Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique :

Sur le fondement de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, la HATVP est compétente pour exercer ce contrôle en collaboration avec les administrations.

Selon la direction générale de l'administration et de la fonction publique, près de 2 500 des 110 000 hauts fonctionnaires de notre pays se trouvent en situation de disponibilité afin d'exercer une activité dans le secteur privé. Nous intervenons au moment de leur départ de l'administration et de leur retour dans celle-ci afin de neutraliser tout conflit d'intérêts pouvant entraîner une sanction pénale, porter atteinte à l'intégrité des fonctions publiques ou remettre en cause le fonctionnement régulier des services publics.

À ce titre, nous exerçons un contrôle de prénomination, lequel constitue une véritable innovation de la réforme de 2019. Ce premier contrôle consiste à déceler les risques les plus manifestes et demeure restreint aux intérêts détenus par l'exercice des activités privées au cours des trois dernières années. Un second contrôle, plus approfondi, s'effectue à l'occasion de l'examen de la déclaration d'intérêts que le haut fonctionnaire doit déposer dans un délai de deux mois à compter de sa nomination.

Nous effectuons également des contrôles de reconversion professionnelle et de cumul d'activités pour création ou reprise d'entreprise. Ces contrôles s'adressent à une population plus large de hauts fonctionnaires et dont les emplois sont mentionnés à l'article 2 du décret du 20 janvier 2020 relatif au contrôle déontologique de la fonction publique. Cette population s'évalue à près de 20 000 hauts fonctionnaires.

Le contrôle de la mobilité public-privé de la haute fonction publique a été renforcé par la réforme de 2019. Le travail d'investigation de la HATVP s'appuie sur la collaboration des administrations, lesquelles n'hésitent pas à lui apporter des éléments d'information concernant les mobilités envisagées. Il permet à la Haute autorité de formuler ses avis en développant une argumentation juridique fondée sur une analyse concrète des situations.

Entre le 1er février 2020, date d'entrée en vigueur de la loi de 2019, et le 31 décembre 2020, nous avons été saisis à 511 reprises. Plus de 80 % de saisines ont concerné une prénomination ou une reconversion professionnelle d'un haut fonctionnaire. Nous nous sommes efforcés d'y apporter nos réponses dans les plus brefs délais, afin de ne pas entraver les projets des agents publics. A cet égard, nos délais de traitement varient en fonction du type de contrôle réalisé. Ils s'établissent à dix jours dans le cadre du contrôle de prénomination, le délai légal étant de deux semaines. Ils s'élèvent par ailleurs à 36 jours pour le contrôle de reconversion professionnelle et à 40 jours pour le contrôle de cumul d'activités, les textes prévoyant pour leur part un délai de 60 jours s'agissant de ces deux types de contrôles.

Les équipes de la HATVP se sont fortement mobilisées afin de respecter ces délais. Ces derniers n'ont pu être tenus qu'au détriment d'autres missions. Les chiffres précités traduisent une activité soutenue de la Haute autorité en matière de contrôle des mobilités public-privé, alors que celle-ci n'a pas été dotée initialement de l'ensemble des emplois attribués à la commission de déontologie. Nous avons certes obtenu quatre des six emplois que celle-ci comptait, ainsi que les crédits correspondants. Néanmoins, il est nécessaire que la HATVP obtienne désormais les deux emplois supplémentaires pour qu'elle remplisse pleinement ses nouvelles missions.

En pratique, nous travaillons encore à ce jour à flux tendu afin de répondre aux saisines dans des délais réduits, d'assurer le suivi effectif des réserves, qui débutera dans les prochaines semaines ou les prochains mois, et de réaliser notre travail de veille et éviter ainsi que des mobilités échappent à notre contrôle. En effet, il advient parfois que de hauts fonctionnaires omettent de nous saisir malgré l'obligation qui leur incombe. Au regard de ces éléments, j'ai pu rencontrer la ministre de la Transformation et de la fonction publiques et le ministre délégué aux comptes publics. J'ai bénéficié de leur écoute attentive. Il convient à présent que cette écoute se transforme dans la dotation de deux emplois supplémentaires.

Par ailleurs, nos avis d'incompatibilité ou de comptabilité avec réserve doivent être observés scrupuleusement, sous peine d'encourir l'une des sanctions prévues à l'article 25 octies du statut général de la fonction publique, à savoir l'interdiction de recruter l'agent, le risque de rupture du contrat sans préavis ni indemnité, la poursuite disciplinaire et la retenue sur pension dans le cas des fonctionnaires retraités. Afin d'éviter que des fonctionnaires de bonne foi qui méconnaissent le nouveau cadre juridique applicable soient sanctionnés, la HATVP s'efforce de diffuser une doctrine lisible de l'intégrité des mobilités public-privé. À cet égard, le récent dispositif doit faire l'objet d'une pédagogie renforcée auprès des administrations et des agents publics, sachant qu'un tiers des saisines sont rejetées pour un motif d'irrecevabilité ou d'incompétence.

