Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 2 novembre 2020 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Sur des sujets aussi importants et sensibles, j'apporterai des réponses nécessairement longues pour détailler la complexité des questions qui se posent au ministre de l'Intérieur.

Oui, je réaffirme que tout est fait pour lutter contre l'islam radical et politique. J'attends aussi du législateur qu'il nous fasse confiance lorsque nous lui demandons des armes administratives et législatives pour mener cette lutte et déstabiliser ceux qui veulent déstabiliser les valeurs de la République. Je renvoie à l'excellent rapport d'information d'Éric Poulliat et d'Éric Diard, démontrant que l'islamisme n'agit pas toujours là où on le croit et gangrène des pans entiers de notre vie sociale.

Entre la radicalisation et rien, nous n'avons pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Nous devons combler ce vide en assurant un subtil équilibre entre liberté de culte, liberté de conscience, liberté tout court et ordre public. Nous aurons sans doute ce débat passionnant lors de l'examen du projet de loi contre les séparatismes, qui sera, je crois, une grande loi de la législature, une avancée pour nous protéger tout en garantissant les libertés. Pour l'heure, il nous manque encore beaucoup d'outils pour lutter contre l'islam politique lorsqu'il ne passe pas à l'acte mais se traduit en paroles.

Je partage le deuil de la ville de Nice, frappée de nombreuses fois par le terrorisme. Nous avons renforcé les moyens policiers déployés dans cette ville, mais aussi dans le département, notamment à la frontière avec l'Italie. J'ai décidé d'y affecter 120 policiers, en plus de ceux qui y ont été déployés avant mon arrivée au ministère et de ceux issus du rattrapage annoncé par M. le Premier ministre. Je sais l'équipe municipale et les élus locaux très fortement impliqués en matière de sécurité. Je ne reviens pas sur l'éventualité du référendum que vous appelez de vos vœux, monsieur Ciotti. Vous n'avez pas ouvert ce débat et je vous en remercie ; nous l'aborderons peut-être en d'autres lieux et à d'autres moments.

S'agissant des personnes étrangères fichées au FSPRT pour radicalisation islamiste, de nombreux chiffres très confus ont été avancés dernièrement, non par vous-même, car vous êtes un spécialiste de la question – un spécialiste ne dit pas de bêtises, comme le suggère Léo Ferré dans une très jolie chanson –, mais dans le débat public.

Être fiché au FSPRT n'équivaut pas à une condamnation, mais à un soupçon de radicalisation. La plupart des personnes fichées au FSPRT ignorent qu'elles le sont, ce qui rend leur suivi intéressant, et permet d'en apprendre beaucoup. Il peut arriver que les services de renseignement demandent au ministre de l'Intérieur de ne pas expulser immédiatement telle personne, au motif que ce qu'elle permettra de savoir est plus intéressant que ce qu'elle représente. Mme la présidente de la commission pourra sans doute, dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement, creuser davantage, notamment auprès des chefs de service, ce point essentiel à la compréhension du sujet.

L'affirmation selon laquelle 4 100 étrangers sont inscrits au FSPRT n'est pas fausse. Le fichier recense 22 000 personnes, dont 8 000 font l'objet d'une fiche active, ce qui signifie qu'elles sont activement suivies pour radicalisation islamiste. Par ailleurs, nous disposons d'une documentation, constituée les années précédentes, sur des personnes dont nous avons jadis considéré qu'elles étaient en voie de radicalisation, avant de constater que ce soupçon n'était pas avéré. Parmi les 4 100 personnes étrangères répertoriées au FSPRT, qu'elles fassent l'objet ou non d'une fiche active, qu'elles soient en situation régulière ou non, toutes ne se trouvent pas sur le sol national, tant s'en faut. Quand bien même nous expulserions un étranger radicalisé, il serait toujours comptabilisé parmi ces 4 100 personnes.

