Intervention de Jean Terlier

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier, rapporteur :

Avant de détailler les principaux axes de la réforme, j'aimerais avoir une attention particulière à l'égard de votre prédécesseure, monsieur le Garde des sceaux. Je remercie Mme Nicole Belloubet d'avoir eu le courage d'initier la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, tant attendue depuis une quinzaine d'années. En effet, elle était devenue illisible pour les praticiens concernés, notamment en raison de ses quarante modifications. Je la remercie également, ainsi que vous-même, de la méthode retenue, notamment en prenant l'engagement qu'un débat parlementaire aura lieu avant l'entrée en vigueur de ce nouveau code, initialement prévue le 1er octobre 2020 et reportée au 31 mars 2021. Je la remercie aussi de s'être engagée à faire participer la représentation nationale aux travaux de réflexion sur la réforme de la justice pénale des mineurs, tenant ainsi compte des préconisations du rapport d'information rédigé par Cécile Untermaier et moi-même. Il me semble que nous avons été entendus sur de nombreux points, ce qui témoigne de la force du travail parlementaire. Enfin, je la remercie, ainsi que vous-même, d'avoir pris l'engagement de créer un groupe de contact, ayant vocation à réunir des membres de tous les groupes politiques composant le Parlement. Il a conclu ses travaux vendredi dernier, en votre présence.

Par ailleurs, j'aimerais avoir une attention particulière à l'attention de nos collègues en rappelant que l'abrogation de l'ordonnance de 1945, parfois perçue comme un totem, au profit de l'adoption du code de la justice pénale des mineurs, sera réalisée en veillant à conserver ses principes fondateurs, auxquels le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle : la primauté de l'éducatif sur le répressif – le prononcé d'une peine sera toujours subsidiaire par rapport au prononcé d'une mesure éducative ; la spécialisation des juridictions – des magistrats spécialisés appliqueront des procédures adaptées ; l'atténuation de la responsabilité pénale – un mineur ne doit jamais être jugé comme un majeur. Le code de la justice pénale des mineurs nourrit l'ambition de reprendre ces principes, notamment dans le cadre de son article préliminaire.

J'en viens aux grands axes de la réforme, notamment quatre d'entre eux.

S'agissant de l'âge de la responsabilité pénale, la réforme introduit une présomption d'absence de discernement pour les mineurs de moins de 13 ans et, a contrario, reconnaît une présomption de discernement pour les mineurs âgés d'au moins 13 ans. Une telle mesure était attendue à plusieurs titres. Elle permet à la France de respecter ses engagements internationaux, notamment ceux pris dans le cadre de la Convention internationale des droits de l'enfant. Au demeurant, l'âge de 13 ans correspond, dans l'ordonnance de 1945 comme dans le nouveau code de la justice pénale des mineurs, à l'âge en deçà duquel un mineur ne peut pas être condamné à une peine, placé en garde à vue ou astreint à une mesure de sûreté. Par ailleurs, il s'agit d'une présomption simple de discernement ou d'absence de discernement, qui peut être renversée si la démonstration est faite que le mineur était doué ou non de discernement au moment des faits. Cet assouplissement de la procédure permettra, dans certains cas, de débattre de façon contradictoire de la question de la responsabilité pénale du mineur, selon qu'il aura quatorze ou douze ans. À l'heure actuelle, la question du discernement est trop peu abordée devant les juridictions. Grâce à cette mesure, elle le sera davantage, ce qui est une bonne chose.

Le deuxième axe de la réforme consiste à instaurer une procédure plus simple, plus rapide et plus lisible pour les mineurs. En effet, les nombreuses modifications de l'ordonnance de 1945 lui ont fait perdre sa cohérence ; les renvois au code pénal et au code de procédure pénale ont rendu la procédure applicable aux mineurs particulièrement longue et complexe. Ainsi, la procédure devant le juge des enfants repose sur une instruction préparatoire obligatoire, comprenant une mise en examen, une phase d'information préalable, un renvoi devant la juridiction de jugement et le prononcé de la culpabilité, ainsi que de la peine, le cas échéant. Le recours à l'instruction préparatoire allonge les délais de jugement, qui s'établissent en moyenne à 17,8 mois, et amène à recourir de façon excessive à la détention provisoire des mineurs, alors même que, dans de nombreuses affaires, l'établissement de la culpabilité est simple et ne nécessite aucune investigation complémentaire.

