Intervention de Éric-Dupond Moretti

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Éric-Dupond Moretti, Garde des sceaux :

Il s'agit de rendre possible l'entrée en vigueur de la réforme dans les délais impartis. Naturellement, la partie réglementaire du code ne sera examinée par le Conseil d'État qu'après la validation, par le Parlement, de sa partie législative, afin de tenir compte des modifications éventuellement adoptées par le législateur.

Fruit de réflexions et d'échanges menés depuis plusieurs années, le code de la justice pénale des mineurs s'articule autour de trois grands axes.

Tout d'abord, il s'agit de rendre la justice des mineurs plus réactive qu'elle ne l'est. Vous devez le savoir, 45 % des affaires sont jugées après que le mineur a atteint ses dix-huit ans. C'est un non-sens ! C'est pourquoi nous supprimons la phase de mise en examen du mineur, dont je rappelle qu'elle n'est encadrée par aucun délai.

La nouvelle procédure prévoit une intervention judiciaire, sous la forme d'une audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois. Cette première audience est cruciale, car elle permet de faire respecter le droit fondamental d'un mineur à ce qu'il soit statué sur sa culpabilité dans un délai raisonnable. Elle permet également de mettre en œuvre une réponse éducative plus efficace, axée sur la responsabilité du mineur, la place de la victime et la responsabilité des parents, dans un temps proche des faits reprochés. La seconde audience, consacrée au prononcé de la sanction – mesures éducatives ou peine – doit se tenir dans un délai compris entre six et neuf mois. Entre ces deux audiences, la période de mise à l'épreuve éducative donne à l'adolescent la possibilité de prendre conscience des conséquences de ses actes, et tout son sens au travail des éducateurs et des éducatrices de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Les affaires pourront être regroupées si le mineur est déclaré coupable de nouveaux faits, ce qui permettra d'éviter un empilement de dossiers disjoints générateur de perte de temps. Le principe de la césure du procès pénal connaît une exception dans deux situations clairement établies. Si la juridiction estime, à l'issue de l'audience d'examen de culpabilité, être suffisamment informée sur la personnalité du mineur, elle pourra prononcer immédiatement la sanction, dans l'intérêt du mineur. Par ailleurs, dans le cadre d'un défèrement requis par le procureur de la République, celui-ci peut, dans des conditions strictement définies, saisir directement le tribunal aux fins de jugement, notamment pour les faits les plus graves.

Il s'agit ensuite de rendre la réponse pénale plus efficace qu'elle ne l'est. Je rappelle que, contrairement à une idée reçue en la matière, 65 % des mineurs comparaissant devant le juge n'y reviennent jamais. Le premier passage à l'acte reste souvent isolé, en lien avec les problématiques de l'adolescence. C'est pourquoi il est d'une importance capitale d'y répondre immédiatement.

Dans de nombreux cas, la comparution judiciaire agit comme un électrochoc largement suffisant. L'avertissement judiciaire prononcé à l'occasion d'une audience unique, prévue par le nouveau code, s'avère alors particulièrement pertinent. Pour d'autres, la réponse éducative prendra tout son sens, car elle interviendra au bon moment, à échéance proche du passage à l'acte. S'agissant des mineurs les plus en difficulté, qui mettent en danger leur environnement social, la réponse ferme et immédiate est toujours possible, selon la procédure dérogatoire de saisine du tribunal aux fins de jugement en audience unique. Même si la proportion de réitérants – 16,6 % – et celle de récidivistes – 2 % – demeurent faibles parmi les mineurs poursuivis, nous ne pouvons tolérer que l'accumulation de passages à l'acte reste sans réponse pénale.

Notre réforme consiste à rapprocher l'intervention judiciaire du passage à l'acte. Toutefois, seul le temps judiciaire est raccourci. Le temps éducatif retrouve toute sa place et toute sa plénitude. Ainsi, la mesure unique éducative reste souple et adaptable à la personnalité du mineur. Elle comporte plusieurs modules – insertion, placement, réparation et santé –, qui peuvent être prononcés de façon alternative ou cumulative, tout au long de la prise en charge du mineur. Un socle commun, désormais cohérent, permet d'adapter sa prise en charge à l'évolution de son comportement. Le temps éducatif est consacré. Il s'inscrit dans un continuum : il sera possible de bénéficier d'une mesure éducative pendant cinq ans, et ce jusqu'à vingt et un ans.

