La proposition de loi que je vous présente n'a l'air de rien, mais elle pourra faire beaucoup. Les désordres politiques sont présents partout dans le monde, découlant pour nombre d'entre eux de très vieux conflits, associés de plus en plus aux conséquences du changement climatique et entraînant de nouveaux types de migrations forcées. Ainsi, des femmes, des hommes et des enfants fuient la guerre, la torture et les persécutions. Le droit d'asile est ce que nous leur devons, depuis que, fidèles à la longue histoire de l'asile de notre pays, nos prédécesseurs ont inscrit ce droit dans le préambule de la Constitution de 1946. Ils l'ont défendu sur la scène internationale, en 1951, lors de la signature de la Convention de Genève qui constitue le cadre de notre politique d'accueil. Nous sommes, en tant que parlementaires, garants de ce droit et des valeurs constitutionnelles qui l'entourent, car il ne saurait y avoir un droit qui réunit mieux la liberté, l'égalité et la fraternité – les mots que nous avons sur le fronton de tous nos édifices publics - que celui de l'asile qui nous donne l'opportunité de faire vivre notre devise.
Ce qui semble avoir changé depuis la crise de 2015, ce sont les discours. Lorsque des hommes, des femmes et des enfants deviennent des chiffres, lorsqu'on parle de flux, de marées et de crises, ce sont les individus et l'universalité qui sont oubliés. L'ignorance mène à la peur, la peur à la haine, la haine à la violence : voilà l'équation. C'est ce que disait déjà Averroès au XIIe siècle.
Les chiffres n'ont pas de visage, pas de famille, pas d'amis, de projets ou de repères. L'asile nécessite un changement de narratif que seuls la rencontre et le dialogue permettront, car le droit d'asile peut se vivre de manière apaisée. Pour appuyer mon affirmation, je ne citerai qu'un chiffre : 1,51. Il s'agit du nombre de réfugiés en France pour 10 000 habitants.
Antonio Guterres, Secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), nous disait : « Nous devons avoir un changement de politique des réfugiés. Sans adhésion et participation de la société civile, nous ne pourrons répondre dans la dignité qui s'impose à cette crise, à ce phénomène. » C'est le premier apport du dispositif porté par cette proposition de loi. Parce qu'il permet, organise et promeut la rencontre, le parrainage citoyen offre une meilleure conscientisation de la population à la situation des réfugiés et ce, dans la continuité de la tradition d'accueil de la France.
D'excellents rapports, comme ceux de nos collègues Aurélien Taché, Jean-Noël Barrot ou Stella Dupont pour ne citer qu'eux, ont montré que l'intégration des réfugiés en France péchait sur plusieurs points fondamentaux : l'accès au logement, l'accès à l'emploi et l'apprentissage du Français.
En contribuant à la prise en charge des frais fixes et réguliers des réfugiés pendant une période limitée, en leur permettant de bénéficier surtout du réseau qu'apporte chaque parrain pour établir des liens, en contribuant à une socialisation rapide, en leur apportant un soutien psychologique et social et en les accompagnant dans le décryptage de notre administration et de l'accès aux droits, les parrains et marraines permettent aux réfugiés de se concentrer sur la recherche d'un emploi ou le suivi d'une formation plutôt que sur la recherche d'un logement par exemple.
Quant à l'apprentissage de la langue, inutile d'insister très longtemps sur l'intérêt de le pratiquer avec des Français, ce qui est finalement le meilleur gage de la réussite de l'appropriation d'une langue.
Mais il ne s'agit que d'une partie de l'intérêt du parrainage pour les réfugiés. Nos sociologues Émile Durkheim et Serge Paugam ont largement insisté sur le fait que l'intégration à une société et à une communauté dépend de liens sociaux forts.
Le lien social, c'est cette chose difficilement définissable car c'est finalement en négatif qu'on peut l'appréhender. Quand il n'existe pas, il n'y a pas de cohésion, pas de société. Ce lien se construit par l'appropriation, l'assimilation de codes ainsi que d'une langue et d'une culture. Or l'apprentissage d'une culture et de ses codes et le sentiment d'appartenance ne peuvent pas se construire du haut vers le bas. La découverte de la société française se diffuse progressivement par des échanges horizontaux au sein d'une communauté. Mais aujourd'hui, les chiffres montrent que les réfugiés sont isolés. Seuls 12 % d'entre eux disposent de liens avec des citoyens français. Pire, seule une très faible proportion aura eu, dans les premières années de l'obtention de ses papiers, un échange avec un citoyen français qui n'est pas impliqué dans un service monétisé. Parce qu'ils disposent de moins de réseaux sur place que les autres catégories de migrants, ils doivent se reposer essentiellement sur les réseaux de soutien institutionnel.
