Intervention de Yaël Braun-Pivet

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYaël Braun-Pivet, présidente, rapporteure :

Nous sommes réunis pour examiner un bilan de la mise en œuvre des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.

L'article 5 de la loi SILT a en effet prévu, pour ces dispositions, un contrôle parlementaire « renforcé », que la commission des Lois a confié à Raphaël Gauvain, qui était le rapporteur du texte, à Éric Ciotti, qui en est le rapporteur d'application, et à moi-même en ma qualité de présidente. Nous avons donc mené ce contrôle à trois et je tiens à remercier mes deux collègues car nous avons travaillé de façon très constructive et harmonieuse.

Nous avons effectué de multiples auditions à l'Assemblée nationale et des déplacements dans des préfectures ou des maisons d'arrêt. Nous avons également auditionné avec vous, à plusieurs reprises, le ministre de l'Intérieur. Nous vous avons rendu compte de nos travaux régulièrement. Je crois que, de ce point de vue, nous avons rempli notre mission.

Je commencerai en vous présentant un rapide bilan quantitatif de l'application des mesures de la loi SILT, illustré par des tableaux. Puis Éric Ciotti et Raphaël Gauvain vous présenteront nos propositions.

Les articles 1er à 4 de la loi SILT ont introduit quatre grandes dispositions dans notre droit. La première, objet de l'article 1er, est relative aux périmètres de protection, qui permettent de sécuriser des sites ou des événements présentant un risque terroriste. Ceux-ci ont été utilisés très largement, mais de façon resserrée. Conséquence du confinement et de l'annulation de plusieurs événements festifs qui font d'habitude l'objet de périmètres de protection, cela a moins été le cas la troisième année. Le recours à ces périmètres est habituellement inégalement réparti dans l'année, avec des moments « phares » en juillet et en décembre, en lien avec les célébrations du 14 juillet et les marchés de Noël. Nous recevons tous les actes relatifs à ces périmètres, qui respectent la législation que nous avons instaurée.

Les graphiques dont vous pouvez prendre connaissance, qui figureront dans le rapport, illustrent le fameux continuum de sécurité qui est à l'œuvre dans la mise en œuvre des périmètres de protection, qui mobilisent nos forces de police, nationale ou municipale, et des agents de sécurité privée.

Au regard de la répartition géographique, on constate que, dans certaines zones, les périmètres de protection sont utilisés beaucoup plus souvent : la région parisienne et les zones frontalières avec la Belgique, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Les usages étant effectivement associés aux événements qu'il convient de protéger, nous avons peu de remarques à faire sur l'utilisation qui a été faite de ces périmètres.

L'article 2 de la loi SILT vise la fermeture des lieux de culte, question dont nous avons débattu régulièrement. Si huit fermetures seulement sont intervenues en vertu de la loi SILT, la procédure que nous avions imaginée a été perçue positivement car elle a permis d'instaurer du contradictoire et des voies de recours, et d'atteindre nos objectifs : permettre le remplacement des équipes dirigeantes de lieux de culte pour ne pas attenter à la liberté de culte et à la liberté religieuse, tout en fermant les lieux de diffusion d'idées terroristes. Nous avons donc constaté une utilisation parcimonieuse de cette disposition et nous ferons des propositions pour étendre les possibilités de fermetures de lieux de culte.

Les mesures individuelles de contrôle et de surveillance (MICAS), prévues à l'article 3, ont été particulièrement bien utilisées. Au total, pendant les trois années d'application de la loi SILT, 349 MICAS ont été prises, concernant 301 personnes. Nous observons une bonne appropriation de cet outil. Nous recevons en continu les actes anonymisés des MICAS et constatons que celles-ci sont à chaque fois correctement motivées et que le ministère de l'Intérieur a, en la matière, une doctrine bien établie. Les MICAS sont très appréciées par les services de renseignement pour faire face à la menace terroriste et leur utilisation monte en puissance.

Nous avons distingué les MICAS en fonction des obligations auxquelles les personnes concernées peuvent être soumises. L'article le plus mobilisé est le L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit les mesures les plus restrictives de liberté : l'interdiction de sortir d'un périmètre et l'astreinte à une obligation de pointage. Pour 75 % des personnes astreintes à une MICAS, le périmètre de déplacement est restreint à la commune. Pour quasiment 95 % des personnes soumises à une obligation de pointage, celui-ci est quotidien, 5 % seulement des intéressés devant pointer moins régulièrement. Cela montre – nous en avions débattu à l'occasion de nos échanges sur les sortants de prison – que cet outil est vraiment le plus utile pour les services et que plus le pointage est resserré et fréquent, plus le contrôle est efficace.

