Intervention de Martine Wonner

Réunion du jeudi 22 octobre 2020 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Wonner :

La situation sanitaire est-elle préoccupante ? Nous ne pouvons nier la détresse des malades et de leurs familles. Le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire était-il pour autant une nécessité ? Les institutions de la République n'étaient-elles pas capables d'affronter une crise sanitaire dont nous ne minimisons pas l'ampleur sans passer par cet attirail qui abîme tant notre démocratie ?

Elles l'étaient au vu des possibilités, déjà énoncées par le groupe Libertés et territoires, dont dispose le droit commun, notamment le code de la santé publique. Les multiples questions de parlementaires, de juristes, d'universitaires ou de simples citoyens sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à passer outre le droit commun sont restées sans réponse.

La situation de notre droit est, elle, très préoccupante. Nous sommes à nouveau confrontés à une méthode déplorable de la part de l'exécutif. Le Président de la République, dans sa majesté jupitérienne, décide ; le Gouvernement exécute ; le Parlement et les élus locaux sont priés d'acquiescer – mais rapidement : il ne faudrait quand même pas questionner la méthode ou, pire, en comprendre le fond.

La politique du fait accompli a assez duré. Il n'est plus acceptable que les maires des grandes métropoles apprennent une demi-heure avant l'annonce publique de l'exécutif que leur collectivité va vivre sous contrainte renforcée. Il n'est plus acceptable que l'annonce du rétablissement de l'état d'urgence sanitaire par l'exécutif ne soit pas suivie d'une explication devant le Parlement – il est vrai que le chemin de l'hémicycle est long à trouver pour le Gouvernement… Il n'est plus possible que les citoyens soient soumis à des décisions contradictoires et fondées sur des informations sanitaires et politiques insuffisamment explicitées, quand elles ne sont pas fausses. L'adhésion nécessite de fédérer. On en est loin au vu de la précipitation dans laquelle nous légiférons pour déposséder le Parlement de ses prérogatives, souvent par ordonnance, et du peu d'entrain du Gouvernement à venir nous expliquer les décisions de l'exécutif.

Nous en avons eu un exemple flagrant la semaine dernière : le Gouvernement n'a pas daigné organiser un débat dans l'hémicycle sur la décision présidentielle de réinstaurer l'état d'urgence sanitaire et d'ordonner un couvre-feu pour 20 millions de nos concitoyens.

La loi que le Parlement a votée en mars dernier, sous le coup de l'émotion du confinement décrété quelques jours auparavant, dans la précipitation et dans des conditions de travail contraires à la Constitution, face à un virus que nous ne connaissions que très peu, n'exempte pas le Gouvernement de l'obligation de rendre des comptes, surtout quand il s'agit de donner à l'exécutif des pouvoirs si attentatoires aux libertés fondamentales. L'état d'urgence sanitaire que le législateur a assorti d'une date de péremption d'un an, tant il était peu sûr de ce qu'il faisait, permet à l'exécutif, par l'intermédiaire des préfets, d'interdire aux personnes de sortir de leur domicile – c'est ce que l'on a appelé le confinement, mesure inédite dans l'histoire de France –, d'ordonner des mises en quarantaine, de restreindre les déplacements entre territoires, de faire fermer des lieux accueillant du public ou d'interdire les réunions de toute nature ; en d'autres termes, de piétiner nos libertés sur l'autel du sacro-saint principe d'ultra-précaution.

Pourtant, quand les premiers foyers de contamination ont émergé à l'hiver 2019, ils ont pu être maîtrisés par les autorités locales, grâce à une véritable concertation entre le préfet et le maire, sans l'outil juridique de l'état d'urgence sanitaire, et d'autant plus facilement que les médecins de première ligne avaient alors le droit de traiter leurs patients.

Quant à la menace que la situation sanitaire fait peser sur la tenue des élections départementales et régionales, nous rappelons que la démocratie ne peut être confinée. Personne, ni vous, ni moi, ni le Conseil scientifique, ne sait quelle sera la situation fin mars. Il s'agira donc de faire le point à un moment plus proche de l'échéance.

Sans minimiser, je le répète, la gravité de la situation sanitaire, nous ne voudrions pas que la période actuelle serve de prétexte à l'instauration d'un régime d'exception dans lequel les libertés sont exagérément limitées et le fonctionnement des institutions démocratiques mis sous cloche. Les exemples sont légion dans l'histoire de notre République : les législations d'exception finissent toutes par entrer dans notre droit commun pour ne plus jamais en sortir. Mes chers collègues, ces mesures que le Gouvernement dit provisoires, il vous demandera en janvier de les inscrire définitivement dans notre corpus juridique. L'exception deviendra la règle. C'est notre État de droit qui se meurt, et vous allez laisser faire !

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la prolongation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois.

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