Assurer une réponse pénale efficace consiste aussi à se donner les moyens de limiter le recours à la détention provisoire, qui a atteint des niveaux historiques au cours des dernières années – plus de 80 % des mineurs incarcérés en 2020, contre 59 % en 2010. Le code de la justice pénale des mineurs vise à corriger cette tendance par deux moyens. Nous ajoutons d'abord des conditions à la révocation du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence sous surveillance électronique. La révocation ne sera désormais possible qu'en cas de violations graves et répétées de ses obligations par le mineur. Par ailleurs, nous reprenons intégralement le « bloc peine » issu de la LPJ, ce qui contribuera encore à diminuer le nombre de mineurs incarcérés. Ainsi, par le biais de délais de jugement raccourcis, de critères de recours à la détention provisoire plus restreints et d'une réponse éducative cohérente et efficace, la réforme doit redonner du sens à la sanction.

Enfin, il s'agit de rendre la justice des mineurs plus lisible. J'insiste sur le fait qu'une place est désormais reconnue aux victimes, qui seront convoquées dès la première audience d'examen de culpabilité, sans devoir attendre l'issue d'une procédure officieuse inconnue. Si certains coauteurs sont majeurs, une audience unique devant le tribunal correctionnel sera désormais possible, afin de statuer sur leurs intérêts civils.

Par ailleurs, l'application du principe du contradictoire, dans l'enceinte du tribunal pour enfants ou dans le cabinet du juge des enfants, participe au relèvement éducatif du jeune, qui prendra conscience de ses actes avec plus d'acuité si les victimes sont présentes ou représentées. Pour leur part, les victimes doivent comprendre les parcours des jeunes délinquants pour mieux appréhender les sanctions adaptées au profil de celui qui leur a causé un préjudice.

Il importe également de rendre lisible la justice des mineurs pour les acteurs judiciaires qui sont chargés de l'appliquer. Car cette réforme rend aussi cohérente la procédure pour les professionnels de la justice des mineurs. Je tiens ici à témoigner avec force de l'importance de leur mission. Procureurs, juges des enfants, assesseurs, avocats, éducateurs œuvrent tous dans un seul et même objectif : préserver l'intérêt du mineur. Une justice spécialisée ne doit plus être synonyme de complexité et d'opacité pour ceux qui la mettent en œuvre.

Je tiens à assurer toute la transparence sur les moyens consacrés à la mise en œuvre de cette réforme, afin de répondre à des inquiétudes légitimes. Des moyens supplémentaires sont prévus, notamment le recrutement de 72 magistrats en 2021, ce qui portera leur nombre à près de 500. S'agissant des greffiers, 413 recrutements sont prévus entre la fin de l'année 2019 et la fin de l'année 2020. Il faut ajouter à ces effectifs le renfort global des juridictions, dans le cadre de la mise en œuvre de la justice de proximité, à hauteur de 914 recrutements de juristes assistants et de renforts pour les greffes. Au sein de la PJJ, on compte au total 252 nouveaux emplois entre 2018 et 2022. En complément, 86 éducateurs viennent d'être recrutés dans le cadre du budget alloué à la justice de proximité. L'adaptation des outils informatiques est renforcée, grâce à l'augmentation des budgets de fonctionnement et d'investissement. Nous ajusterons ces moyens, le moment venu, aux éventuelles modifications issues du travail parlementaire, et travaillons en tout état de cause à la préparation de solutions pour l'entrée en vigueur du code, afin de sécuriser la mise à disposition des outils.

S'agissant de l'impact de la crise sanitaire, nous avons étudié avec précision l'état des stocks, au sein de chaque juridiction des mineurs et à chaque étape de la crise, afin de livrer un état des lieux objectif permettant d'attribuer des moyens ciblés. Par ailleurs, mes services assurent une préparation rapprochée de l'entrée en vigueur de la réforme, afin de répondre aux besoins des professionnels. Je viens notamment d'adresser une circulaire aux juridictions visant à leur proposer une méthode d'apurement des stocks. Ces outils et ces méthodes seront déployés par une mission dédiée de l'inspection générale de la justice (IGJ), dont les membres se rendront dans les juridictions les plus fragiles pour les accompagner.

Le grand Saint-Exupéry a écrit : « On est de son enfance comme on est d'un pays ». Donner aux mineurs concernés la chance d'être autre chose que des délinquants, les protéger et protéger la société, tel est le véritable enjeu du texte que je vous présente, et dont je suis heureux de débattre avec vous.

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