La proposition de loi organique que nous examinons ce matin peut paraître technique, pour ne pas dire aride. Elle fait écho à plusieurs initiatives, d'origine parlementaire ou gouvernementale, qui ont occupé nos débats au cours de l'année 2020. Je pense par exemple à la proposition de loi déposée par notre collègue du groupe UDI Thierry Benoit mais aussi à l'article 4 du projet de loi organique de réforme des retraites adopté par notre assemblée il y a presque un an. Il s'agit donc d'un sujet qui mérite d'être traité avec la plus grande rigueur, car il charrie inévitablement son lot de fantasmes et d'idées reçues. À cet égard, je regrette l'esprit polémique qui a pu caractériser certains articles de presse sur ce sujet – je précise que je n'y suis pour rien. L'opacité qui a longtemps été entretenue sur cette question explique pour partie cela.
La proposition de loi organique que le groupe Socialistes et apparentés a inscrite à l'ordre du jour vise, d'une part, à clarifier et à sécuriser juridiquement le régime de rémunération des membres du Conseil constitutionnel, et, d'autre part, à encadrer le cumul de leur rémunération avec les éventuelles pensions de retraite qu'ils perçoivent, grâce à la mise en place d'un dispositif d'écrêtement. Ces deux objectifs nécessitent de modifier l'article 6 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958, qui constitue le fondement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel.
S'il est nécessaire de clarifier et de sécuriser le régime de rémunération, c'est en raison d'une difficulté juridique majeure qui a été soulevée par l'Observatoire de l'éthique publique, présidé par notre ancien collègue René Dosière, à la suite d'une enquête menée par la maîtresse de conférences en droit public Elina Lemaire depuis plus de deux ans. Cette enquête a révélé que la rémunération actuelle des membres du Conseil constitutionnel, qui s'élève à environ 15 000 euros bruts mensuels, ne respecte pas les règles de rémunération fixées par l'article 6 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958.
En effet, l'article 6 prévoit que « le président et les membres du Conseil constitutionnel reçoivent respectivement une indemnité égale aux traitements afférents aux deux catégories supérieures des emplois de l'État classés hors échelle ». La référence aux deux catégories supérieures des emplois de l'État classés hors échelle correspond aux traitements perçus par le vice-président et les présidents de section du Conseil d'État. Concrètement, ces montants s'élèvent respectivement à 7 000 et à 6 500 euros bruts mensuels.
En l'état actuel du droit, l'article 6 de l'ordonnance ne renvoie pas au pouvoir réglementaire le soin de définir, par décret, une indemnité complémentaire. Cela signifie que la rémunération totale du président et des autres membres du Conseil constitutionnel devrait s'élever à 7 000 et 6 500 euros. Les bulletins de paie des membres communiqués par le Conseil constitutionnel à notre collègue Christophe Naegelen dans le cadre de son rapport spécial « Pouvoirs publics » du PLF 2021 montrent que leur rémunération, comme je l'ai déjà indiqué, s'élève à 15 000 euros.
Cette différence de près de 8 500 euros résulte d'une lettre du 16 mars 2001 de la secrétaire d'État au budget, qui n'a jamais été publiée. Afin de compenser l'assujettissement de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel à l'impôt sur le revenu, intervenu en 2001, une indemnité de « compensation » a ainsi été versée aux membres, en dehors de toute base légale ou réglementaire, méconnaissant l'article 6 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Juridiquement, cette situation constitue une irrégularité manifeste. Rien n'autorise en effet le Gouvernement à verser, sans en être habilité par la Constitution ou le législateur organique, une indemnité « secrète » qui conduit à porter une rémunération à un niveau supérieur à celui prévu par les textes. Seul le législateur organique, c'est-à-dire le Parlement, est habilité à définir les conditions de la rémunération des membres du Conseil constitutionnel, conformément à l'article 63 de la Constitution, aux termes duquel « une loi organique détermine les conditions d'organisation et de fonctionnement du Conseil constitutionnel ».
Politiquement, comment peut-on encore justifier de telles pratiques, marquées du sceau de l'opacité et du refus de la transparence ?
Je précise d'emblée un point essentiel : l'objet de cette proposition de loi organique n'est absolument pas de diminuer le montant de la rémunération réellement perçue par les membres actuels. J'estime que la rémunération de 15 000 euros bruts mensuels permet de garantir pleinement leur indépendance et de les rétribuer à hauteur de leur niveau d'expertise et de leur charge d'activité, particulièrement élevée depuis l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2010. J'ajoute que cette rémunération est conforme à celle que l'on observe dans d'autres États, voire parfois inférieure à celle pratiquée dans plusieurs États de l'Union européenne.
Cependant, je considère que la situation actuelle n'est pas tolérable. Il convient de fixer directement dans la loi organique un régime de rémunération exhaustif et précis, pour mettre fin à l'illégalité de l'indemnité « complémentaire » de 8 500 euros, versée en application d'une lettre gouvernementale sans aucune base juridique, à la seule discrétion du Gouvernement.
Ensuite, et c'est le second volet de la proposition de loi organique, j'estime qu'il est nécessaire d'appliquer aux membres du Conseil constitutionnel le régime d'encadrement du cumul de leur rémunération et de leur pension de retraite que le Gouvernement a souhaité introduire à l'article 4 du projet de loi organique de relatif au système universel de retraite.
Cet encadrement, déjà applicable aux présidents des autorités administratives et publiques indépendantes, vise à déduire du montant de l'indemnité de fonction des membres du Conseil le montant des pensions de retraite qu'ils perçoivent. Il convient d'inscrire cet encadrement légitime, nécessaire et raisonnable à l'article 6 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, comme le prévoit la proposition de loi organique, dans le strict prolongement du projet déposé par le Gouvernement l'année dernière.
À la lumière des auditions que j'ai conduites, j'ai souhaité transmettre à chacune et chacun de vous, dès hier matin, les quatre amendements que j'ai déposés afin de corriger le dispositif de la proposition de loi, dont la rédaction initiale était perfectible.
L'un de ces amendements distingue explicitement le montant de la rémunération correspondant au traitement du montant de la part indemnitaire. Il précise aussi les modalités de calcul de cette part indemnitaire, grâce à l'application d'un coefficient multiplicateur. On obtient ainsi une rémunération stable, fixée de façon claire et exhaustive dans l'ordonnance organique. Le montant défini correspond à la rémunération mensuelle brute globale actuellement perçue par les membres. C'est sur la seule part indemnitaire de 8 500 euros que s'appliquera la réduction à due concurrence du montant des pensions de retraite perçues par les membres.
Je crois que l'ensemble de ces modifications permettra d'atteindre un point d'équilibre satisfaisant tout autant l'exigence légitime de transparence que le besoin impérieux de garantir, dans la loi organique, des conditions de rémunération qui préservent l'indépendance des membres du Conseil constitutionnel. Je forme le vœu que ces amendements recueilleront un consensus parlementaire permettant l'adoption en ces termes de la proposition de loi organique.