On connaît le proverbe qui dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant. Parce qu'elle implique l'apprentissage d'une nouvelle citoyenneté, l'intégration d'un nouveau citoyen ne peut se passer d'une communauté. Les réfugiés n'en sont pas les seuls gagnants. La crise sanitaire et le confinement ont aussi montré, dans l'ensemble de la société française, l'importance fondamentale du lien social. Par les interactions qu'il crée autour des réfugiés, le parrainage y participe. Les Canadiens, qui ont instauré ce dispositif il y a maintenant quarante ans, et les nombreux villages de notre pays qui se sont montrés volontaires pour accueillir des réfugiés, peuvent témoigner des effets du parrainage sur le tissu social. Les parrains ont pu voir se renforcer leur rapport à la citoyenneté et à l'engagement. En même temps qu'ils apprenaient sur l'autre et sur eux-mêmes, ils apprenaient également sur leurs propres institutions. De même, nombreuses sont les histoires de communautés fragilisées par l'exode rural et qui trouvent dans l'accueil des réfugiés un nouveau souffle, une nouvelle jeunesse.
Un grand nombre d'initiatives existent aujourd'hui au sein de la société civile. Elles prennent diverses formes et sont soutenues par de nombreuses associations. Certaines opèrent un partenariat avec l'État, comme Sant'Egidio, la Fédération de l'entraide protestante et France Terre-d'asile. Celles-ci organisent notamment des couloirs humanitaires qui consistent à accompagner la venue de réfugiés en France depuis des hotspots à l'étranger. D'autres, par exemple Singa, ont développé des formes de parrainage impliquant notamment l'hébergement à domicile. Je salue le travail titanesque effectué depuis des années par tous ces acteurs.
Alors qu'elles sont encouragées à de nombreuses échelles, notamment par la Commission européenne, ces initiatives restent cependant trop dispersées et trop limitées pour soutenir l'ensemble de la population des réfugiés et avoir un effet structurel.
Ce que nous souhaitons apporter avec cette proposition de loi peut se résumer en deux mots : de la lisibilité et de la visibilité, à la fois pour les réfugiés qui souhaiteraient bénéficier d'un parrainage et pour les citoyens qui voudraient participer, au sein d'un cadre légal et rassurant, à leur intégration.
En 2016, un quart des Français ont mené une action pour venir en aide aux réfugiés sous forme de dons d'argent, de nourriture ou de vêtements et 30 % d'entre eux souhaitaient en faire davantage à l'avenir. Avec le soutien du Gouvernement, ces initiatives peuvent se multiplier et changer durablement l'image et la réalité de l'asile en France.
En complément du processus d'intégration garanti par l'État, le parrainage citoyen constitue un tremplin pour l'intégration des réfugiés. Il permettrait la création et le développement d'un réseau social et amical, l'accès à des opportunités professionnelles et de logement ainsi que l'accélération de l'apprentissage du Français et des codes socio-culturels de notre pays.
J'ai tenu à prévoir, dans cette proposition de loi, un dispositif suffisamment souple pour favoriser, grâce au parrainage citoyen, un nouvel élan dans l'engagement autour de l'asile, en complément des initiatives existantes. Il s'adresse à dessein aux personnes ayant déjà obtenu une protection internationale et se trouvant sur le sol national. Pour le reste, tout est à construire : un partenariat avec l'État, les associations et la société civile.
Mesdames et Messieurs les députés, la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui n'a l'air de rien, mais je suis convaincue qu'elle peut beaucoup. Elle peut être le point de départ d'un nouveau regard sur l'asile en France, une nouvelle impulsion du vivre ensemble et d'un nouveau pacte social où chacun se sentirait concerné, comme il le doit, par l'intégration de nouveaux venus dans la cité. Cette proposition de loi entend réaffirmer le droit d'asile en France et porter une conception de l'intégration qui ne consiste plus seulement en un enseignement civique dispensé du haut vers le bas, mais en une multitude d'échanges entre les Français et les citoyens en devenir que sont les réfugiés. Cette proposition de loi intrinsèquement transpartisane pourrait permettre à la France de poser des bases durables à l'accueil des réfugiés et de montrer, fidèle à ses valeurs, l'exemple en Europe et dans le monde.