Intervention de Alexandra Louis

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis :

Nous abordons un texte de grande ampleur, sans nul doute historique, visant à consacrer un véritable code de la justice pénale des mineurs. L'ordonnance de 1945 est le symbole d'un véritable progrès dans l'histoire de la justice française, et nous sommes nombreux à y être très attachés ; toutefois, les multiples assauts législatifs qu'elle a subis au cours des dernières décennies l'ont peu à peu privée de sa lisibilité et de sa cohérence.

L'idée de cette réforme n'est finalement pas très nouvelle. Envisagée par des gouvernements de droite comme de gauche, elle est le fruit d'une longue réflexion et d'un travail de fond important. En 2008, la « commission Varinard » a remis à Mme Rachida Dati un rapport comportant plus de soixante-dix propositions, dont celles de créer un code dédié à la justice pénale des mineurs et d'instaurer un âge de responsabilité pénale. Quelques années plus tard, Mme Christine Taubira a confié à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) la préparation d'un projet de loi et réfléchi à un mécanisme de césure, sans parvenir à concrétiser ce projet.

De nombreux travaux parlementaires ont été menés sur le sujet – je tiens à saluer le travail réalisé par nos collègues Cécile Untermaier et Jean Terlier. Sur cette base, Mme Nicole Belloubet a proposé en 2019 une nouvelle réforme et a engagé une large concertation des professionnels concernés. Elle a même réuni plusieurs parlementaires de groupes différents au sein d'un groupe de contact, qui a travaillé dans un esprit très constructif – je remercie tous nos collègues qui en faisaient partie. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a finalement habilité le Gouvernement à modifier par voie d'ordonnance les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs.

Cette ordonnance réaffirme les principes de l'ordonnance de 1945, à savoir la primauté de l'éducatif sur le répressif, l'atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l'âge et la spécialisation des juridictions pour mineurs. Nous proposerons d'y faire figurer également l'intérêt supérieur de l'enfant, un principe consacré par la Convention internationale des droits de l'enfant, qui est d'ailleurs d'application directe en droit interne.

Cette ordonnance n'instaure pas une justice pénale des mineurs plus laxiste, ni même plus répressive, mais plus efficace. Le projet de code est équilibré, conforme à nos principes ; il permet une plus grande réactivité de la justice, au bénéfice des mineurs, évidemment, mais aussi de la société.

Ce projet place les mesures éducatives au cœur du dispositif, notamment avec la nouvelle procédure de mise à l'épreuve éducative, mais aussi avec la mesure éducative unique. Il s'agit d'apporter la réponse la plus juste possible dans un délai raisonnable. Aujourd'hui, le délai moyen de jugement est de l'ordre de dix-huit mois, ce qui n'est satisfaisant pour personne – ni pour le mineur, ni pour la société, ni pour l'éventuelle victime. La nouvelle procédure en trois temps permettra de donner plus rapidement au mineur une décision sur sa culpabilité, pour se consacrer ensuite à une période d'évaluation et de suivi, dans un but éducatif. Dans le même temps, la victime pourra obtenir une décision sur les intérêts civils dans un délai enfin acceptable – c'est une avancée importante.

Ce projet marque également un progrès en instaurant une présomption simple de non-discernement pour les enfants de moins de 13 ans. À ce jour, des poursuites pénales peuvent être engagées à l'encontre d'un enfant, quel que soit son âge ; les magistrats apprécient librement si l'enfant est discernant ou non, mais la question se pose rarement dans la pratique. Cette disposition suscite donc un débat qui n'existait pas nécessairement pour les magistrats. Elle permet à la France de se conformer à ses engagements internationaux, tout en laissant aux juges des enfants une marge de manœuvre pour s'adapter à la spécificité de chaque mineur. En dessous de 13 ans, le mineur déclaré non discernant ne sera toutefois pas laissé de côté : il pourra faire l'objet d'une prise en charge spécifique à travers des mesures d'assistance éducative – ces dossiers représentent 3 % des procédures.

Les conditions de recours à la détention provisoire ont été adaptées. Aujourd'hui, 84 % des mineurs détenus le sont dans le cadre d'une détention provisoire. Ce chiffre est édifiant. L'incarcération d'un mineur doit être l'ultime recours ; elle est très difficilement comprise par le mineur, qui la vit comme une véritable peine alors que le juge n'a pas encore statué sur sa culpabilité. L'ordonnance limite ainsi le recours à la détention provisoire aux cas graves et aux mineurs réitérants ; les conditions de révocation du contrôle judiciaire sont également mieux encadrées.

Ce projet de code de la justice pénale des mineurs est une étape très importante dans l'amélioration de la justice des enfants. Il pose un premier jalon pour arriver un jour à un véritable code de la justice des mineurs, que nous sommes nombreux à souhaiter.

Monsieur le Garde des sceaux, j'aimerais vous interroger sur deux points. Je sais que vos services travaillent depuis plusieurs mois aux modalités de mise en œuvre de cette réforme, notamment à la transition avec l'ancien régime procédural. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ? En outre, s'agissant de la prise en charge et du suivi des victimes, quelle place entendez-vous donner à la justice restaurative ?

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