Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 15 février 2021 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Conformément à l'engagement pris par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qu'il a reçus le 29 juin 2020, le Gouvernement a déposé devant le Parlement un projet de réforme constitutionnelle qui vise à inscrire, à l'article 1er de la Constitution, la garantie de la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce projet est le fruit d'un long travail de consultation inédite de nos concitoyens, dans le cadre du grand débat national, puis de la Convention citoyenne pour le climat. Cette dernière a formulé 149 propositions, parmi lesquelles la révision de l'article 1er de la Constitution pour y faire figurer la préservation de l'environnement et de la biodiversité, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République qui s'est engagé, si le présent texte est adopté en des termes identiques par les deux chambres, à la soumettre au référendum.

Le projet de loi qui vous est soumis est la traduction de cet engagement. Il comporte une disposition unique ayant pour objet d'inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France garantit la préservation de l'environnement ainsi que de la diversité biologique, et lutte contre le dérèglement climatique. Il vise deux objectifs essentiels : rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d'action des pouvoirs publics à cette fin.

S'agissant de l'inscription de la protection de l'environnement au cœur de nos principes constitutionnels, je rappelle que notre loi fondamentale comporte d'ores et déjà des dispositions relatives à la préservation de l'environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l'environnement, issue de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Mentionnée dans le préambule de la Constitution, elle fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par deux décisions récentes, a conféré une importance accrue à la protection de l'environnement promue par la Charte.

En premier lieu, dans sa décision du 31 janvier 2020, il a jugé que la préservation de l'environnement, « patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif à valeur constitutionnelle et non, comme il le jugeait auparavant, un objectif d'intérêt général. En second lieu, dans sa décision du 10 décembre 2020, il a jugé que les limitations portées par le législateur à l'exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

Le Gouvernement n'en nourrit pas moins l'ambition de renforcer encore la place de la protection de l'environnement dans notre texte constitutionnel.

L'inscription de la préservation de l'environnement à l'article 1er de la Constitution présente une valeur symbolique forte, voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Désormais, ce principe figurera au cœur des grands principes qui guident notre République. Ce positionnement dans notre Constitution exprime la volonté de la Nation tout entière de placer le combat contre le dérèglement climatique au cœur de notre action et donnera une nouvelle impulsion à notre engagement.

Je tiens à préciser que « rehaussement » ne signifie pas « hiérarchie ». Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L'objectif est de donner plus de poids à la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. La force nouvelle que nous lui conférons trouvera sa traduction, en premier lieu, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je tiens à préciser également qu'il ne s'agit pas davantage d'introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d'environnement qui, s'il existe dans la loi, n'a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d'autres principes constitutionnels, telle la protection de la santé, ce qui peut s'avérer particulièrement important, par exemple dans un contexte de crise sanitaire tel que celui que nous connaissons.

Le second objectif du projet de loi est d'introduire un véritable principe d'action des pouvoirs publics nationaux et locaux en faveur de la préservation de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Gouvernement entend insuffler dans chaque politique publique la préoccupation environnementale, dont il estime qu'elle doit innerver son action à l'échelle nationale et internationale. Dans cette optique, le projet qui vous est soumis prévoit que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l'environnement ainsi que de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

L'emploi du verbe « garantir » exprime la force de cet engagement. Certes, il ne constitue pas une innovation dans notre Constitution. L'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Toutefois, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle lui donne pour sujet la France et non la loi, contrairement à l'article 4 de la Constitution et à l'alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatifs respectivement au pluralisme politique et à l'égalité entre les hommes et les femmes. Cette formulation est à la fois plus large, car elle s'impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n'est pas le seul débiteur de cette obligation garantie.

Il n'en reste pas moins que les conséquences de l'emploi de ce verbe ne sont pas neutres. Telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s'agissant de l'engagement de sa responsabilité en matière environnementale. D'ores et déjà, l'action des pouvoirs publics est conditionnée à la préservation de l'environnement et la responsabilité de l'État peut être engagée à ce titre. Pour s'en tenir à deux exemples récents, citons l'arrêt du Conseil d'État du 10 juillet 2020, décidant d'une astreinte à l'encontre de l'État afin que le Gouvernement prenne des mesures pour réduire la pollution de l'air, et le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 dans l'« affaire du siècle », reconnaissant l'existence d'un préjudice écologique lié au changement climatique et considérant que la carence partielle de l'État français à respecter les objectifs qu'il s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Le projet de loi constitutionnelle que nous proposons consacre davantage encore la responsabilité des pouvoirs publics, auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l'environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat.

À l'heure où nous assistons à la sixième extinction de masse, qui est la première due à l'action humaine, il importe que notre loi fondamentale traduise le choix de la Nation de mener le combat contre le dérèglement climatique, qui est le combat de notre siècle. Désormais, il incombe au Parlement de débattre du projet de révision constitutionnelle. S'il est adopté par les deux chambres dans les mêmes termes, il sera soumis aux Français par voie de référendum, conformément à l'engagement du Président de la République.

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