Quant aux étrangers en situation irrégulière présents sur le sol national et dont la radicalisation est avérée, nous souhaitons les expulser, d'abord parce qu'ils sont en situation irrégulière, ensuite parce qu'ils sont radicalisés. Certains n'ont pas été condamnés à quelque titre que ce soit, d'autres l'ont été, notamment pour des faits de terrorisme ou d'apologie du terrorisme, ce qui pose le problème de leur sortie de prison. Lorsque le Président de la République est arrivé en responsabilité, le FSPRT comptait exactement 872 étrangers en situation irrégulière ; il en compte aujourd'hui 271. Le Président de la République, contrairement à ce que l'on entend dire, n'a pas eu la main qui tremble ; il a même été bien plus volontaire que certains de ses prédécesseurs, et a procédé à ces expulsions de façon massive.

Parmi les étrangers en situation irrégulière inscrits au FSPRT, il faut distinguer trois catégories de personnes. La première catégorie regroupe ceux qui ne sont pas en prison. Elle se subdivise elle-même entre les étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) contre laquelle tous les recours ont été épuisés, et qui doivent être expulsés du territoire national, et ceux qui ne font pas l'objet d'une OQTF ou qui en contestent une devant une juridiction administrative. Cette première catégorie rassemble 271 personnes. J'ai demandé que celles ayant épuisé leurs recours soient placées en centre de rétention administrative (CRA). Tel est le cas de trente-six personnes ; je compte bien qu'elles soient une centaine à la fin de ce mois, et que nous les expulsions du territoire national. Depuis un mois, nous en avons expulsé seize.

Une deuxième catégorie d'étrangers en situation irrégulière inscrits au FSPRT est en prison. Pour ces personnes, le garde des Sceaux et moi-même avons édicté une instruction très claire, bien avant les récents attentats : lorsqu'elles sortiront de prison, elles seront directement placées en CRA, où elles resteront jusqu'à ce que leurs pays d'origine les reprennent. J'applique cette politique depuis ma prise de fonctions. Se trouvent également en prison des personnes radicalisées qui ne sont pas de nationalité étrangère. Celles-ci doivent faire l'objet d'un suivi après leur sortie de prison.

Enfin, la troisième catégorie d'étrangers en situation irrégulière fichées au FSPRT est celle des personnes que l'absence de relations diplomatiques avec leur pays d'origine rend difficilement expulsables. Pour expulser un étranger du territoire national, il faut d'abord l'arrêter ; il faut ensuite lui délivrer une décision de reconduite à la frontière ainsi qu'une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF). Il s'agit de deux actes administratifs distincts qu'il faudrait d'ailleurs rassembler en un seul, afin de simplifier la procédure – j'ai confié ce travail à la direction générale des étrangers en France. Surtout, il faut que le pays d'accueil reconnaisse cet individu comme l'un de ses citoyens, et que celui-ci n'ait pas menti sur son état civil. Or, par nature, s'il est un terroriste ou présumé tel, il est susceptible d'adopter un comportement visant à effacer les preuves de sa nationalité. Il faut donc mener un travail destiné à l'établir et à faire en sorte que le pays concerné délivre un laissez-passer consulaire. Ce travail diplomatique difficile, nous le menons, efficacement me semble-t-il, avec les quatre pays d'où sont originaires les plus gros contingents d'étrangers en situation irrégulière fichés au FSPRT. Il s'agit, dans l'ordre, de l'Algérie, de la Russie – notamment de la Tchétchénie –, du Maroc et de la Tunisie.

Je me suis rendu au Maroc il y a trois semaines, pour y rencontrer mon homologue. Nous avons eu une discussion très intéressante, et noué une relation entre ministres de l'Intérieur, dont nous pouvons mesurer l'efficacité au fait que plusieurs ressortissants marocains sont repartis au Maroc grâce à l'accord que nous avons conclu, en dépit des restrictions de circulation aérienne imposées par le coronavirus. Je me rendrai en Tunisie et en Algérie à la fin de la semaine, et en Russie dans quinze jours, après avoir rencontré les ambassadeurs concernés. Le Président de la République a eu ses homologues au téléphone ; il s'agit de nous mettre d'accord avec eux et de confronter les états civils, afin qu'ils récupèrent leurs nationaux.

