Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du mercredi 4 novembre 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Je remercie les rapporteurs, avec lesquels j'ai eu l'occasion de travailler lors de différentes missions sur ce sujet des forces de police. Je voulais tout d'abord indiquer, au nom du groupe Socialistes et apparentés, que nous ne pouvons que regretter qu'une telle proposition de loi n'ait fait l'objet d'aucun avis préparatoire du Conseil d'État, du Défenseur des droits ou encore de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Sur le fond, la première partie vise à revoir le statut des policiers municipaux, dont les limites sont mises en lumière par un rapport de la Cour des comptes publié hier. L'article 1er lance une expérimentation dans certaines grandes villes pour que les policiers municipaux disposent des pouvoirs étendus sur l'immobilisation de véhicule et la saisie d'objets, et pour qu'ils puissent faire des constats avec relevé d'identité en cas de délits tels que l'usage de stupéfiants, la conduite sans permis, les tags ou l'introduction dans un bâtiment communal.

L'encadrement légal des drones, rendu nécessaire par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'État, est prévu par l'article 22. Ils pourront être utilisés pour constater des infractions, surveiller les littoraux et les frontières, ou réguler des flux de transport. Mais ils ne doivent pas remplacer l'humain.

Il est créé, à l'article 24, un nouveau délit de presse visant à punir d'un an de prison la diffusion « dans le but qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, [de] l'image du visage ou tout autre élément d'identification » d'un policier ou d'un gendarme « lorsqu'il agit dans le cadre d'une opération de police ». L'objectif est le floutage intégral des vidéos d'interventions policières, la simple diffusion du matricule d'un policier devenant un délit. Je me bornerai à rappeler que la liberté d'expression va de pair avec la liberté d'informer dans le respect des personnes.

À partir de ces deux éléments, les dispositions prévues dans cette proposition de loi sont à mettre en relation avec la stratégie en matière de maintien de l'ordre de l'Allemagne, ce pays loué par de nombreux observateurs pour sa rigueur et son souci de l'ordre. La stratégie allemande intègre la protection des manifestants, le dialogue et la désescalade de la violence. Ce n'est pas le cas en France et ce n'est pas en cassant les instruments de la transparence que l'on brisera la violence des manifestants et la méfiance d'une partie d'entre eux.

S'agissant de l'article 21, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, a autorisé policiers et gendarmes à filmer leurs interventions au moyen de caméras mobiles. Mais l'agent porteur de la caméra ne peut accéder aux images, celles-ci ne pouvant être exploitées qu' a posteriori, en conformité avec l'avis de la CNIL. Cet article modifie l'utilisation des caméras piétons ; les images transmises permettront l'analyse automatisée et en temps réel des images et, donc, des participants. Pour l'ordre public, les communications orales peuvent suffire. On peut se poser également la question de savoir si l'identification faciale ne servira pas à des mesures de garde à vue préventive.

S'agissant de l'article 24, il existe un principe de fond : celui de la transparence de la responsabilité de l'agent public. Sans ce principe, les affaires comme celle de Geneviève Legay ou d'Alexandre Benalla n'auraient été ni documentées ni connues. Cet article 24 va dans le sens d'un oubli d'affaires où la violence a frappé sans distinction des circonstances, au motif d'un intérêt supérieur.

L'extension des compétences détenues par les policiers municipaux ne s'accompagne d'aucune mesure liée à leur formation et à leur évolution de carrière. Comme certains élus et professionnels le font remarquer, cela risque de conduire à ce que des personnes sans doute moins formées et certainement moins rémunérées fassent le travail d'autres mieux formées et mieux rémunérées. La comparaison des grilles de traitement entre policiers municipaux et nationaux met en évidence ces différences et ces difficultés. De plus, on justifiera ainsi l'absence ou l'insuffisance de créations de postes dans la police d'État et cela permettra de transférer des missions vers les collectivités territoriales sans les ressources correspondantes. Ce sujet suscite une réelle inquiétude des élus locaux. Au-delà de leur souhait de protéger au mieux leurs concitoyens, ils se demandent si l'État sera en mesure de leur octroyer les crédits nécessaires. Ce texte porte donc atteinte à l'autonomie des collectivités territoriales.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés a déposé un certain nombre d'amendements. Notre position finale dépendra de la discussion que nous aurons avec les rapporteurs à leur sujet.

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