Je commencerai par dissiper un certain nombre de malentendus. Je rappelle d'abord que c'est le Parlement qui a autorisé le Gouvernement à confectionner cette ordonnance, comme cela se fait en matière de codification. En outre, l'article d'habilitation a très clairement encadré le travail.
J'entends déjà que les uns et les autres vont aiguiser leur vision de la société entre les laxistes d'un côté, les répressifs de l'autre – pour le dire de de façon manichéenne et caricaturale. Ce texte, je le dis très clairement, n'est pas répressif ; d'ailleurs, il ne touche pas aux sanctions à proprement parler. En revanche, il modifie la procédure pénale applicable, dans le sens de la simplification.
Je rappellerai très brièvement, en dix points, la philosophie générale de ce texte. Il s'agit de réaffirmer avec force, dans l'article préliminaire, les principes fondateurs de l'ordonnance de 1945, sur lesquels personne n'envisage de transiger, de réaffirmer qu'un enfant sans discernement ne peut être déclaré responsable pénalement, en respect de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), de rendre davantage lisibles les textes applicables, de concilier l'exigence d'impartialité du juge des enfants et la continuité du suivi des mineurs, de renforcer la cohérence du parcours pénal éducatif du mineur, de rendre lisible et prévisible la procédure pénale pour le mineur, d'améliorer la continuité, la cohérence, la lisibilité de la prise en charge éducative à la mesure éducative judiciaire unique quel que soit le nombre de procédures, de limiter la détention provisoire, bien sûr, de redonner du sens à la peine lorsqu'elle est prononcée et d'améliorer, ce n'est pas rien, la prise en charge des victimes.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de souligner le travail de Nicole Belloubet. On ne peut pas oublier non plus le rapport Varinard, ni les travaux des anciens ministres Christiane Taubira et Jean-Jacques Urvoas, ni l'ensemble des professionnels qui ont été auditionnés – en long, en large et en travers –, pour préparer ce texte. Je le rappelle pour ceux qui pensent qu'on n'a peut-être pas suffisamment discuté de cette ordonnance.
La question de la présomption irréfragable, ou non, est majeure. J'aurai l'occasion d'y répondre complètement lorsque nous examinerons les différents amendements déposés sur ce point. Je considère, pour ma part, que le juge doit disposer d'une véritable souplesse. Il ne faudrait pas qu'un mineur puisse échapper à un certain nombre de décisions, au motif que la présomption est irréfragable et devient un écueil pour le juge. Il faut toujours se souvenir que le juge doit agir dans le but de protéger le mineur. Or il ne faudrait pas empêcher le juge de prononcer des mesures peut-être plus sévères si elles doivent l'être. Nous en reparlerons et je suis ouvert à toutes les discussions sur ce point. Mais ce qui compte, et ce qui devrait nous permettre de trancher la question, c'est d'abord l'intérêt de l'enfant. C'est sous cet angle qu'il faut l'examiner et non pas comme une espèce de répression qui viendrait s'abattre sur l'enfant, cet enfant que la France n'aimerait pas. Ce n'est pas cela du tout. Cette expression, purement politique et politicienne, et opportuniste, n'a pas de raison d'être. Ce qui nous unit ici, c'est la volonté d'améliorer la justice des mineurs, la justice de ces gamins qui, demain, seront des adultes, le but étant, bien sûr, de les sortir de la délinquance.
Merci, madame Untermaier, d'avoir rappelé les vrais chiffres. Là encore, nous avons eu droit à une espèce de surexploitation politicienne... Qu'il y ait davantage de violence, je le concède. La société étant plus violente dans son ensemble, nous en retrouvons la trace dans la justice des mineurs. Mais, pour ce qui concerne les chiffres, la délinquance des mineurs reste à peu près stable. On ne peut pas s'en servir comme d'un argument politicien ou électoraliste. C'est la différence entre l'insécurité, qui existe et que nous devons combattre, et le sentiment d'insécurité qui n'est pas forcément utile. Notre société a besoin d'apaisement.
