Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 10h50
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Je remercie le groupe EDS d'avoir mis ce sujet à l'ordre du jour. Il est fondamental.

La première disposition vise à abaisser l'âge du vote de dix-huit à seize ans. Cela concernerait environ 1,5 million de jeunes âgés de seize et dix-sept ans. Mécaniquement, le nombre d'électeurs augmenterait en volume, mais rien ne dit que la participation serait plus forte chez les seize-dix-huit ans que chez les dix-huit-vingt-quatre ans. Vous l'évoquez, madame la rapporteure, l'exemple autrichien semble néanmoins permettre de l'affirmer : 80 % des jeunes de seize à dix-huit ans ont exercé leur droit de vote après qu'il leur eut été accordé. Plusieurs études soulignent que, plus les jeunes attendent pour participer à vie politique, moins ils s'engagent à l'âge adulte.

Le dispositif d'inscription obligatoire sur les listes électorales demeure très insatisfaisant. Malgré l'inscription d'office prévue par la loi, certains jeunes passent entre les mailles du filet. Au-delà des jeunes majeurs qui ne s'inscrivent pas, certains citoyens se retrouvent radiés au cours de leur vie – perte d'attache communale, inscriptions multiples, inscription au registre des Français de l'étranger, perte de droits civiques, par exemple.

Or il s'agit d'une question sensible, la maîtrise des listes électorales étant un enjeu fondamental pour la démocratie et pour les candidats au suffrage universel. L'exemple américain l'illustre : les minorités ethniques et les pauvres sont surreprésentés chez les personnes non inscrites. Cette tendance est également observée en France. Fractures économique et sociale se cumulent avec la fracture démocratique. Je vous invite à lire les analyses de Joseph E. Stiglitz dans son ouvrage La grande fracture.

La loi du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales institue un répertoire électoral unique et permanent, tenu par l'INSEE, dans lequel transitent les inscriptions et les radiations et dont sont extraites les listes électorales communales. Ce répertoire, mis en œuvre depuis janvier 2019 grâce à un système d'information partagé entre les différents acteurs de l'inscription, permet la coordination nationale des décisions d'inscription et de radiation prises au niveau local.

Depuis, par le biais de données recoupées par l'INSEE, les pouvoirs publics devraient pouvoir inscrire tout électeur disposant de ses droits civils. L'INSEE met à jour son répertoire à partir d'informations qu'il reçoit d'autres administrations – sur les personnes devenant majeurs ou obtenant la nationalité française par exemple. L'ajout du terme « automatique » dans la loi sera sans effet si les moyens nécessaires à ce travail de recoupage ne sont pas octroyés à l'administration.

Malgré les bénéfices attendus, l'abaissement de l'âge de vote à seize ans, ainsi qu'une inscription automatique sur les listes électorales, ne sauraient suffire pour enrayer une tendance lourde de la population française à la désertion des urnes.

La politologue Céline Braconnier le souligne, les jeunes ne vont plus voter quand ils ne comprennent pas pourquoi on leur demande de se rendre aux urnes. Comme pour tous les citoyens, il convient avant tout de redonner un sens à la démocratie et au vote. Cela passe par une confiance renouvelée dans la politique et les élus. Pour ce faire, nous devons continuer à être exemplaires en termes d'éthique et de déontologie, et bien sûr, crédibles et efficaces.

Les électeurs ont également bien compris que dans le système de la Ve République, très vertical, quasiment toutes les décisions découlent de l'élection du Président de la République – il s'agit d'ailleurs de la seule élection qui mobilise encore très majoritairement les électeurs. Les autres élus, locaux ou parlementaires, sont déresponsabilisés. Dès lors, pourquoi se déplacer aux urnes pour les candidats qui n'auront pas les moyens de leurs ambitions ? Seules les municipales résistaient encore, la figure du maire étant la plus respectée et les maires disposant de compétences et de moyens encore suffisants pour les mettre en œuvre.

Peut-être faudrait-il engager une réforme en profondeur de nos institutions politiques pour responsabiliser les élus locaux et les parlementaires, afin qu'ils puissent rendre des comptes aux électeurs ? L'exercice des compétences, qui permettrait de modifier réellement le quotidien de nos concitoyens, nous renvoie au projet de loi décentralisation, déconcentration et différenciation, dit « 3D », et aux réformes constitutionnelles.

Le groupe Libertés et Territoires n'est pas opposé par principe à la proposition de loi. Nous sommes partagés et serons attentifs aux débats. Nous avons entendu les réserves constitutionnelles, mais le droit de vote à seize ans est une réussite depuis qu'il a été adopté pour les élections locales en Écosse et, comme je l'ai indiqué, en Autriche.

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