Intervention de Laurence Vichnievsky

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vichnievsky :

Merci, madame la rapporteure, pour votre exposé très clair.

Comme l'a rappelé le garde des sceaux devant la Haute Assemblée, cette proposition de loi constitutionnelle qui nous est transmise par le Sénat s'inscrit dans un contexte politique particulier, celui de la montée de l'islamisme et de la série d'attentats meurtriers que nous connaissons depuis 2015. Elle contient, pour l'essentiel, deux dispositions.

La première pose l'interdiction pour tout groupe ou tout individu de se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune. On ne peut qu'être d'accord avec un tel principe, mais son insertion dans la Constitution pose au moins deux questions.

Premièrement, qu'est-ce que la « règle commune », si ce n'est pas la loi ? On peut imaginer qu'il s'agit de l'ensemble des règles de droit en vigueur, c'est-à-dire du droit positif, censé s'appliquer dans l'État de droit : les lois, les règlements, mais aussi la jurisprudence et la coutume, l'une et l'autre évolutives, sans doute aussi certaines conventions de droit privé comme les conventions collectives, et peut-être, enfin, ce que l'on appelle le « droit mou », ce droit d'intention non contraignant que l'on retrouve de plus en plus souvent dans nos textes. Des explications ont été données par les sénateurs dans l'exposé des motifs et chacun, dans cette commission, comprend bien leur intention générale ; mais nous avons à débattre d'un texte dont la portée n'est pas précise, dans un contexte marqué par une extrême sensibilité aux problèmes qu'il est censé traiter.

Seconde question : quelle serait l'utilité de ces dispositions si elles venaient à être adoptées ? Qu'est-ce que le séparatisme islamiste serait empêché de faire par ce texte qu'il a la liberté de faire en l'état actuel de notre Constitution ? Rien, me semble-t-il. Je ne suis pas convaincue, en particulier, par les exemples donnés dans l'exposé des motifs, qu'il s'agisse de la sécurité routière, de l'enseignement et de la vie scolaire, des hôpitaux et des personnels soignants, de la détention dans les établissements pénitentiaires ou des relations de travail au sein des entreprises. Ce n'est pas la nouvelle rédaction de la Constitution qui empêcherait un maire « pro-islamistes » d'organiser des horaires aménagés dans les piscines municipales comme on en connaît quelques malheureux exemples. À l'inverse, ce n'est pas la rédaction actuelle de la Constitution qui a empêché la Cour de cassation, en 2014, d'imposer à une salariée le respect du principe de laïcité à la crèche Baby Loup de Chanteloup-les-Vignes.

La seconde disposition ajoute le principe de laïcité à ceux de souveraineté nationale et de démocratie, que les partis politiques sont tenus de respecter. Là encore, on ne peut que souscrire à l'intention des auteurs : l'État ne doit pas se mêler des religions et les religions n'ont pas à intervenir dans la conduite de l'État, et plus largement dans la vie politique. Mais là n'est pas le problème.

Notre démocratie est fondée sur la liberté des opinions la plus large possible, sans quoi l'on n'est plus en démocratie. Les limites que pose la Constitution à cette liberté sont donc réduites à l'essentiel : la souveraineté nationale, qui empêche notre nation de sombrer dans la servitude, et la démocratie, qui est le principe même de notre société, le fondement de nos institutions. Plus on ajoutera de nouveaux critères, fussent-ils porteurs de valeurs auxquelles nous sommes tous attachés, plus on limitera la démocratie.

Soyons plus concrets : ce n'est pas avec un tel ajout à l'article 4 de notre Constitution que nous empêcherons l'apparition de listes communautaires aux élections municipales, ni peut-être l'émergence d'un candidat à l'élection présidentielle se réclamant de l'islam.

La réponse est, à mon sens, d'un autre ordre. Près de six ans après l'attentat visant Charlie Hebdo, et alors que perdure l'entreprise terroriste, le moment est venu de poser la question du séparatisme islamiste et de se donner les moyens législatifs, économiques, peut-être démographiques, en tout cas sécuritaires, d'y répondre. Et d'abord de donner un nom aux choses. Je suis convaincue que le Gouvernement y est décidé.

Pour toutes ces raisons, le groupe Modem et démocrates apparentés ne votera pas cette proposition de loi.

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