Cette procédure a été fragilisée par le principe d'impartialité du juge, consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 8 juillet 2011, a considéré que le juge des enfants ne pouvait cumuler les fonctions d'instruction et de jugement. La réforme de la justice pénale des mineurs propose donc de supprimer la phase de mise en examen, qui s'avère peu adaptée, car elle est juridiquement construite autour de la manifestation de la vérité, et non autour de l'accompagnement éducatif du mineur. Il s'agit de la remplacer par une procédure en deux étapes : une audience de culpabilité, dans un délai compris entre dix jours et trois mois après la convocation du mineur, et une décision, six à neuf mois plus tard, sur la sanction. La période intermédiaire sera consacrée à une mise à l'épreuve éducative.

Cette réforme présente de nombreux avantages. Elle offre au juge la possibilité de se prononcer rapidement sur la culpabilité du mineur, donc de lui donner une réponse lisible. Elle permet de mettre en place un travail éducatif avec le mineur, en s'appuyant sur le jugement de culpabilité. À l'heure actuelle, les suivis éducatifs, en phase pré-sententielle, se heurtent parfois à la résistance des mineurs, qui se disent innocents et ne comprennent pas pourquoi ils doivent se soumettre à un suivi judiciaire. La déclaration de culpabilité fournira aux services éducatifs une base de travail pour permettre la prise de conscience, par le mineur, de la loi pénale et de sa responsabilité.

Par exception au principe de la procédure en deux étapes, le code de la justice pénale des mineurs prévoit, dans deux cas, une audience unique permettant de statuer simultanément sur la culpabilité et sur la sanction.

Cette nouvelle procédure présente enfin l'avantage de favoriser une réponse rapide à la victime, dont le statut peut être reconnu dès l'audience de culpabilité, grâce à la constitution de partie civile, ce qui lui permet d'obtenir une décision d'indemnisation dès cette audience.

Le troisième apport de la réforme est de limiter le recours à la détention provisoire – 77 % des mineurs délinquants sont incarcérés à ce titre –, notamment en restreignant les hypothèses dans lesquelles elle peut être prononcée.

Le quatrième axe de cette grande réforme consiste à créer une mesure unique de suivi éducatif, composée de quatre modules portant sur l'insertion, la réparation, la santé et le placement. Ils pourront être prononcés cumulativement aux autres peines.

En conclusion, je salue la réforme de l'ordonnance de 1945, qui était très attendue. Elle permettra d'instaurer une procédure plus efficace et plus lisible pour les mineurs. Certes, elle n'introduit pas un code des mineurs applicable en matière civile et pénale, mais elle constitue une avancée considérable, une première pierre à l'édifice.

Je tiens à souligner l'importance cruciale de la garantie des moyens nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme. En effet, la procédure prévue par le nouveau code, qui se caractérise notamment par des délais plus brefs, nécessite des moyens accrus, tant au siège qu'au parquet – les procureurs assistent désormais aux deux audiences –, mais également au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, car la période de mise à l'épreuve éducative de six mois n'aura de sens que si le mineur est pris en charge immédiatement par les éducateurs de la PJJ, et non au bout de quelques mois.

La mise en œuvre de cette réforme dès le 31 mars 2021 a suscité certaines inquiétudes, que vous avez vous-même relevées, monsieur le Garde des sceaux. En effet, l'année 2020 a été marquée par une grève des avocats et une crise sanitaire, qui ont conduit à une augmentation des stocks de dossiers des juges des enfants. Si un effort a été réalisé, ces dernières semaines, pour diminuer ces stocks, ils demeureront néanmoins importants au moment de l'entrée en vigueur de la réforme ; les juges des enfants devront alors appliquer des procédures différentes selon la date du dossier. Je vous remercie d'avoir apporté quelques précisions quant au renfort de soixante-dix magistrats, cent greffiers et cent professionnels de la PJJ, qui permettra de remédier à cette situation. De même, l'Inspection générale de la justice a dressé un état des lieux afin d'identifier les juridictions au sein desquelles les stocks sont les plus importants ; comme vous l'avez dit, des efforts complémentaires seront opérés dans ces juridictions pour réduire les stocks au maximum avant l'entrée en vigueur de la réforme.

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