S'agissant des victimes, madame Alexandra Louis, c'est une évidence, elles sont insuffisamment prises en compte dans le cadre de l'ordonnance du 2 février 1945. Les délais sont extrêmement longs : la réponse apportée aux mineurs est tardive et, par voie de conséquence, celle apportée à la victime l'est aussi. Le même temps de latence s'applique. Ce texte affirme le principe selon lequel les décisions à l'égard des mineurs doivent tendre vers la protection des intérêts des victimes et l'indemnisation peut intervenir plus rapidement. Il prévoit la constitution de partie civile dès l'examen de la culpabilité, c'est-à-dire entre un et trois mois – c'est déjà une révolution pour les victimes. Il rend possible également le renvoi devant la chambre des intérêts civils du tribunal correctionnel, dans l'hypothèse de coauteurs ou en cas de préjudice grave et de complexité de son évaluation et de sa liquidation. Ces avancées sont de nature à rassurer nos concitoyens : les victimes d'actes commis par des mineurs seront plus rapidement prises en charge et indemnisées.
S'agissant des dispositions transitoires, les poursuites qui sont engagées devant le juge des enfants jusqu'au 30 mars 2021 iront jusqu'à leur terme, en suivant le régime procédural de l'ordonnance de 1945 ; celles qui seront engagées à compter du 31 mars, quelle que soit la date des faits, s'exerceront selon les règles prévues par le code de justice pénale des mineurs. Une exception toutefois : l'application immédiate des règles prévues par le CJPM relatives aux mesures de sécurité. Concernant l'entrée en vigueur des dispositions de fond, je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler les règles constitutionnelles sur la non-rétroactivité de la loi pénale. Enfin, la mesure éducative judiciaire présente un contenu identique aux mesures et sanctions éducatives qui existaient sous l'empire de l'ordonnance de 1945 ; cela ne pose donc pas de difficulté en matière de transition.
Monsieur Savignat, je vous ai écouté attentivement et durant une très grande partie de votre intervention, vous n'avez en réalité pas posé de question. Vous avez exprimé votre vision de la justice pénale des mineurs en faveur d'une sévérité accrue – je respecte votre positionnement, mais ce n'est pas le mien, ni ma sensibilité. Vous vous êtes arrêté en revanche sur la question du code et de son étendue. Le travail légistique était très important, avec des dispositions disséminées dans plusieurs codes : code civil, code de l'action sociale et des familles, etc. Il n'était donc pas possible de réformer en profondeur la procédure pénale et de codifier toutes les autres dispositions, eu égard aux délais très clairement définis. À l'impossible, nul n'est tenu ! En revanche, là où je vous rejoins, c'est que le code de justice pénale des mineurs peut être une étape vers un futur code de l'enfance, ce qui serait cohérent, je l'entends bien.
Toutes les questions que vous avez évoquées, monsieur Balanant, nous préoccupent beaucoup et nous sommes mobilisés, de façon générale, pour la sauvegarde des enfants. Nous avons saisi qu'il y avait d'importantes difficultés de coordination entre les différents services, à l'origine de plusieurs dizaines de morts chez les petits que nous avons la charge de protéger. Tout cela, parce que les services ne communiquent pas ! C'est pourquoi nous avons mis en place récemment des instances de concertation quadripartites, comprenant les juges des enfants, les conseils départementaux, les parquets et la PJJ. Beaucoup reste à faire sur ces questions, notamment en matière de détection, qui relèvent de compétences interministérielles : l'éducation nationale, qui est souvent le déclencheur, le vecteur par lequel les choses sont dites ; la santé, avec le secret médical qui nous est opposé ; se pose aussi le problème du suivi des mineurs quand les parents changent de région. Nous travaillons sur ces sujets, qui sont un peu à la marge – non pas que nous nous en désintéressions – du texte que nous examinons aujourd'hui. Sachez en tout cas que le Gouvernement a pris la mesure de ce qu'il convient de rectifier, d'aménager, d'améliorer. Je sais à quel point vous êtes investi en la matière et je vous en remercie.
Je vous remercie, madame Untermaier, pour votre investissement et votre travail sur ces questions. Je sais à quel point vous souhaitez que les enfants, les mineurs soient protégés comme ils doivent l'être dans notre grand pays de France. Vous avez raison, la détention provisoire a atteint un niveau historique ces dernières années sans que pour autant la délinquance des mineurs n'évolue. Mais lorsqu'il y a davantage de violence, la société réclame plus de répression. La corrélation entre l'arrêt de la délinquance et l'accentuation de la répression, surtout pour des gamins, est pourtant loin d'être établie. J'ai l'habitude de dire que s'il suffisait de cogner, et de cogner fort pour connaître la rémission des crimes – au sens d'arrêt des crimes –, il y a des siècles que nous le saurions ! Je ne crois pas à l'exemplarité, s'agissant de gamins. Elle ne peut venir qu'à partir du moment où il y a eu une évolution, une éducation, un suivi, un apprentissage. « Chaque homme s'accroche désespérément à sa mauvaise étoile », a dit Cioran. J'ai beaucoup pensé à cette phrase lorsque j'ai rencontré les gamins du centre éducatif fermé (CEF) que je suis allé visiter. C'était terrible ! Les avocats présents dans cette salle le savent comme moi, les gamins qui ont été aimés, qui sont issus de milieux favorisés socialement, sociologiquement, culturellement, ne franchissent jamais le box de la cour d'assise, ou c'est l'exception qui confirme la règle. Il y a tellement de choses à rattraper pour certains mineurs ! C'est en cela que le volet éducatif est absolument essentiel.
