps, je souhaite renouveler l'expression de la profonde reconnaissance de la nation au personnel soignant qui fait preuve d'un dévouement sans faille malgré l'inévitable fatigue et la légitime appréhension des prochains mois. Pour eux, pour tous nos concitoyens, nous devons agir en responsabilité. Je voudrais d'ailleurs remercier tous les Français pour les efforts consentis. C'est pour cela que nous ne pouvons pas laisser le pays désarmé au 1er novembre prochain. Nous ne pouvons pas non plus attendre que la situation se dégrade au point de justifier un nouveau recours aux mesures les plus drastiques auxquelles nous avons dû nous résoudre au printemps. En clair, nous devons absolument éviter un reconfinement.

Le 11 juillet dernier, l'état d'urgence sanitaire a laissé place au régime transitoire institué par la loi du 9 juillet 2020. Celui-ci a fait ses preuves durant l'été. Les dispositions nécessaires à la lutte contre l'épidémie ont accompagné les vacances estivales, la rentrée scolaire et la reprise de l'activité économique. Elles ont permis au Premier ministre de prendre des décisions concernant les déplacements, les établissements recevant du public et les rassemblements, ainsi qu'aux préfets de les décliner localement au plus proche du terrain.

Certes, la vie a repris, mais ce n'est pas la vie normale. Je suis la première à le regretter : ce n'est pas la vie d'avant. Il est désagréable de porter un masque, surtout toute la journée, sur son lieu de travail ou dans les transports, il est déchirant de voir des lieux de danse et de fête fermés, douloureux de ne pas profiter pleinement de ses proches, notamment lorsqu'il s'agit de nos aînés ou des plus fragiles.

Les mesures prises dans le cadre du régime transitoire sont pourtant nécessaires au regard de la situation sanitaire. Il est important de noter que le projet de loi ne modifie pas cette organisation et qu'il préserve les équilibres trouvés lors de la discussion de la loi du 9 juillet dernier ; c'est la preuve d'ailleurs que nous avions réussi à bâtir un régime adapté aux circonstances. Il a permis, tout au long de l'été et en cette rentrée scolaire, de prendre des décisions rapides et territorialisées pour faire face à l'accélération de la circulation du virus dans certains départements.

L'article 1er du projet de loi proroge, jusqu'au 1er avril prochain, le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire dont l'échéance avait alors été fixée au 30 octobre. Ce dispositif aura désormais vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire puisque l'état d'urgence sanitaire ne sera pas reconduit à Mayotte et en Guyane dans la mesure où l'épidémie y régresse sensiblement.

Dans sa note publique sur le projet de loi, le conseil scientifique a émis un avis catégorique sur la nécessité de la prorogation : « Au regard de l'évolution actuelle et prévisible de l'épidémie au cours des prochains mois d'une part, et au regard du caractère provisoire de ces dispositions d'autre part, le conseil scientifique considère indispensable la prorogation du régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril 2021, telle que proposée par le projet de loi. »

Ce constat a été partagé par le Conseil d'État qui a estimé, dans son avis favorable sur le projet de loi, que la situation sanitaire « crée la nécessité de prendre ou de renforcer des mesures fondées sur la loi du 9 juillet 2020, que le droit commun du code de la santé publique […] ne permet pas de prendre ». Selon lui, la situation n'est pas non plus « telle qu'à ce stade, le recours à l'état d'urgence sanitaire, généralisé ou circonscrit à certains territoires, serait pour autant justifié ».

Le texte proposé représente le juste équilibre juridique entre le retour à l'état d'urgence sanitaire et le retour au droit commun. L'échéance du 1er avril permettra au Parlement d'aborder sereinement la discussion du projet de loi visant à pérenniser les dispositifs de gestion de l'urgence sanitaire, puisque l'état d'urgence créé dans la loi du 23 mars 2020 a également vocation à disparaître à cette date. Je me réjouis que le ministre ait précisé hier soir le calendrier et les modalités d'élaboration de ce texte qui nous permettra d'engager un réel travail de fond avec les parlementaires. Je remercie tout autant Mme la présidente de sa décision d'engager la commission des Lois dans un travail prospectif.

Ces cinq mois de prorogation ne constituent pas, comme j'ai pu l'entendre hier, un « chèque en blanc » au Gouvernement. Celui-ci est dépositaire, au contraire, d'une lourde responsabilité : garantir le droit à la protection de la santé que proclame le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Dans ce contexte, l'état de droit, loin de reculer, s'affirme : le Parlement autorise et contrôle, le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État veillent à la garantie des droits et libertés, le conseil scientifique émet ses recommandations en toute indépendance. Face à la menace épidémique il revient à chacun de prendre sa part de responsabilités. La nôtre, en tant que commissaires aux Lois, consiste aujourd'hui à adopter la prorogation proposée à l'article 1er.

Quant à l'article 2, il est la condition de la stratégie « tester, tracer, isoler » et de la recherche sur le virus. Sans cette capacité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter efficacement contre l'épidémie. Bien sûr, les systèmes d'information SI-DEP et Contact Covid ne peuvent pas tout ; il faut aussi des moyens et des procédures adaptés. Mais sans eux, nous perdrions une information essentielle pour comprendre comment l'épidémie se propage et apprécier l'efficacité des mesures déployées. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit de maintenir ces systèmes en vigueur jusqu'au 1er avril 2021, tout comme les garanties qui les encadrent – notamment la transmission d'un rapport au Parlement tous les trois mois sur leur fonctionnement, l'avis public de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), l'avis du comité de contrôle et de liaison dont le rôle est de veiller au secret médical et à la protection des données personnelles, ou encore les sanctions pénales en cas de non-respect des règles relatives au traitement des données.

Tous les acteurs engagés dans la lutte contre l'épidémie soutiennent la prolongation de ces systèmes d'information. Certains d'entre vous ont peut-être eu à se plier à une quarantaine de sept jours, comme ce fut le cas au sein du Gouvernement et jusqu'au Premier ministre. S'il faut avancer sur les tests, notamment pour réduire les délais constatés actuellement, comme s'y est engagé hier le ministre des solidarités et de la santé, le suivi de leurs résultats, l'information des personnes, la poursuite de la recherche n'en sont pas moins indispensables. Nous devons éviter un nouveau confinement et permettre la relance du pays.

Vous l'aurez compris, chers collègues, ce projet de loi est nécessaire à la poursuite des efforts consentis jusqu'à présent et qui nous permettront de poursuivre efficacement la lutte contre l'épidémie en attendant un vaccin. Dans l'intervalle, les nombreux travaux de contrôle engagés par le Parlement se poursuivront. Ils assureront l'évaluation continue des mesures que nous nous apprêtons à examiner.

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