Intervention de Annie Genevard

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard, rapporteure :

Notre République est fondée sur une conception tolérante et ouverte de la liberté d'expression, de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes. Elle permet à chacun de défendre ses croyances et ses idées, dans le respect d'autrui et de la loi. En cela, elle garantit l'application concrète de notre devise : « liberté, égalité, fraternité ».

Cet édifice, patiemment construit depuis la Révolution de 1789, s'appuie sur des principes qui s'imposent à tous. La reconnaissance de l'égale dignité des citoyens et de la prééminence de certaines valeurs – qualifiées d'universelles tant elles semblent être le propre de l'homme – sur les croyances particulières, sur les opinions et les préférences individuelles, constitue la condition d'un destin commun auquel la majorité des Français adhère.

Or ce modèle politique et social français, si singulier parmi les grandes démocraties, fait l'objet d'attaques croissantes depuis quelques décennies. Sur fond d'essor des revendications religieuses et identitaires, c'est un véritable contre-modèle que certains souhaitent désormais imposer sur notre territoire. Dans les lieux de culte, les associations, les clubs sportifs, les entreprises, mais également dans la vie de nombre de municipalités, le communautarisme est de plus en plus visible et actif.

Le constat est sans appel : entrisme systématique dans tous les aspects de la vie quotidienne dans certains territoires, repli identitaire, recul du droit des femmes et des enfants, pressions psychologiques, sociales et parfois économiques. Ce constat s'aggrave depuis des années, malgré les alertes lancées par les acteurs de terrain. Il y a désormais urgence à agir ; nous sommes nombreux à en être convaincus, toutes sensibilités confondues. Notre expérience d'élus, les échanges que nous avons dans nos circonscriptions et les inquiétudes exprimées par nos concitoyens, quel que soit leur rapport à la religion, en attestent, dans un contexte marqué par l'accroissement des tensions, voire des violences, dans notre société.

De récents sondages illustrent cette dégradation de l'adhésion aux valeurs républicaines. À titre d'exemple, 74 % des jeunes personnes de confession musulmane déclarent faire passer leurs convictions religieuses avant les valeurs de la République ; 57 % d'entre elles considèrent que la charia est plus importante que la loi de la République. Si le communautarisme ne touche pas cette seule confession, ces chiffres n'en demeurent pas moins préoccupants. Ils sont à rapprocher de la montée d'un islam politique plus radical, en grande partie importé sur notre territoire et lié à l'évolution de la situation politique au Levant et au Moyen-Orient.

Dans les établissements scolaires, dans les services publics, dans les entreprises, nombreux sont ceux qui se sentent démunis face à des revendications contraires à nos valeurs et à la difficulté d'établir un dialogue. Je pense aux médecins qui ne peuvent examiner leurs patients dans de bonnes conditions, aux enseignants qui préfèrent désormais s'autocensurer pour éviter l'incompréhension ou les conflits avec les élèves et leurs parents – l'assassinat de Samuel Paty en est un intolérable et douloureux témoignage –, aux employeurs menacés de recours contentieux au moindre rappel des règles, aux associations qui voient leur fonctionnement entravé, leur accès interdit aux femmes ou à des membres pratiquant d'autres religions, ayant d'autres origines. Tout cela est désormais bien documenté, et la situation ne cesse de se dégrader. Un dixième des quartiers prioritaires de la politique de la ville serait sous l'emprise de l'islam radical et cette influence est diffuse dans nombre d'autres territoires.

Face à cette situation, il est plus que jamais nécessaire de rappeler la valeur de nos principes républicains et la primauté de la règle commune sur les revendications individuelles. C'est tout l'objet de la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues sénateurs Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Celle-ci réaffirme, en son article 1er, l'évidence : nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer de la règle commune. Ce faisant, elle complète les dispositions de l'article 1er de la Constitution et en éclaire le sens. La République est indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle reconnaît l'égalité entre les citoyens. Par conséquent, ceux-ci ne peuvent exciper de leurs différences pour ne pas respecter les règles en vigueur, sauf si ces dernières le prévoient expressément.

