Je tiens, à mon tour, à souligner l'excellente qualité du contrôle que nous avons conduit avec la présidente de la commission des Lois et Raphaël Gauvain. Nous avons multiplié les auditions et obtenu les renseignements et éléments d'information nécessaires à la rédaction de notre rapport.
À l'issue de ce contrôle, j'exprimerai essentiellement les mêmes réserves que lors de l'examen du projet de loi SILT, qui m'avaient conduit à ne pas voter celui-ci, non par refus d'une politique d'accroissement de nos dispositifs de sécurité, mais par conviction que le niveau de sécurité s'en trouverait dégradé par rapport au régime d'état d'urgence instauré par la loi du 3 avril 1955. Je crois que la dégradation du niveau de sécurité s'est malheureusement confirmée. La loi de 1955, telle qu'elle était en vigueur du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, était censée entrer dans le droit commun par la loi SILT, mais c'est un peu une figure de l'esprit, voire une tournure politique que de dire que nous avons introduit dans le droit commun les dispositions de l'état d'urgence : celles de la loi SILT sont très différentes, leurs implications en matière de sécurité sont beaucoup plus faibles et ne permettent pas de garantir le même niveau de sécurité.
Je commencerai par une analyse quantitative. Les mesures prises dans le cadre de la loi SILT ont été considérablement moins nombreuses que celles prises sous le régime de la loi de 1955 : au 30 octobre 2020, 349 MICAS avaient été prononcées contre 754 assignations à résidence sous le régime de l'état d'urgence, soit près de deux fois moins, et 194 visites domiciliaires ayant donné lieu à 108 saisies ont été effectuées, contre 4 469 perquisitions administratives sous le régime de l'état d'urgence – le rapport est cette fois quasiment de un à dix.
Le nombre de fermetures de lieux de culte – huit ! – est franchement ridicule. Le Gouvernement semble prendre conscience de ces difficultés puisque des possibilités plus larges de fermetures de lieux de radicalisation sont envisagées dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Cela souligne l'erreur qui a été commise avec la loi SILT – certains d'entre nous n'avaient pourtant pas manqué de le souligner – et la faiblesse de ses préconisations en la matière.
Du point de vue qualitatif, les mesures ouvertes par la loi SILT revêtent une efficacité beaucoup plus faible et je vais essayer de vous en donner la preuve. S'agissant des assignations à résidence, sous le régime de l'état d'urgence, il était possible d'imposer à une personne de résider douze heures par jour à son domicile – à la suite d'un amendement que j'avais fait adopter visant à allonger la durée de neuf heures applicable dans les premiers moments de l'état d'urgence après le 13 novembre 2015. Il était aussi possible d'imposer de pointer trois fois par jour au commissariat ou à la gendarmerie. Avec les MICAS, il est seulement possible de restreindre les déplacements d'une personne au sein d'une commune. Le périmètre d'assignation est donc passé du domicile à la commune et l'on voit la difficulté que cela pose, notamment dans les grandes métropoles telles que Paris, Lyon, Lille, Marseille ou Nice. Qui plus est, il est possible de limiter le pointage à un seul par jour.
Les députés Les Républicains avaient souligné la faiblesse du dispositif. Nous mesurons plus que jamais qu'il conviendrait – proposition qui déborde sans doute le cadre de la loi SILT – de changer de périmètre et d'aller beaucoup plus loin dans la volonté de mettre en place ces contrôles individuels administratifs.
Globalement, l'action du Gouvernement me paraît manquer d'une ligne directrice claire et donne l'impression quasi systématiquement d'être un peu « à la remorque » des événements. Le nombre de visites domiciliaires, malheureusement, confirme cette analyse. Avant les attentats qui ont frappé notre pays à partir de septembre 2020, que ce soit contre les anciens locaux de Charlie Hebdo, contre Samuel Paty, à la basilique Notre‑Dame de Nice, seulement trente visites avaient été diligentées depuis le début de l'année 2020. Il y en a eu beaucoup plus depuis octobre : les préfets ont émis plus de requêtes en sept semaines qu'en trois ans !
Encore une fois, malheureusement, l'action conduite s'est trop souvent résumée à agir après les événements plutôt qu'elle ne les a anticipés. Le régime de l'état d'urgence, dont vous avez compris que je le préfère très largement à celui de la loi SILT, devait permettre d'anticiper les événements, de prévenir le passage à l'acte. Or on s'aperçoit que ses outils sont utilisés de façon plus forte après les attentats ; c'est une aberration et le manque d'anticipation est flagrant. Pour que les outils disponibles aient une efficacité maximale, leur opérationnalité devrait être beaucoup plus forte.