Le texte restreint les hypothèses de prononcé de détention provisoire. Or j'ai déjà lu, c'est extraordinaire, – nous vivons vraiment une époque manichéenne et sans nuance –, qu'il s'agissait d'un texte répressif. C'est totalement faux ! Au contraire, il réaffirme les droits de l'enfant en prévoyant un encadrement plus strict des mesures de sûreté susceptibles de conduire à la détention provisoire et la limitation de la durée de celle-ci. Nous serons, je pense, en phase sur la philosophie de ce texte, que l'on ne peut pas exploiter à des fins politiciennes, parce qu'il est des sujets qui doivent transcender les clivages politiciens.
Monsieur Houbron, ce texte, finalement, partage la même philosophie que la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité sur laquelle nous avons travaillé la semaine dernière : celle de la rapidité de la réponse pénale. Une réponse pénale juste, c'est essentiel. Si un gamin a le sentiment d'avoir été trop sévèrement jugé, cela peut générer chez lui une catastrophe. Une justice juste, rapide et systématique : nous sommes bien dans un continuum.
S'agissant des EPIDE, je n'en suis pas le père, puisque leur idée a été développée par bien d'autres que moi, notamment M. Ciotti. Pour ce qui est de l'armée et des mineurs, ce qui compte dans la justice des mineurs, c'est l'individualisation. C'est pour cela que l'on rediscutera de la présomption irréfragable ou non. Il faut évidemment individualiser. Les professionnels de la justice des mineurs le savent. Autant cela peut démolir un gamin d'aller dans une structure un peu rigide, autant cela peut apporter beaucoup à un autre, fait différemment, et le sauver. J'ai demandé à Mme Parly de nous donner un coup de main. Nous voulons travailler sur ce sujet avec les services pour essayer de trouver quelque chose qui ait de l'allure. Je pense aussi que, quand on regarde un gamin avec respect, il devient respectable et vous respecte. L'armée peut avoir ce rôle‑là. Cela ne veut pas dire, comme le prétendent certains, notamment à la PJJ, que je veux envoyer tous les mômes à l'armée. Pas du tout ! Nous reviendrons sur cette question qui me tient à cœur. Vous êtes le bienvenu si vous souhaitez vous joindre à mes services qui travaillent sur ce sujet.
Monsieur Zumkeller, il n'y a pas de CRPC pour les mineurs, je vous rassure. Une composition pénale adaptée est cependant possible, qui permet la mise en œuvre de mesures de réparation efficaces pour les faits commis dans le cadre d'un parcours éducatif. Le juge doit disposer d'un panel de réponses pénales. La composition pénale est, par ailleurs, validée par le juge des enfants. C'est une garantie supplémentaire.
Monsieur Clément, nous sommes d'accord sur la philosophie du texte. Le CJPM, c'est sortir d'une logique de dossier pour adopter une logique de parcours, ce qui est particulièrement intéressant : regroupement de toutes les affaires ; audiences de sanction individualisées ; mesures éducatives globales, évolutives et modulables ; suivi au long cours par le même juge et le même éducateur – c'est fondamental, parce qu'il se crée un lien particulier. Le CJPM, je le redis, ne traduit aucune dérive répressive mais un juste équilibre entre tout ce qui nous préoccupe. Les dérives sémantiques sont fréquentes par les temps qui courent. Nous avons été privés de notre liberté pour des raisons qui tiennent à la situation sanitaire et j'entends partout des cris d'orfraies. On ne peut pas tout mélanger ! Il est très important de redire quelle est la philosophie de ce texte. J'ai lu que nous étions à nouveau liberticides. Moi, le sort des gamins me préoccupe, comme il vous préoccupe.
Monsieur Bernalicis, vous dites que la France n'aime pas ses enfants.