Intervention de Annie Genevard

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard, rapporteure :

Certes, mais le débat en commission n'est pas inutile, monsieur Questel !

Monsieur Ciotti, vous avez souligné l'opportunité et la pertinence d'un texte qui a le courage d'adapter la Constitution aux menaces. Vous avez rappelé les dispositions adoptées par notre assemblée qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel alors même qu'elles auraient permis de renforcer la sécurité de notre pays et de notre nation : la rétention de sûreté, le délit de consultation habituelle de sites djihadistes. C'est pourquoi l'inscription d'un « état de nécessité antiterroriste » constituera peut-être, dans les mois qui viennent, un autre motif possible de révision de la Constitution.

Vous avez également évoqué le principal apport de la proposition de loi constitutionnelle, puisqu'il y est question non seulement de la religion, mais aussi de l'origine : c'est un point très important, qui n'est pas couvert par la jurisprudence constitutionnelle et qui est clairement une façon de s'opposer à un multiculturalisme qui compromet le caractère indivisible du peuple français.

Madame Vichnievsky, vous avez, comme d'ailleurs la plupart des orateurs, indiqué votre accord avec le principe affirmé par le texte, ce qui est en soi positif. Il existe plusieurs niveaux de réponse face aux attaques contre la République – la loi certes, mais aussi la Constitution. Contrairement à ce qui a pu être dit par M. Questel notamment, notre démarche ne s'inscrit pas en faux contre le projet de loi à venir du Gouvernement, qui pourra avoir son utilité ; elle est complémentaire. La Constitution réaffirme nos règles communes et le socle qui fonde notre société. Ses articles 1er et 4 sur lesquels reposent les principes qui fondent la République ; il est normal que nous proposions de conforter ces derniers. La portée de ce texte est loin d'être nulle, puisqu'il permettra d'en clarifier le sens. C'est en tout cas la position exprimée par Mme Anne Levade et par M. Jean-Éric Schoettl, et je crois qu'une telle clarification s'impose compte tenu des dangers qui menacent aujourd'hui notre pays.

Vous condamnez le caractère trop général de la notion de « règle commune », mais on pourrait en dire autant de l'intérêt général, de la proportionnalité des moyens ou d'autres notions utilisées régulièrement par le juge ou le législateur sans que cela ne soulève la même critique.

Quelle est l'utilité de cette loi ? Aujourd'hui, le juge peut hésiter sur les mesures à prendre. Vous avez cité l'exemple de la crèche Baby Loup : il a fallu cinq décisions de justice pour résoudre cette affaire compliquée alors qu'il s'agissait de trancher une question pourtant relativement simple sur la limitation proportionnée de la liberté religieuse. Nous devons aiguiller davantage le juge : c'est le rôle du législateur et du constituant.

Madame Untermaier, vous estimez que la République n'est pas en danger ; selon vous, la proposition de loi constitutionnelle serait même de nature à alimenter ce danger. Je suis en désaccord avec cette opinion. Je vous rappelle que, selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), 150 quartiers sont aujourd'hui sous le contrôle de l'islam radicalisé. Dans certains territoires, la République est bien menacée, et il importe de le reconnaître – d'abord pour ceux qui y vivent. C'est donc un message d'union nationale que nous portons. M. Questel a eu l'amabilité de faire allusion à l'entretien que j'ai accordé à un quotidien du jour : ce à quoi nous appelons, c'est à coordonner nos efforts pour affronter un danger qui nous menace et que nous avons peine à enrayer et à contrôler.

Je voudrais lever une incompréhension : nous souhaitons, non pas que les partis soient neutres, mais qu'ils respectent le principe de laïcité, c'est-à-dire l'ensemble des croyances dans un cadre républicain.

Monsieur Houbron, vous considérez que cette proposition de loi constitutionnelle donnerait une base indiscutable pour refuser certaines pratiques. C'est en effet l'objet du texte. Vous estimez qu'il vaudrait mieux enrichir le projet de loi à venir du Gouvernement. Il faut savoir qu'aujourd'hui, 70 % des employeurs sont confrontés à des questions liées à la place de la religion dans l'entreprise ; dans 20 % des cas, cela donne lieu à des situations conflictuelles. La loi « El Khomri » n'a ainsi pas permis de répondre aux difficultés constatées. En raison de l'insécurité juridique dans laquelle les chefs d'entreprise se trouvaient en cas de contentieux, nombre d'entre eux baissent les bras et renoncent à faire prévaloir un cadre laïque au sein de leur entreprise. Lorsque le ministre de l'intérieur a consulté les partis politiques sur le projet de loi – dans le cadre d'une réunion à laquelle j'ai participé au nom de mon groupe –, j'ai évoqué cette question : il m'a répondu que ce n'était pas l'objet du texte. Si cette proposition de loi constitutionnelle était adoptée, elle couvrirait, précisément parce que son champ est très large et qu'elle pose un cadre général, non seulement l'ensemble du secteur public, mais aussi l'ensemble du secteur privé : c'est là tout son intérêt.

Monsieur Bernalicis, vous avez affirmé qu'il y avait de la part des Républicains une démarche politicienne, rejoignant d'ailleurs en cela M. Questel ; vous y voyez même une opportunité au lendemain de la mort de Samuel Paty. Je trouve cette analyse absolument indigne ; qui plus est, elle est démentie par le calendrier, puisque la proposition de loi constitutionnelle a été déposée en février. Il est clair que l'actualité a percuté dramatiquement la démarche législative de nos collègues sénateurs.

Je vous rejoins sur un point : tous les citoyens doivent avoir les mêmes droits, notamment dans l'accès aux services publics – mais je ne vois pas bien le rapport avec notre proposition de loi. L'accès aux services publics, notre groupe l'a suffisamment défendu : je n'y reviendrai pas. Nous sommes en revanche en total désaccord sur le fait que l'inégalité face à ces droits justifierait de déroger à la règle commune.

En outre, les personnes qui soutiennent le communautarisme ne le font pas parce qu'ils n'ont pas accès aux services publics ou à d'autres droits, mais pour promouvoir un autre modèle de société, et c'est bien là le problème : ils défendent en réalité un programme politique, qui n'a qu'un objectif, affaiblir la République. Comment pourrions-nous l'accepter ?

Monsieur Morel-À-L'Huissier, vous avez raison de dire que la mort de Samuel Paty devrait susciter un électrochoc. Je vous remercie de signaler que ce texte offre une sécurité juridique supplémentaire – c'est aussi l'avis d'éminents constitutionnalistes. Je constate toutefois qu'entre le vote du Sénat et les prises de position d'aujourd'hui, l'électrochoc suscité par cet assassinat s'est un peu émoussé et que la politique revient au galop. Je le regrette profondément, car cette proposition de loi constitutionnelle nous invitait précisément à apporter une réponse qui soit à la mesure de l'enjeu.

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