S'agissant des sortants de prison, nos auditions ont été très éclairantes, notamment celle du procureur national antiterroriste, M. Jean‑François Ricard, ou celle du président du tribunal judiciaire de Paris, M. Stéphane Noël. Je garde en mémoire – c'est l'audition qui m'a le plus marqué – les mots du procureur national antiterroriste qui nous a dit être saisi d'une « peur panique » face à la dangerosité des sortants de prison, et a souhaité qu'on bouche ce trou béant dans notre protection. Cela a conduit, madame la présidente, à la proposition de loi que vous avez défendue, que j'ai votée, mais dont nous savons ce qu'il est malheureusement advenu.
Je dis très solennellement qu'il faut traiter en urgence absolue la situation de ceux qui sont appelés à sortir de détention, et prendre des mesures très claires de surveillance afin d'empêcher que ceux qui se sont radicalisés en prison alors qu'ils étaient des détenus de droit commun ne puissent passer à l'acte. La mesure la plus efficace serait une rétention de sureté, qui contribuerait à mieux protéger nos concitoyens contre les criminels terroristes dangereux – vous savez que c'est chez moi une conviction constante, que je défends depuis plusieurs années.
Pour reprendre la formule imagée de l'ancien procureur de Paris, M. François Molins, chargé des questions de terrorisme au plan national avant la création du parquet national antiterroriste (PNAT), « on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ». Il mettait ainsi en lumière les difficultés des procédures dites de déradicalisation, qui ont montré leurs infinies limites. Il indiquait aussi : « lorsqu'on tombe sur des individus imprégnés par cette idéologie mortifère, les maintenir enfermés n'est peut-être pas la mission la plus noble, elle a au moins l'impérieuse vertu de protéger la société. » Or la protection de notre société n'est pas au rendez-vous ; il faut établir cette protection pour éviter de nouveaux drames. La censure du Conseil constitutionnel – nous n'avons pas à la commenter mais à en tenir compte, ce qui n'a pas été fait jusqu'alors – exige que nous ayons une réaction à la hauteur de la faiblesse du dispositif de sécurité dont elle est à l'origine.
Malheureusement, cette décision s'inscrit dans une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui me paraît extrêmement préoccupante. En décembre 2017, le Conseil constitutionnel a annulé la disposition sanctionnant pénalement la consultation régulière de sites djihadistes, dont nous avions obtenu, avec mon collègue Guillaume Larrivé et le président de la commission des Lois du Sénat Philippe Bas, l'introduction dans la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cette censure montrait déjà à quel point le Conseil constitutionnel s'était enfermé dans une forme de naïveté face aux menaces terroristes. Sa constance dans cette évolution, que l'on pourrait peut-être qualifier de dérive, s'est ensuite traduite par la censure de l'article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence autorisant le préfet à ordonner des contrôles d'identité ou des fouilles de véhicules, deux mesures indispensables pour disposer d'outils juridiques efficaces dans notre lutte contre le terrorisme islamiste. Enfin, la décision du 6 juillet 2018 complique redoutablement le combat légitime contre les réseaux de passeurs de migrants. Nous avons vu, encore récemment avec l'attentat de Nice, que les terroristes s'étaient souvent insérés dans ces flux migratoires. Ils l'avaient fait également pour les attentats du Bataclan et des terrasses de café en 2015. Le droit à la fraternité ouvre surtout une porte à la naïveté.
Afin de remédier à ce désarmement juridique, il me paraît indispensable de changer de cadre et de procéder à une réforme constitutionnelle. Les propositions de notre rapport vont dans la bonne direction ; je les soutiens. Elles sont pertinentes et sont le fruit de nos analyses des faiblesses et des failles de la législation, mais elles ne sont en rien à la hauteur de la gravité de la situation. L'état d'urgence nous protégeait à un niveau compatible avec le cadre constitutionnel ; nous avons dégradé ce niveau de protection avec la loi SILT, je le redis en conscience. Si nous voulons vraiment modifier ce degré de protection, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réforme constitutionnelle. Tout le reste relève de rafistolages juridiques qui, au final, atténuent la force des discours.
Après l'assassinat de Samuel Paty, le Président de la République nous a indiqué que la peur allait changer de camp. Je partage, bien sûr, ce souhait, mais, pour que la peur change de camp, il faut changer de cadre. Toutes les dispositions permettant d'adapter notre législation n'ont pas été adoptées. La situation que connaît notre pays depuis cinq ans nous impose d'adopter des mesures exceptionnelles. La loi SILT a été appliquée très faiblement et le petit sursaut qu'on a eu après les attentats de septembre dernier montre combien on avait baissé la garde. Elle ne me paraît pas suffisante pour nous protéger ; elle est bien en retrait par rapport à ce qui existait. Je le redis, et je suis certain que nous y viendrons, quelles que soient les résistances, les réticences, les fausses pudeurs : il faudra changer la Constitution. Et puisque le Président de la République l'a proposé sur d'autres sujets, je pense que le vecteur référendaire pourrait donner au peuple la possibilité de dire qu'il souhaite être mieux protégé.