Intervention de Antoine Savignat

Réunion du mardi 1er décembre 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Savignat :

En novembre 2018, en plein débat sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, la Garde des sceaux déposait un amendement visant à autoriser le Gouvernement à réformer par ordonnance la justice des mineurs ; cette habilitation, adoptée, se retrouve dans la loi du 23 mars 2019. L'objectif annoncé était de répondre à la délinquance des mineurs de manière plus adaptée et plus rapide, en codifiant les dispositions qui leur sont applicables et en renforçant leur prise en charge par des mesures adaptées et efficaces avant le prononcé de la peine.

Le problème ne vient pas de la volonté de réformer l'ordonnance de 1945 – nous convenons tous qu'il faut le faire. La codification est aussi une bonne chose, pour une meilleure lisibilité, une meilleure intelligibilité du droit et une meilleure compréhension tant du travail des professionnels que des décisions auxquelles les victimes et les auteurs sont confrontés. Toutefois, la démarche entreprise ne porte que sur le volet pénal de la justice des mineurs, omettant, faute de temps – c'était l'explication donnée –, le volet socio-éducatif pourtant primordial.

Nous devons apporter une réponse aux maux de notre société et éradiquer autant que faire se peut la délinquance des mineurs, qui n'augmente pas forcément en volume, mais considérablement en violence, en importance des troubles à l'ordre public et en dommages provoqués. La priorité de notre société ne devrait-elle pas être d'accompagner les mineurs, de les protéger des dérives de la délinquance, plutôt que de mettre en œuvre un mélange maladroit d'actions éducatives et répressives pour se donner bonne conscience tout en feignant de réprimer la délinquance et de mettre un terme aux dérives quotidiennes de mineurs livrés à eux-mêmes ? Accompagner, éduquer, protéger en amont pour éviter d'avoir à sanctionner en aval avec des peines dissuasives : tel devrait être notre objectif.

L'ordonnance de 1945 adoptait une conception mixte du droit pénal des mineurs, entre le modèle tutélaire, auquel il empruntait les mesures éducatives, et le modèle pénal, auquel il empruntait les peines, utilisées en dernier ressort, de manière subsidiaire. De cette dualité, nous avons fait une mauvaise synthèse, prisonniers que nous sommes du souhait légitime de protéger l'intérêt supérieur de l'enfant et de respecter ses droits fondamentaux et les principes énoncés par la Convention internationale des droits de l'enfant, d'un côté, et déterminés à endiguer les dérives délinquantes de notre société, de l'autre. Deux systèmes coexistent donc : ils poursuivent les mêmes objectifs, mais leurs interactions sont si complexes que leur efficacité s'en trouve affectée.

La quête d'efficacité et de rationalité dans l'éradication de la délinquance des mineurs aurait dû conduire à une réflexion globale et à la rédaction d'un code des mineurs, protecteur dans son volet assistance éducative et répressif dans son ultime volet pénal. La société a évolué depuis soixante-quinze ans : les enjeux ne sont plus les mêmes et les professionnels sont souvent désarmés pour apporter des réponses aux questions auxquelles ils se trouvent confrontés.

Le mineur de 13 ans et moins, s'il est livré à lui-même de longue date – une situation que l'on rencontre hélas de plus en plus souvent –, n'a pas le même niveau d'émancipation que le mineur suivi, accompagné et encadré. Le juge apprécie les faits qui lui sont soumis, mais également la personnalité de leur auteur, son niveau de compréhension desdits faits et sa capacité à appréhender la sanction. Le texte, dans sa rédaction actuelle, n'est pas acceptable en ce qu'il empêche le juge, dans certains cas, d'exercer sa mission première, c'est-à-dire de juger. De la même manière, le juge ne pourra pas, dans certains cas, en fonction de la personnalité de l'auteur des faits, de son implication dans la commission desdits faits, de leur gravité et de son passé judiciaire, lever l'excuse de minorité s'il a plus de 16 ans et le renvoyer devant la juridiction de droit commun. Si la peine doit conserver un aspect éducatif salvateur, elle doit aussi permettre de faire cesser le trouble à l'ordre public et réparer le préjudice de la victime.

Ce texte ne semble pas permettre d'atteindre les louables objectifs poursuivis, à savoir la protection, l'éducation et l'accompagnement du mineur, tout en mettant un terme à un fléau de notre société.

La période transitoire est un autre sujet d'inquiétude, mais vous avez commencé à nous rassurer, monsieur le Garde des sceaux. Certes, la procédure mise en place devrait permettre d'améliorer le délai de traitement des dossiers, mais il n'en demeure pas moins qu'à moyens constants, la transition risque d'être synonyme d'engorgement pour les juridictions. Nous ne pourrons vraisemblablement pas évaluer l'efficacité de cette réforme avant longtemps. Cette phase transitoire est évidemment nécessaire, mais il serait souhaitable que l'urgence à traiter ce sujet, mise en avant par le Gouvernement lors de sa demande d'habilitation à légiférer par ordonnances, conduise à l'allocation de moyens supplémentaires permettant une résorption rapide des stocks de dossiers.

Vous l'avez compris : nous attendons des signaux forts de nature à nous rassurer quant à la réelle efficacité des mesures que comporte ce texte, tant en matière éducative qu'en matière de préservation de l'ordre public et de la quiétude de nos concitoyens.

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