Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 3 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique :

Dans notre premier bilan, nous n'avons pas observé de ralentissement des mobilités. Nous avons enregistré 511 saisines, soit un chiffre non négligeable. J'entends que certains propos font parfois apparaître la HATVP comme une autorité qui se caractérise par une rigidité excessive empêchant les mobilités entre le secteur privé et le secteur public. Tel n'est aucunement le cas. Notre rôle n'est d'ailleurs pas d'interdire ces mobilités que la loi autorise. Nous devons simplement nous assurer que ces mobilités respectent les règles, dont les règles de déontologie.

Parmi les différentes saisines de 2020, 46 % concernaient une prénomination, 39 % un projet de reconversion professionnelle et 15 % un projet de cumul d'activités. Sur cette base, nous avons rendu 92 % d'avis de compatibilité et seulement 8 % d'avis d'incompatibilité. Ce dernier cas correspond aux situations vis-à-vis desquelles aucune réserve ne suffit à traiter les questions de risque pénal et de risque déontologique.

À titre d'exemple, nous prononçons un avis d'incompatibilité lorsqu'un agent de l'Agence des participations de l'État souhaite rejoindre une entreprise concurrente des sociétés dont le suivi était à sa charge dans le cadre de ses missions. Nous procédons également de la sorte lorsqu'un directeur d'hôpital propose de créer sa propre clinique privée toute en conservant ses fonctions publiques.

Parmi les 92 % d'avis de compatibilité, la moitié s'accompagne de réserves destinées à prévenir les risques. Nous avons par ailleurs mis en place un service de veille visant à identifier les quelques cas pour lesquels la Haute autorité aurait dû être saisie. Depuis le démarrage du dispositif, nous avons ainsi identifié 25 situations de ce type. Dans un tel cas, nous procédons à une auto-saisine et en informons la personne concernée. Plus généralement, nous analysons les situations in concreto avant de rendre nos avis.

En outre, je distingue les moyens en effectif de la HATVP de ses moyens de travail, c'est-à-dire les moyens d'investigation et de sanction avant la transmission des dossiers au pénal. En la matière, une amende pourrait s'avérer utile en cas de non-respect des délais légaux. En tout état de cause, je confirme que des marges de progression existent en matière de moyens. Nous formulerons des propositions en la matière.

Notre objectif est d'obtenir les deux postes supplémentaires que j'ai précédemment mentionnés. Pour sa part, la commission de déontologie disposait de six postes. La HATVP n'intervient pas dans le même périmètre. Cependant, sa mission est plus intense et nécessite une plus forte mobilisation. Il paraît donc légitime que nous obtenions deux postes supplémentaires.

La demande des moyens supplémentaires me semble toujours regrettable dans un contexte de contraintes budgétaires. Je formule néanmoins cette demande, car j'observe encore à ce jour des doublons dans certains services à l'égard de notre mission. Les moyens de ces services paraissent parfois utilisés de manière non optimale. En d'autres termes, quelques transferts de moyens nous permettraient d'être plus efficaces dans l'exercice de nos missions. J'entends vous soumettre des propositions raisonnables à ce sujet.

Par ailleurs, certains moyens d'investigation nous sont confiés par la loi, dont les déclarations de patrimoine. Nous souhaiterions une extension de ce droit de communication, y compris pour ce qui concerne les déclarations d'intérêts. En effet, nous sommes fréquemment amenés à solliciter les administrations. Nous souhaiterions également pouvoir nous adresser directement à des établissements bancaires et des sociétés d'assurance, dans certains cas.

Les administrations veillent à répondre à nos questions. Néanmoins, les délais légaux s'avèrent très courts au regard des investigations complémentaires que nous jugeons parfois nécessaires. Un deuxième contrôle peut advenir sur la base des déclarations d'intérêts. Nous émettons parfois des réserves supplémentaires à la suite de ce contrôle approfondi.

En outre, le sujet de la prise illégale d'intérêt me paraît extrêmement sensible. Il renvoie aux articles 432-12 et 432-13 du code pénal. Nous nous efforçons de préparer des propositions en la matière. L'article 432-13 pourrait être complété de précisions appuyées sur l'expérience que la HATVP a acquise depuis un an dans le domaine des projets de reconversion professionnelle.

S'agissant de l'article 432-12, nous observons que de nombreux agents publics ne sont pas conscients des risques auxquels ils s'exposent au regard de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle adopte une interprétation très stricte de cet article. Cette jurisprudence se distingue d'ailleurs de celle du Conseil d'État en matière de commande publique.