Quant aux étrangers en situation irrégulière originaires de pays avec lesquels nous n'avons pas de relations diplomatiques, tels que la Syrie et la Libye, leur expulsion est pour le moins complexe. Heureusement, ils ne sont pas les plus nombreux. Cela ne nous interdit pas d'imaginer certaines démarches, mais il est plus difficile de discuter avec ces gouvernements qu'avec l'Algérie ou la Russie.

Pour résumer, afin d'éviter tout malentendu, 22 000 personnes sont inscrites au FSPRT, parmi lesquelles 8 000 font l'objet d'une fiche active et 4 000 sont de nationalité étrangère. Au passage, j'observe que la très grande majorité des personnes que nous suivons sont français ou binationaux. Lorsque le Président de la République a été élu, 872 étrangers en situation irrégulière étaient inscrits au FSPRT; ils étaient 271 il y a un mois, et seize de moins aujourd'hui. Nous devons les expulser du territoire national. Nous plaçons en CRA ceux qui ont épuisé leurs recours, en attendant d'obtenir des laissez-passer consulaires, ce à quoi le Président de la République, le ministre des Affaires étrangères et moi-même travaillons, afin de les renvoyer dans leurs pays d'origine.

Parfois ces chiffres évoluent, car il faut distinguer le flux et le stock : le stock correspond au nombre d'étrangers en situation irrégulière inscrits au FSPRT à un moment donné ; le flux résulte du travail réalisé par la DGSI et les préfectures dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux (GED), réunis chaque semaine par les préfets à ma demande. Y siègent notamment les responsables des services locaux du renseignement territorial et de la DGSI dont les notes font parfois remonter un faisceau d'indices et de signaux faibles permettant d'identifier des personnes méritant d'être inscrites au FSPRT – dénonciations selon lesquelles telle personne n'a pas voulu être soignée par une femme à l'hôpital, est en contact avec des personnes elles-mêmes soupçonnées de radicalisation ou fréquente un lieu de culte particulièrement radicalisé. Ainsi, chaque semaine, des personnes supplémentaires, dont des étrangers – qu'ils disposent d'une carte de résident ou qu'ils soient en situation irrégulière – intègrent ce fichier.

J'ai donné consigne aux préfets de présider eux-mêmes les GED, consacrés au suivi des personnes, et les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire, consacrées à celui des structures. Que les trois derniers attentats commis sur notre sol l'aient été par des personnes qui n'étaient pas inscrites au FSPRT, donc pas suivies, ne nous laisse pas indifférents. J'ai donc demandé aux préfets de ne pas avoir la main molle s'agissant de l'inscription des individus au FSPRT, pour que nous puissions suivre le plus grand nombre de personnes possible. Je répète que le FSPRT est un fichier de suivi et non de recensement des condamnations, et que ceux qui y sont inscrits ne savent pas qu'ils le sont, ce qui permet d'obtenir des renseignements.

S'agissant des étrangers en situation régulière fichés au FSPRT, j'ai donné, le 29 septembre dernier, des instructions selon lesquelles toute personne condamnée pour des motifs relatifs au terrorisme ou pour de graves atteintes à l'ordre public – trafic de stupéfiants, atteinte à la dignité de la personne, violences familiales, notamment sur les femmes et les enfants – n'obtienne pas le renouvellement de sa carte de résident ou se la voit retirer. Ces personnes feront donc l'objet d'une OQTF et d'une reconduite à la frontière.

