Intervention de Alexandra Louis

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis :

Chers collègues, nous abordons un sujet grave, sociétal, qui nous concerne toutes et tous. Je m'abstiendrai de citer des chiffres et d'énoncer des généralités. D'abord, ils ont déjà été rappelés. Ensuite et surtout, nous avons tous, dans nos mandats et nos vies professionnelles ou personnelles, eu à connaître de ce douloureux sujet. Il me semble indispensable de garder à l'esprit que, derrière la froideur des chiffres, il existe une multitude de vécus différents. Chaque histoire est singulière, chaque victime est unique, aucune souffrance ne ressemble à une autre.

En 2018, nous avons adopté à l'unanimité un texte qui a, de l'avis général, considérablement amélioré la protection des victimes. J'ai été chargée d'une mission d'évaluation qui m'a amenée à étudier six mois l'application de cette loi du 3 août 2018. J'ai organisé plus d'une centaine d'entretiens avec des policiers, des soignants, des magistrats, des avocats, des associations, des travailleurs sociaux, des enseignants, des universitaires… Je dois dire qu'à mes yeux, leur travail a plus de valeur que n'importe quel texte que nous pourrions voter. Au terme de ma mission, j'ai remis au Gouvernement un rapport comprenant soixante-dix-sept propositions dont la majeure partie concerne la prévention et l'accompagnement des victimes. Pour moi, l'enjeu est là. Toutefois, j'ai aussi souligné la nécessité d'une réforme pénale d'ampleur s'agissant des violences sexuelles commises sur les mineurs et de l'inceste.

Avant de m'exprimer sur le fond de la proposition de loi, je tiens à souligner la complexité du sujet. Cela doit nous amener à travailler avec autant de prudence que de détermination. C'est parce que le sujet est complexe que nos prédécesseurs n'ont pas réussi à aller aussi loin qu'ils le souhaitaient. Toutefois, leur travail n'a pas été vain car il a préparé le terrain ; sans eux, nous n'en serions tout simplement pas là.

Je crois que notre société est désormais prête à un véritable changement. Dans un souci d'objectivité, je vous ferai néanmoins part d'un constat issu de mon rapport d'évaluation : d'aucuns doutent de l'opportunité de reprendre la plume sur un sujet si sensible. Ils considèrent que le droit positif, issu de la loi du 3 août 2018, est suffisant. Si j'entends ces arguments, il importe de souligner que le rôle de la loi pénale ne se limite pas à la répression ; elle a aussi une fonction expressive, qui consiste à fixer des règles claires et comprises par tous. Or, en la matière, la complexité de l'arsenal juridique relatif aux infractions sexuelles sur mineur suscite une incompréhension chez nos concitoyens. Nous ne pouvons l'ignorer.

Surtout, il est temps de changer de paradigme pour accorder aux mineurs de moins de quinze ans une protection pénale spécifique – car oui, la vocation du droit pénal est aussi de protéger. Ce sera un bouleversement législatif, mais je le crois nécessaire pour accompagner le mouvement de libération de la parole. Gisèle Halimi le soulignait : « nos lois […], dans notre culture, provoquent au changement des mentalités, avant de changer elles-mêmes ». Le rôle de la loi est d'engager des changements sociétaux ; le Gouvernement a fait des annonces en ce sens hier.

Sur un sujet aussi grave, nous n'avons pas le droit à l'erreur, Nous suivons une ligne de crête. Nous en éloigner ferait courir aux victimes un grand risque : une censure du Conseil constitutionnel impacterait de nombreuses procédures. Il est indispensable d'éviter la tragédie du harcèlement sexuel, délit invalidé en son temps. C'est avec détermination, mais prudence que nous devons avancer : je suis convaincue qu'il existe une possibilité de modifier la loi dans le respect de notre Constitution.

Je regrette toutefois l'empressement avec lequel la présente proposition de loi a été inscrite à l'ordre du jour par le groupe Socialistes et apparentés, alors que le Sénat a amorcé un travail intéressant sur le sujet à l'initiative de la délégation aux Droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quoique le groupe La République en marche ne partage pas le choix de nos collègues sénateurs de retenir l'âge de treize ans plutôt que celui de quinze ans, il eût été judicieux d'unir nos forces et de travailler sur le texte sénatorial. En outre, des concertations sont menées en ce moment par le Gouvernement.

Le texte que nous examinons peut néanmoins apporter sa pierre à l'édifice. S'il part de bonnes intentions, il soulève quelques difficultés constitutionnelles et il est incomplet. C'est pourquoi je proposerai, par voie d'amendement, de modifier certaines rédactions – sur ces questions, notre Commission a toujours travaillé dans un esprit constructif. Je propose d'intégrer dans le code pénal une nouvelle section dédiée aux infractions sexuelles sur mineur, qui incluraient un délit et un crime autonomes, avec un seuil d'âge fixé à quinze ans. Il faudrait aussi prévoir des exceptions pour protéger les couples que nos collègues sénateurs appellent « Roméo et Juliette », c'est-à-dire des couples d'adolescents au faible écart d'âge. Enfin, je souhaite créer un délit de « sextorsion » afin de protéger les mineurs exposés aux violences sexuelles en ligne ; ce phénomène est en train d'exploser.

Pour conclure, la volonté du groupe LaREM est de poser, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, les bases d'un travail de fond. Il votera donc en faveur de certains amendements dans le but d'engager une discussion appelée à nourrir nos travaux durant les prochains jours et semaines, sans que cela puisse être interprété comme un blanc-seing.

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