Précisément, le Conseil d'État apprécie les situations in concreto, tandis que la chambre criminelle de la Cour de cassation n'en juge que la forme. En conséquence, certains jugements qui peuvent apparaître sévères, notamment à l'égard d'élus présidant des associations et ayant voté des subventions ou ayant pris part à des délibérations les concernant, ou encore ayant rendu des comptes devant leurs assemblées au regard des responsabilités exercées. Notre approche se veut pédagogique à l'égard de ces élus.

Nous souhaitons également travailler sur quelques précisions pouvant être apportées à l'article 432-12 afin que toute véritable prise illégale d'intérêts soit sanctionnée, et non pas les situations qui ne relèvent pas, sur le principe, de ce délit. J'ai déjà pu m'entretenir avec la première présidente de la Cour de cassation, le procureur général près la Cour de cassation, le président de la chambre criminelle et le premier avocat général près cette chambre. Nous entretenons également des contacts réguliers avec le parquet national financier et le parquet de Paris. Chacun de nos interlocuteurs convient que quelques précisions doivent être apportées aux articles précités afin d'éviter des malentendus, tout en appliquant les sanctions nécessaires. Nous vous communiquerons nos propositions d'ici à l'été 2021.

Par ailleurs, nous n'avons pas rencontré de cas de hauts fonctionnaires de Bercy rejoignant des cabinets de conseil fiscal en 2020. Je sais néanmoins que des situations de ce type adviennent. Dans le cadre de mes anciennes fonctions de parlementaire et de président de la Cour des comptes, j'ai pu constater que les cabinets de conseil fiscal sont effectivement attachés à bénéficier des compétences de hauts fonctionnaires.

Si jamais nous devions connaître de telles situations, nous y serions évidemment sensibles. Cela étant, la loi nous permet d'examiner ces mobilités pendant les trois années qui suivent la cessation de fonction ou le lancement du projet de reconversion professionnelle. Passé ce délai, nous ne disposons pas de cette possibilité de contrôle. À ce titre, je rappelle que le délai est passé de cinq à trois ans et me semble raisonnable.

En outre, un certain nombre d'agents publics peuvent effectivement échapper au contrôle de la HATVP, comme les magistrats de l'ordre judiciaire et les militaires qui démissionnent. Le ministère des armées possède son propre comité de déontologie. Ce dernier apprécie le risque pénal et non pas systématiquement le risque déontologique.

J'ai en tête le cas d'un magistrat du parquet national financier ayant rejoint un cabinet d'avocats d'affaires. Ce type de reconversion professionnelle peut effectivement poser problème. Le procureur général près la Cour de cassation a indiqué à cet égard qu'il ne dispose pas de moyens de sanction dès lors que le magistrat décide lui-même de démissionner. Le dispositif législatif pourrait être renforcé au regard de telles situations.

Par ailleurs, nous nouons des relations avec les différents parquets. Quelques dossiers ont d'ores et déjà fait l'objet de saisines des tribunaux judiciaires et de décisions. Dans l'ensemble, les jugements rendus tiennent compte des signalements de la HATVP. Au cours de 2021, nous devrions également voir aboutir un certain nombre de dossiers.

Pour sa part, l'exposé des motifs et des études d'impacts confiés à des cabinets privés soulève la question de la mission confiée à la HATVP en matière de contrôle des représentants d'intérêts. Le décret d'application paraît en deçà de la volonté exprimée par le législateur, ce que j'ai indiqué au Premier ministre la semaine passée. Ce dernier souhaite que la secrétaire générale du gouvernement examine à nouveau ce sujet.

Ainsi, la règle des dix actions à réaliser par individu semble très facilement contournable. Elle vide d'une partie de sa substance le dispositif que vous avez mis en place. Certaines dispositions législatives pourraient donc être modifiées. En tout état de cause, le contenu du décret pourrait rendre plus pertinente la tenue du répertoire des représentants d'intérêts par la HATVP. J'espère également pouvoir vous soumettre des propositions concrètes sur ce point.

Le décret d'application pose en outre la question de son périmètre, car un très grand nombre de décisions y sont prises en considération. Enfin, nous publierons un premier bilan de la mise en place du répertoire avant l'été 2021 et proposerons des modalités de son extension aux collectivités territoriales en tenant compte des différences d'enjeux que représentent, par exemple, une entreprise et une association sportive. La HATVP pourrait également être saisie dans ce domaine afin de s'assurer que les collectivités territoriales prennent toutes les dispositions nécessaires pour éviter les conflits d'intérêts.

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