Dans le département de la Seine-Saint-Denis, dont le préfet a eu à connaître un millier de dossiers depuis le 29 septembre, 130 cartes de résident n'ont pas été renouvelées pour ces motifs, qui ne relèvent pas tous de la radicalisation. Ces personnes ont gravement troublé l'ordre public ; elles ont été condamnées comme telles et ne méritent pas de demeurer sur le territoire de la République.

Sans vouloir vous faire de procès d'intention, monsieur Ciotti, je partage l'opinion que les étrangers, sur le sol de la République, doivent respecter intégralement les valeurs du pays qui les accueillent. Toutefois, je ne considère pas que l'immigration zéro – ce n'est pas ce que vous avez dit – est la solution à nos problèmes.

Pourquoi l'état d'urgence n'a-t-il pas été activé ? Premièrement, nous sommes en état d'urgence sanitaire. Deuxièmement, certaines dispositions de la loi SILT permettent au ministère de l'Intérieur de faire des choses qu'il ne pouvait pas faire au moment du déclenchement de l'état d'urgence sous le gouvernement de M. Valls. La situation politique dans laquelle nous sommes n'est pas celle qui prévalait en 2015 et en 2016.

Troisièmement, je n'ai pas considéré, en mon âme et conscience, que les attentats et les menaces telles que nous les connaissons permettaient de documenter le déclenchement de l'état d'urgence. Les menaces sont diffuses et les renseignements que me fait remonter la DGSI ne sont pas de nature à laisser penser qu'un attentat d'ampleur serait organisé et mériterait des mesures exceptionnelles du droit commun. Si j'avais un doute, je le dirais au Président de la République et au Premier ministre. En ma qualité de ministre de l'Intérieur, dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, je peux faire beaucoup de choses – parfois trop, pour certains, par rapport à ce que le Parlement autorise. Pour moi, l'état d'urgence n'est pas un tabou. Il a été instauré sous la IVe République pour répondre aux situations d'urgence. Nous sommes dans une situation de menace grave, mais je ne pense pas que nous soyons dans une situation d'urgence.

S'agissant des sortants de prison, nous aurons l'occasion de travailler avec Mme la présidente de la commission des Lois sur des dispositions qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, qu'elles soient de nature judiciaire ou administrative. Pour l'heure, quand un étranger sort de prison, il est expulsé ; s'il est Français, il fait l'objet d'un suivi. Nous aurons l'occasion de reparler de cette question. D'ores et déjà, je suis évidemment à votre disposition pour muscler telle ou telle proposition.

Un débat s'est déroulé dans le pays sur le point de savoir si la France devait récupérer ses nationaux partis à l'étranger faire le djihad ou combattre dans une autre armée que l'armée française. Beaucoup d'entre vous considèrent qu'ils ne doivent pas revenir, y compris les enfants de cinq ans, comme s'il n'y avait plus de liens entre la nationalité et le pays. L'argument inverse est pourtant avancé pour les discussions avec les pays dont nous voudrions qu'ils accueillent leurs nationaux – certains propos de café du commerce tendraient à les y renvoyer directement, sans leur demander leur avis. Il y a donc une légère contradiction intellectuelle vis-à-vis des nationaux. Comprenez bien qu'un ministre de l'Intérieur en responsabilité discute avec des homologues de pays souverains et qu'il y a des règles. Pour notre part, nous n'aimerions pas que ces pays expulsent des gens sans s'assurer qu'ils sont bien Français et que nous voulons bien les accueillir. Le minimum est que nous fassions la même chose vis-à-vis de pays amis, avec lesquels nous avons d'autres partenariats.