Environ un quart des interdictions d'entrer en relation s'appliquent à une seule personne. Pour les interdictions de paraître, on voit que l'autorité administrative essaye de prendre des mesures strictement proportionnées et adaptées.

Le graphique montre les raisons pour lesquelles une MICAS peut faire l'objet d'une abrogation – pour soixante-deux d'entre elles, il s'agit d'une incarcération de la personne. Parmi les nouvelles incarcérations, quinze tiennent au non-respect des obligations des MICAS et quarante-sept à un autre motif. La loi n'a donc pas créé ce que certains avaient appelé une « camisole administrative » qui pousserait les personnes à la faute à cause du nombre élevé d'obligations auxquelles elles seraient soumises. Le nombre d'incarcérations de personnes ayant fait l'objet d'une MICAS est bien davantage dû à d'autres infractions qu'à une violation de leur MICAS.

Le renouvellement des MICAS a également fait débat entre nous. D'une durée initiale de trois mois, 24 % des MICAS n'ont pas été renouvelées et 58 % l'ont été une fois, atteignant ainsi au plus six mois. Un deuxième renouvellement portant la durée totale à neuf mois n'intervient que dans 13 % des cas, et un troisième, allant jusqu'à un an, que dans 5 % des cas. Nous avions posé plusieurs conditions au renouvellement des MICAS et, en tout état de cause, leur durée est limitée à douze mois. Ainsi l'autorité administrative est-elle conduite à limiter les renouvellements parce qu'elle ne dispose pas nécessairement des éléments suffisants, mais aussi parce qu'elle garde du temps de MICAS disponible pour pouvoir, le cas échéant, en prononcer une nouvelle en respectant la décision du Conseil constitutionnel de ne pas excéder une durée d'un an cumulée. Cela explique aussi le faible nombre de deuxième et de troisième renouvellements.

Beaucoup de personnes ayant fait l'objet d'une MICAS ont aussi fait l'objet d'une condamnation pénale. C'est normal puisqu'il s'agit de profils à haut risque et de personnes qui ont le plus souvent un casier judiciaire assez « chargé ». Parmi les 153 personnes condamnées pour des faits de droit commun, 144 l'ont été pour des faits de violence et sont en état de multirécidive. Parmi les personnes placées sous MICAS, 115, soit 38 %, ont des antécédents judiciaires pour des faits de terrorisme et 58, soit 19 %, pour apologie du terrorisme. Nous sommes vraiment face à de « gros profils ». 20 % des personnes ayant fait l'objet d'une MICAS présentent par ailleurs des troubles psychiatriques.

L'analyse des nationalités déconstruit certaines idées reçues : 91 % des personnes sous MICAS sont de nationalité française, 9 % de nationalité étrangère. De fait, les MICAS sont prononcées pour des personnes qui résident sur notre territoire, alors que, bien souvent, celles qui ont des casiers chargés et dont on soupçonne des activités en lien avec le terrorisme font l'objet de procédures d'expulsion à la sortie de prison, avec une rétention en centre de rétention administrative (CRA).

On observe, par ailleurs, une montée en puissance des MICAS pour les sortants de prison, sujet qui nous a fortement mobilisés. Entre novembre 2019 et octobre 2020, 83 sortants de prison ont fait l'objet d'une MICAS. Tous les sortants de prison radicalisés font l'objet d'un passage en revue des services de renseignement pour savoir quel doit être leur niveau de suivi et tous ceux qui sont dans le « haut du spectre » font l'objet d'une MICAS et d'un suivi.

Dernier article soumis à notre contrôle, l'article 4 est relatif aux visites domiciliaires, dispositif assez complexe du fait qu'il constitue une atteinte importante aux libertés – il s'agit d'aller au domicile d'une personne pour réaliser une perquisition administrative. Après une montée en puissance assez lente, l'outil a connu une bonne appropriation à la fois par les autorités administratives et par le juge des libertés et de la détention (JLD) parisien, spécialisé en la matière. Le recours à ces dispositifs s'est accru – très fortement, d'ailleurs, après l'assassinat de Samuel Paty.

Au total, au 30 octobre 2020, les préfets ont formulé 406 requêtes de visites domiciliaires, donnant lieu à 237 autorisations du JLD et 45 refus, plusieurs requêtes étant toujours pendantes ; 194 visites ont été effectuées donnant lieu à 110 saisies. Tous les intervenants nous ont dit que ces visites sont très utiles pour procéder à des levées de doute.

Sans surprise, on retrouve pour la répartition géographique des visites domiciliaires les mêmes zones que pour les périmètres de protection et les MICAS. Nous proposons dans notre rapport que les ministères de la Justice et de l'Intérieur rédigent une circulaire pour harmoniser les motivations et le processus des requêtes préfectorales afin que le JLD de Paris puisse mieux y répondre.

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