Le Premier ministre nous avait prévenus, début septembre, que nous serions sûrement saisis d'un texte visant à proroger la loi votée il y a quelques semaines sur la sortie de l'urgence sanitaire, pour ne pas nous démunir de tout outil face à cette crise qui n'est pas terminée. Notre assemblée avait voté l'instauration d'un état d'urgence sanitaire entre le 24 mars et le 10 juillet en raison de la pandémie. Puis une loi organisant une sortie partielle de cet état d'urgence est entrée en vigueur pour la période du 11 juillet au 30 octobre prochain sur la majeure partie du territoire, hormis la Guyane et Mayotte. Ce texte a prévu de possibles restrictions de circulation des personnes ou des véhicules ainsi que d'accès aux transports en commun là où le virus est actif. Il permet également d'encadrer des rassemblements, de fermer des établissements ou d'imposer des tests virologiques aux personnes arrivant ou quittant le territoire. La Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), autorité administrative indépendante, avait alors estimé que « l'adoption d'un nouvel état d'exception, non dénommé, ne peut se faire sous couvert de sortie de l'état d'urgence sanitaire ».
Nous voici donc saisis d'un texte qui vise à prolonger encore cet état d'exception. Nos interrogations et nos critiques demeurent. Nous partageons les inquiétudes de nos concitoyens face à la pandémie, mais également vis-à-vis des mesures administratives qui restreignent les libertés. D'une part, certains articles de la loi ne sont pas rédigés comme des dérogations, mais paraissent modifier sans véritable limite dans le temps les dispositions existantes du code de la santé publique. D'autre part, si la loi a besoin d'aller à l'essentiel en matière de libertés individuelles et publiques, toute limitation doit être interprétée strictement et assortie de garanties, ce qui ne sera pas le cas.
Je note aussi que la décision de prorogation est prise sur l'avis du conseil scientifique, dont l'indépendance n'est pas garantie et dont l'exclusivité de l'intervention pose problème, comme l'avait déjà rappelé Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé.
En l'état, nous ne disposons pas d'un bilan des mesures de police administrative prises par les autorités déconcentrées dans le cadre de l'urgence sanitaire. Encore faudrait-il, il est vrai, que l'Assemblée nationale et le Sénat disposent de prérogatives et de moyens suffisants pour être informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant cet état d'exception. Pouvoir requérir des informations complémentaires utiles dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures serait souhaitable. Nos amendements vont dans ce sens.
On l'a vu, des mesures ont été prises dont la portée variait considérablement d'une ville à l'autre, d'un territoire à l'autre, sans raison objective : faire du vélo sans masque a été autorisé à Paris, mais dans le même temps interdit au Mans… Dans ce dernier cas, l'autorité administrative a revu son dispositif alors que le juge administratif était saisi sur l'absence de proportionnalité de cette mesure. Autrement dit, le respect des libertés individuelles tient, dans bien des cas, au fait que nos concitoyens saisissent le juge. Ce n'est pas bon : la préservation des libertés publiques suppose en premier lieu que l'autorité administrative s'attache à respecter les principes du droit et à faire preuve de discernement. Comment de telles incohérences, pour ne pas dire aberrations, pourront-elles être prévenues ?
En matière de dépistage, la stratégie semble avoir évolué. Beaucoup de nos compatriotes ne semblent pas comprendre ce qu'il est le plus pertinent de faire. Pendant l'été, les dépistages massifs auraient pu et dû être orientés vers des publics sensibles. Par ailleurs, les délais de test en viennent à dépasser la période de contagiosité, ce qui remet en cause la stratégie elle-même.
Enfin, s'agissant des informations sur les données collectées, l'avis du comité de contrôle et de liaison covid-19 joint au projet de loi met en évidence l'enjeu essentiel que constitue la célérité d'un parcours « tester, tracer, isoler ». Malheureusement, ce n'est pas convaincant : en reprenant le cadre applicable sans retour sur les stratégies opérationnelles à mettre en œuvre, le projet de loi pose plus de questions qu'il n'apporte de certitudes. Le groupe Socialites et apparentés entend donc limiter cette prorogation à ce qui est strictement nécessaire. Il proposera plusieurs mesures visant à améliorer le contrôle parlementaire.