Lors de ces discussions d'État à État, en partie confidentielles, j'évoque avec mes homologues le fait que ces personnes sont bien des Marocains, des Algériens, des Tunisiens ou des Russes. Soit nous avons des éléments qui permettent de le prouver – passeports, cartes de résident –, soit nous devons travailler avec les autorités pour reconstituer le parcours des personnes permettant de démontrer leur nationalité et de s'assurer qu'elles ne mentent pas. De ce point de vue, je peux comprendre la demande des autorités marocaines, tunisiennes, algériennes, russes ou maliennes. Les discussions sont franches, constructives. Personne n'a refusé de me recevoir, y compris pour aborder ces discussions difficiles. Par ailleurs, nous travaillons avec ces pays de manière extrêmement positive, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. À cet égard, je remercie les services tunisiens qui m'ont aidé, en quelques heures, à comprendre qui était le terroriste de Nice, quelle était sa famille, dans quelles conditions il a pu venir sur le continent européen, s'il était radicalisé, quels étaient ses contacts. Le directeur général de la sécurité intérieure a pu discuter avec ces services. Nous faisons le même travail avec les Algériens et les Marocains, et nous les en remercions beaucoup. Il ne faut donc pas insulter ces pays qui travaillent avec nous pour lutter contre le terrorisme et qui en sont parfois eux-mêmes les victimes. Les pays du Maghreb, avec lesquels nous sommes amis de longue date, ont été particulièrement touchés par ce terrorisme qui n'a pas de nationalité : c'est une idéologie que l'on combat, pas une nation.

Comment comprendre l'action des services de police dans l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine ? Les services de police ont reçu au commissariat une plainte déposée contre Samuel Paty reposant sur le témoignage d'une élève qui prétendait qu'il aurait fait sortir les musulmans d'une classe avant un cours. Les policiers ont considéré qu'il y avait là une discrimination grave. Je le dis à tous les Françaises et les Français qui nous écoutent, notamment de confession musulmane : en moins de quarante-huit heures les policiers ont enregistré la plainte de ce père et ont fait leur travail de vérification en convoquant la principale du collège et Samuel Paty. Qu'on ne dise donc pas que la France « mène une guerre contre l'islam » ; ce n'est bien sûr pas le cas. Le professeur a été convoqué parce que les policiers ont pris très au sérieux des discriminations qui auraient pu toucher des élèves de confession musulmane.

Samuel Paty ayant pu prouver aux policiers que la plainte de ce père était un mensonge, ceux-ci lui ont alors fait valoir que c'était lui la victime de cette calomnie. Il a donc porté plainte pour le seul chef de diffamation. Les policiers ont porté secours, si j'ose dire, en conseillant la principale et Samuel Paty, en acceptant leur plainte et en investiguant. La plainte a été instruite : les procès-verbaux se sont multipliés, des personnes ont été auditionnées. Le préfet des Yvelines et son cabinet ont eu connaissance d'une note des renseignements territoriaux, datée du lundi 12 octobre au soir, évoquant ces échanges d'amabilité et le fait que M. Chnina, le père de la jeune fille qui s'est dite discriminée, accompagné de M. Sefrioui, qui était présenté comme un imam mais qui ne l'est pas, sont allés faire pression sur la principale du collège, traitant le professeur de « voyou » et disant qu'il ne fallait pas enseigner la liberté d'expression comme il le faisait.

Je dis à M. Bernalicis, dont le groupe politique soutient qu'on n'a pas besoin d'autres mesures législatives pour faire respecter les règles de la République, que cette information est remontée à l'échelon local de la DGSI, au cabinet du préfet, et, dans un travail partenarial, au département des Yvelines. Mais il n'a pas été constaté de délit pour lequel l'État n'aurait pas protégé tel ou tel acteur. Aujourd'hui, une pression communautaire exercée sur un service public n'est pas pénalisée ; ce n'est pas un délit. Si vous considérez que c'est anormal, il faut accepter de voter le projet de loi que nous vous présenterons le 9 décembre, qui prévoit précisément de pénaliser ces pressions communautaires sur l'éducation nationale, sur l'hôpital public ou sur le service d'état civil de la mairie, c'est-à-dire les pressions qui sont exercées par quelqu'un qui veut imposer la loi de son groupe contre la loi de la République.

