Au cours des deux dernières semaines, nous avons mené, avec mon collègue M. Christophe Arend, de très nombreuses auditions sur le présent projet de révision constitutionnelle.
Si les avis divergent sur certains aspects, tous se rejoignent sur un point : il y a urgence. Il est urgent d'agir, d'adapter notre droit et de prendre des mesures écologiques fortes. Au mois de décembre dernier, le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies a appelé les dirigeants du monde à déclarer l'état d'urgence climatique. Ces propos font suite à une multitude de rapports, dont chacun ici a entendu parler, notamment ceux du GIEC – le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat –, de Météo France et du Haut Conseil pour le climat. Ces études sont toutes alarmantes. Elles estiment que d'ici la fin du siècle, la hausse de la température moyenne serait de quatre degrés Celsius, voire de six degrés dans les pires scénarios.
Malheureusement, l'urgence écologique ne se limite pas à la seule question climatique. Nous le savons : la sixième extinction de masse a commencé. Un million d'espèces animales et végétales sont menacées de disparition, soit une espèce sur huit. Il s'agit d'un désastre sans précédent. Si nous n'agissons pas rapidement, nous exposerons notre planète et les générations futures à de graves et inexorables menaces.
Ces constats alarmants dictent des actions d'urgence et étayent le présent projet de révision constitutionnelle. Il ne s'agit pas de la première révision consacrée à la préservation de l'environnement. Toutefois, cette révision est unique dans l'histoire de la Ve République : elle est le fruit d'un exercice démocratique inédit, la Convention citoyenne pour le climat, elle-même aboutissement du grand débat national voulu par le Président de la République. Le projet de loi que nous examinons reprend fidèlement, quasi textuellement, l'une des propositions formulées par les 150 membres de la Convention. Pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur un texte écrit par des citoyens tirés au sort. Son adoption définitive sera soumise, selon la volonté du Président de la République, à la procédure référendaire prévue par l'alinéa 2 de l'article 89 de la Constitution, c'est-à-dire à la consultation directe du peuple français.
L'équilibre entre démocratie directe et démocratie représentative constitue le deuxième enjeu de cette révision. Si nous parvenons à l'assurer, la France sera non seulement l'un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, mais se placera en outre à l'avant-garde de la démocratie participative. Notre objectif est clair : nous souhaitons que nos concitoyens puissent s'exprimer par référendum sur le texte proposé par la Convention citoyenne pour le climat, adopté par ses membres à une écrasante majorité.
Enfin, le troisième enjeu réside dans la portée juridique de la réforme. L'urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés légitime l'inscription de la préservation de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique dans notre ordre juridique, en les dotant d'une force accrue. Si nous voulons être au rendez-vous des enjeux écologiques cruciaux qui se présentent à nous et répondre aux aspirations de la société française, alors nous devons graver dans le marbre de l'article 1er de la Constitution, qui rappelle les grands principes sur lesquels est fondée notre République, la protection de l'environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.
Tel est précisément l'objet de l'article unique du présent projet de loi, qui propose une rédaction à la fois ambitieuse et équilibrée.
La rédaction est ambitieuse, car les termes choisis ne sont pas neutres. Nous n'énonçons pas de simples intentions de principe ; nous utilisons des verbes d'action, tels que « garantir » et « lutter ». Ces mots, au fond, nous obligent. Ma conviction est la suivante : faute d'un principe constitutionnel fort, affirmant avec force que l'objectif environnemental est un fondement de l'action de la France, nous passerons à côté de l'essentiel. Une formulation insuffisamment engageante rendrait la réforme purement symbolique. En choisissant de tels termes, nous renforçons, dans l'ordre juridique, l'enjeu environnemental, tout en consolidant les principes de la Charte pour l'environnement promulguée le 1er mars 2005, dont je rappelle qu'elle ne mentionne pas la question climatique.
La rédaction est équilibrée, car elle n'instaure aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Je rappelle que la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé de réécrire le préambule de la Constitution afin de donner à l'environnement la prééminence sur nos autres valeurs fondamentales. Le Président de la République n'a pas souhaité reprendre cette proposition, qu'il considère comme contraire à nos textes constitutionnels et à l'esprit de nos valeurs. Le juge continuera donc de placer les principes de valeur constitutionnelle sur un même plan, qu'il s'agisse de la protection de l'environnement, de la liberté d'entreprendre ou du droit de propriété.
Tout au long de nos auditions, des interrogations ont été exprimées de façon récurrente. Tous les avis s'accordaient sur l'existence d'une urgence écologique, mais nous avons aussi entendu des doutes, parfois des réserves. J'aimerais donc connaître, Monsieur le garde des Sceaux, votre analyse sur les points suivants : quelles sont les conséquences juridiques attendues de l'emploi des mots « garantir » et « lutter »? Quel sera l'apport de la présente révision par rapport à la Charte de l'environnement, et comment s'articuleront ces deux textes ?