Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Le groupe Libertés et Territoires approuve globalement la réforme constitutionnelle proposée par nos collègues socialistes. Toutefois, nous souhaitons lui donner plus d'ampleur pour évoluer – nous le disons clairement – vers une VIe République. Nous partageons le constat d'une forte dévalorisation du rôle du Parlement dressé par les auteurs de la proposition de loi. En réalité, sa valorisation, dans la Ve République, n'a jamais eu lieu. À l'évidence, il faut procéder à un rééquilibrage entre le pouvoir exécutif et le Parlement, sans reproduire l'instabilité de la IVe République. Cette nécessité est indéniable ; nous en faisons l'expérience chaque jour.

Nul ne sera surpris de m'entendre dire que ce quinquennat est particulièrement symptomatique du caractère éculé du fonctionnement de la Ve République. Madame la rapporteure, vos propositions de rééquilibrage sont intéressantes. Auront-elles pour effet de modifier fondamentalement la répartition des pouvoirs dans notre système institutionnel ? Nous émettons quelques doutes sur ce point. Les ajustements proposés ne modifieront pas le rôle du Parlement, qui demeure limité, ce qui est inhérent à la Ve République – on appelle cela le parlementarisme rationalisé. Malheureusement, le rôle du Parlement a été restreint davantage encore en 2000, en raison de l'inversion du calendrier électoral plaçant les élections législatives juste après l'élection présidentielle. Je ne le pensais pas alors, mais il faut peut-être reconnaître que ce fut une erreur, qui a favorisé l'émergence d'un système quasi présidentiel. Depuis lors, le Parlement tend à devenir une simple chambre d'enregistrement de la volonté du Gouvernement. Il faut dresser ce constat historique et avancer pour essayer de faire évoluer les choses.

Par ailleurs, le président Emmanuel Macron en use à merveille, si l'on peut dire : recours systématique à la procédure accélérée, recours aux ordonnances, débat assez souvent – voire trop souvent – cadenassé. La gestion de la crise sanitaire exclusivement à l'Élysée est l'un des exemples les plus probants de la centralisation du pouvoir. À l'heure actuelle, le Président de la République française est le dirigeant qui concentre le plus de pouvoir parmi ceux des démocraties occidentales. Il dispose de quasiment tous les pouvoirs. Il est grand temps de modifier cette anomalie institutionnelle et d'en revenir à une pratique plus démocratique. Même s'il ne s'agit pas de la panacée dans la crise démocratique que nous vivons – abstention record, défiance vis-à-vis de la classe politique, montée des extrêmes –, il nous semble nécessaire de nous diriger vers une transformation institutionnelle ambitieuse, à la hauteur des attentes des citoyens et de l'évolution de la société. Le présidentialisme et le centralisme unitaire sont à bout de souffle. La France doit réinventer sa République, et avec elle toute l'action publique.

C'est pourquoi, en sus de rééquilibrages en faveur d'un Parlement encore plus « légiférant », pour ainsi dire, il semble indispensable d'opérer un rééquilibrage des pouvoirs et des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, afin d'appliquer concrètement le principe de subsidiarité, qui l'est peu, voire pas du tout, en France. Certaines compétences doivent être transférées aux collectivités locales, qui doivent être maîtres de leur destin dans les domaines sur lesquels elles sont les plus aptes à décider. Il appartient aux élus des assemblées délibérantes, non au préfet, de prendre les décisions importantes du quotidien. Le droit à la différenciation et à l'adaptation législative ou réglementaire est un autre moyen de ce nécessaire rééquilibrage entre pouvoir de l'État et pouvoirs territoriaux. L'exercice, en complément de la démocratie représentative, d'un pouvoir plus direct par les citoyens, qui est une revendication montante, comme l'a montré le mouvement des « gilets jaunes », doit aussi être pensé. Le renforcement de la démocratie participative au niveau territorial et l'exercice de la démocratie directe au niveau national, par exemple grâce à la facilitation et l'extension du référendum d'initiative partagée, sont autant de pistes de réflexion à développer sur ce thème. Nous regrettons amèrement l'abandon, en juillet 2018, de la réforme constitutionnelle, pour des raisons qui nous semblent totalement futiles. C'est pourquoi, même si la présente proposition de loi n'est pas à la hauteur du chantier institutionnel gigantesque auquel nous devons nous attaquer, nous ne nous y opposerons pas.

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