Samuel Paty, que nous pleurons tous, a été victime de la folie meurtrière d'un terroriste et d'officines islamistes, mais les services de police ont fait leur travail. Je constate d'ailleurs qu'ils étaient sur place en quelques minutes et qu'ils ont pu intercepter l'auteur des faits, comme lors de l'attentat de la rue Nicolas-Appert et lors de l'attentat à la basilique de Nice, grâce à la police municipale.

Actuellement, vingt-huit personnes travaillent sur la plateforme PHAROS. Le projet de loi de finances prévoit d'y affecter vingt personnes supplémentaires afin que ce dispositif puisse fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Que peut faire de plus PHAROS ? Peut-être de la cyberpatrouille. Aujourd'hui, les personnels examinent les plateformes en réponse aux interpellations des internautes ; ils ne sont pas proactifs. C'est peut-être cette piste qu'il faut envisager.

Quatre ans pour couper le réseau des imams détachés, c'est sans doute long, en effet, mais il faut bien voir ce que cela recouvre. Les imams détachés font l'objet de conventions internationales qui ont été adoptées par le Parlement sous de précédentes législatures – savoir à quelles dates et sous quelles législatures ramènerait d'ailleurs ceux qui disent publiquement que le Gouvernement n'en fait pas assez aujourd'hui à un peu plus de modestie. Les imams détachés sont des fonctionnaires de pays étrangers rémunérés par ceux-ci pour exercer sur le sol français ; ils sont 400. Le Président de la République a décidé de mettre fin à cette pratique ; d'ici à 2023, il n'y aura plus d'imams détachés.

Ce temps de latence s'explique par le coût que représentera pour le culte musulman la prise en charge de ces imams : environ 2,5 millions d'euros. En vertu des articles 1er et 2 de la loi de 1905, l'État ne subventionne aucun culte ; il ne peut donc pas les aider à payer leurs ministres du culte. Les mosquées ne doivent pas non plus recevoir d'argent de l'étranger, et la future loi de lutte contre les séparatismes vise à limiter très fortement les financements des pays étrangers. On ne peut donc pas demander au culte musulman de prendre immédiatement à sa charge ces 2,5 millions d'euros. Il faut lui laisser le temps de s'organiser et de créer ses propres recettes, d'autant que 92 % des mosquées sont gérées par la loi de 1901 et qu'elles ne bénéficient pas des avantages de la loi de 1905 – exonération de taxe foncière, déductions fiscales applicables au denier du culte, exonération de droits de mutation sur les dons et legs. Bref, il faut laisser au culte musulman le temps de créer un financement français qui ne soit ni étatique ni étranger, mais, en tout état de cause, la fin des imams détachés est une décision très forte du Président de la République.

Nous aurons sans doute l'occasion d'évoquer ultérieurement la question très importante du clergé en islam sunnite. Ce ne sera sans doute pas à la loi de le faire, même si nous travaillons avec le culte musulman pour que les choses se fassent beaucoup mieux et je crois que leur engagement les honore.

L'investissement de certains pays du Golfe au titre du mécénat renvoie au sujet du don et du contre-don. Le don gratuit existe-t-il ? C'est une question philosophique très intéressante. Il y a fort à parier qu'il n'existe pas toujours, en tout cas pas en tout lieu. C'est notre travail collectif que d'éviter d'accepter de l'argent de l'étranger et de faire une offre républicaine. En tant qu'élu des quartiers, je rejoins les communistes sur la nécessité d'être encore plus présents dans les quartiers. Cela permet de ne pas dépendre de l'argent de l'étranger. Même s'il n'est pas nécessairement négatif en soi, un doute peut toujours exister.