Nous nous efforçons de remplir notre rôle de pédagogie de plusieurs manières, et ce, malgré la crise sanitaire en vigueur. Ainsi, nous organisons régulièrement des échanges avec les référents déontologues de la sphère publique afin d'aborder des questions théoriques et pratiques sur les conflits d'intérêts, dont ceux qui se présentent à l'occasion des parcours professionnels des agents publics.

Nous nous attachons également à promouvoir notre action par la publication en ligne de plusieurs travaux, les plus récents portant sur le second tome de notre guide déontologique. Celui-ci présente l'état de notre doctrine en matière de conflits d'intérêts, décrit nos méthodes de détection et prévention des risques et explicite l'articulation de nos compétences et celles des autorités hiérarchiques. L'objectif de cette démarche est d'améliorer le contrôle des mobilités public-privé à tous les niveaux de l'administration. En outre, nous projetons de promouvoir une culture de la prévention des conflits d'intérêts auprès des acteurs privés conduits à recruter d'anciens hauts fonctionnaires.

Enfin, soucieux de répondre aux souhaits du législateur, nous avons décidé la publication de quelques avis déontologiques importants afin d'informer toutes les personnes intéressées par l'état de notre doctrine en matière de conflit d'intérêts. Ce choix s'inscrit dans un effort accru de transparence de la HATVP.

Ce premier bilan me paraît encourageant. En peu de temps, et dans un contexte particulier, la HATVP s'est dotée de méthodes afin d'exercer pleinement ses missions de contrôle. Elle s'efforce également de stabiliser une doctrine, qu'elle promeut auprès de l'ensemble des acteurs chargés de veiller au respect de la déontologie publique. Vous avez d'ailleurs élargi le collège de la Haute autorité pour que cette mission soit assurée. Nous avons également doublé le nombre de réunions de ce collège, lequel se réunit désormais tous les quinze jours pendant une journée complète. Dans certains cas, nous sommes conduits à organiser des réunions supplémentaires afin de respecter les délais des saisines.

Quelques ajustements permettraient de rendre notre dispositif plus efficace. Comme vous le savez, la HATVP ne dispose pas d'un pouvoir de sanction administrative. À ce titre, l'ancien Premier Ministre avait précédemment confié une mission au Conseil d'État afin de faire le point sur les pouvoirs d'enquête et de sanction de l'ensemble des autorités administratives. Le rapport devrait paraître d'ici au mois d'avril. Peut-être le Conseil d'État formulera-t-il des propositions en ce sens.

Le dispositif pourrait également renforcer sa cohérence en intégrant dans son champ de compétences le contrôle de mobilité public-privé des magistrats de l'ordre judiciaire et des militaires, lesquels se trouvent actuellement dans une situation dérogatoire. Or tous les agents de l'État devraient être soumis aux mêmes règles de contrôle, selon moi.

Ce bilan est complété par quelques données chiffrées relatives aux autres missions de la HATVP qui concourent à l'amélioration de l'intégrité et de la probité publiques, dont le contrôle du lobbying et des représentants d'intérêts. Grâce au travail de relance de nos services, plus de 90 % des 1 734 représentants d'intérêts inscrits à notre répertoire et dont l'exercice comptable se clôturait au 31 décembre 2020 ont déclaré leurs activités. Ce taux est en progression par rapport à 2019. Il s'accompagne d'une nette amélioration de la qualité des informations transmises. Cependant, ce taux nécessite un effort conséquent de relance, lequel concerne également les élus locaux. En effet, la déclaration spontanée n'est pas encore intégrée dans les pratiques.

À cet égard, l'année 2020 a été marquée par les élections municipales et communautaires, lesquelles ont entraîné le dépôt des déclarations de 2 000 maires et élus adjoints aux maires et de 2 800 présidents et vice-présidents d'EPCI au titre de la fin, du début ou de la poursuite de leurs mandats. À compter de la semaine prochaine, les citoyens pourront savoir si leurs élus se sont acquittés de leurs obligations déclaratives publiques grâce à l'inscription d'une mention spécifique. Enfin, en matière de contrôle, plus de 1 700 situations de responsables publics ont été examinées par notre collège.

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