L'article 2 prévoit d'inscrire à l'article 4 de la Constitution l'obligation pour les partis politiques de respecter le principe de laïcité, au même titre que la souveraineté nationale et la démocratie. En effet, si les listes communautaires demeurent encore peu nombreuses, elles influent de plus en plus, dans certains territoires, sur le système politique local. Aux dernières élections européennes et municipales, elles ont parfois réalisé des résultats ouvrant droit à des financements publics. Or ces partis sont souvent le paravent d'un islam politique défendant des positions contraires à nos valeurs républicaines.

Au Sénat, ces deux dispositions ont été adoptées à l'unanimité des votants, malgré les réticences exprimées par le garde des sceaux. Je voudrais, à cet égard, insister sur la portée de cette proposition de loi constitutionnelle, car beaucoup d'arguments avancés en sa défaveur dans les débats me semblent peu convaincants.

Que permet-elle de faire ? En modifiant la Constitution, elle pose les jalons d'une réaction ferme de la République face à la montée du communautarisme. Loin d'être inutile au motif que la jurisprudence du Conseil constitutionnel serait suffisante, il me semble que, comme le rappelle M. Jean-Éric Schoettl, qui fut secrétaire général de cette institution, il n'est jamais indifférent d'inscrire dans le marbre constitutionnel une jurisprudence : un juge peut changer de position au cours des années, notamment en épousant un esprit des temps plus en phase avec l'idéologie des élites qu'avec le sentiment du peuple ; ce qui est inscrit dans la Constitution y reste en revanche. Comme l'a rappelé le professeur Anne Levade, l'affirmation de ce principe constitue également une sécurité juridique supplémentaire pour tous ceux qui sont confrontés à des revendications communautaristes. Elle considère ainsi qu'il s'agit d'une « révision astucieuse et clarificatrice, à droit constitutionnel constant », en réaffirmant la primauté de la règle commune sur les convictions religieuses, mais aussi identitaires, ce que n'a pas précisé expressément la jurisprudence du Conseil à ce jour.

Par ailleurs, cette proposition complète utilement le projet de loi confortant les principes républicains qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre. Elle permet en effet de couvrir des champs qui ne le sont pas par ce projet, notamment les acteurs de la sphère privée, managers et employeurs, confrontés à la hausse des faits religieux ou identitaires. Les valeurs républicaines ne s'arrêtent pas au seuil d'une entreprise, d'un cabinet médical ou d'un club de sport. Elles s'imposent partout, car elles sont la garantie de l'exercice de nos droits les plus précieux.

Je rappelle également que, dans son discours des Mureaux du 2 octobre, le Président de la République lui-même appelait chacun, selon ses fonctions, à prendre ses responsabilités face aux séparatismes. Il soulignait notamment que les élus seraient au rendez‑vous. Les Républicains, qui n'ont cessé d'alerter le Gouvernement sur cette question, tant à l'Assemblée nationale et au Sénat que sur le terrain, répondent pleinement à cet appel avec la présente proposition de loi.

Je souhaiterais conclure en rappelant clairement ce que ne fait pas cette proposition de loi. Elle ne remet pas en cause les exceptions prévues par le droit en vigueur, qu'il s'agisse de la prise en compte de certaines prescriptions religieuses ou de règles issues de lois antérieures à la loi de 1905 – je pense notamment au statut concordataire de l'Alsace‑Moselle ou au régime particulier de la Guyane. Elle ne remet pas en question non plus la possibilité pour des partis de se revendiquer d'un héritage religieux ou philosophique, tant qu'ils ne militent pas contre le caractère laïque de notre République. Elle permet simplement de rappeler avec force et solennité que la seule communauté d'appartenance des Français est la communauté nationale, diverse, unie et fraternelle.

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