La loi SILT est-elle trop restrictive et empêche-t-elle d'agir au mieux ? Depuis 2017 et l'élection d'Emmanuel Macron, plus de quarante lieux de culte ont été fermés, soit deux à trois fois plus que durant les cinq quinquennats précédents. Nous suivons actuellement soixante-quinze lieux de culte. Nous pensons qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas radicalisés mais sont rigoristes. La distinction est importante : ce n'est pas parce qu'on est rigoriste d'une religion qu'on pose un problème à l'ordre public. La liberté de culte fait la grandeur de la France, et il ne s'agit pas de se venger en prenant une mesure arbitraire. Néanmoins, certains éléments pourraient nous pousser à proposer des dispositions nouvelles – peut-être pas une suspension de six mois mais des incitations pour l'association cultuelle à faire le ménage en son sein. Ainsi, tous les fidèles de la mosquée de Pantin ne sont pas complices de ce que nous reprochons aux dirigeants de l'association ou à un de ses imams. Nous avons conscience que la mesure que nous avons prise au lendemain de l'attentat, validée par le juge administratif, est forte – nous l'avons d'ailleurs prise avec parcimonie. Il nous manque sans doute une mesure permettant d'envoyer un amical avertissement aux associations cultuelles concernées que la rigueur de l'interprétation cultuelle ne doit pas avoir de lien avec l'islam radical ou l'islam politique, avec de l'agitation et la volonté de se séparer de la République. Nous aurons sans doute l'occasion d'en parler lors de la discussion du projet de loi sur les séparatismes.

Pour terminer, quelques corrections sur certaines considérations relatives aux étrangers. Le terroriste tchétchène est arrivé sur le sol de la République à l'âge de 6 ou 7 ans. Sa famille a obtenu une carte de réfugiés en 2011, et c'est sur le fondement de ce statut familial qu'à l'âge de 18 ans, l'administration lui a délivré une carte de résident. Elle n'a pas fait d'erreur puisque cette personne n'était pas radicalisée et qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune condamnation à 18 ans. Quant au terroriste tunisien, manifestement, il est arrivé sous un mois sur le sol occidental, en Italie. Après avoir effectué une quarantaine liée au covid, il a pu remonter l'Italie, être aidé par des associations caritatives italiennes et effectivement, par manque de place dans les CRA italiens, il n'a pas été expulsé et a pu franchir la frontière dans des conditions qu'il faudra sans doute vérifier – il y a malheureusement plusieurs voies possibles. Bien que 85 % des étrangers en situation irrégulière sont arrêtés à cette frontière et que 200 à 300 personnes sont interceptées tous les jours par la police aux frontières, les gendarmes ou les militaires, je suis d'accord pour dire qu'il faut peut-être encore renforcer les contrôles. Des propositions sont faites au Premier ministre sur ce point. Quelques heures après être arrivé sur le sol national, il n'a fait aucune démarche pour obtenir une carte de résident ou de réfugié. C'est ce qui m'a permis de dire que cette personne était venue – mais l'enquête le dira – pour tuer. Y pensait-il en partant de Tunisie ou s'est-il radicalisé en chemin ? Là encore, l'enquête le révèlera. Je ne pense pas que les deux cas soient vraiment comparables.

Je suis, cependant, tout à fait favorable à ce que nous revoyions notre façon de contrôler nos frontières ou de gérer certaines personnes sur notre sol. Avant les attentats de Nice, j'avais d'ailleurs écrit à la Commission européenne pour demander la permission, comme le gouvernement de François Hollande l'avait fait, de revenir sur les règles de contrôle aux frontières pour les personnes extracommunautaires, notamment dans la bande des 20 kilomètres où les policiers peuvent les arrêter, faire des contrôles d'identité et les renvoyer dans leur pays. Ce sont des mesures dérogatoires au droit de l'Union européenne, et il faut en renouveler la demande tous les six mois. J'ai bon espoir que la Commission me réponde favorablement, d'abord parce que la France a le droit de protéger ses frontières, ensuite parce que c'est bien légitime après les attentats de Nice.

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