Au-delà des dispositions techniques de la proposition de loi et de la jurisprudence qui la justifie, comment ne pas rappeler que ce qui est à l'origine de tout cela, ce sont les conditions indignes de la détention, qui ne tiennent évidemment pas qu'à la vétusté des locaux mais aussi, souvent, à la surpopulation en maison d'arrêt et à bien d'autres éléments ?
La question de la dignité des conditions de détention se pose en outre avec une particulière acuité en cette période de pandémie, alors que la plupart des activités sont à l'arrêt et que le travail des détenus est fortement réduit.
La surpopulation est à l'origine de nombreuses difficultés et on a d'ailleurs vu que les libérations opérées au début du premier confinement ont été un grand soulagement pour le personnel pénitentiaire, qui a eu le sentiment de pouvoir, enfin, travailler. C'est en tout cas les retours que j'ai eus lors de mes visites d'établissements.
Dans la quasi-totalité des cas, l'administration pénitentiaire fait ce qu'elle peut, avec les moyens dont elle dispose : aucun directeur de prison, aucun surveillant n'est heureux de mettre un matelas au sol pour entasser plus de détenus dans une cellule !
Pourtant, entre le 1er juillet 2020 et le 1er février 2021, 5 000 personnes de plus ont été incarcérées, alors qu'on nous avait promis, avec la loi de programmation pour la justice et l'impossibilité d'incarcérer pour une durée inférieure à six mois, qu'on allait voir ce qu'on allait voir et que le nombre des détenus allait baisser ! Or les collègues qui ont visité des établissements depuis le vote de cette loi ont pu constater que, partout, on continuait à incarcérer pour des durées inférieures à six mois. Bien sûr, on a toujours pour cela une bonne excuse : la personne n'a pas de domicile, c'est mieux pour elle… Mais, au bout du compte, le résultat est celui que nous avons sous les yeux : en dépit des libérations du confinement, le taux d'occupation dépasse 100 % dans la quasi-totalité des maisons d'arrêt et même 180 % dans une vingtaine. On croit rêver !
Autre promesse de la loi de programmation pour la justice : « nous allons réduire la détention provisoire, qui explique pour partie la surpopulation ». Force est de constater que cela n'a pas non plus changé grand-chose.
Au moment où nous examinons ce texte sur l'indignité des conditions de détention, le garde des sceaux annonce vouloir supprimer les crédits de réduction de peine. Ah la bonne idée, qui ne fera qu'aggraver le problème !
Si vous aviez accepté, au moment du vote de la loi de programmation, qu'on débatte d'un mécanisme de régulation carcérale, nous ne serions peut-être pas dans la situation que nous connaissons. Mais ne refaisons pas le débat.
À la suite des décisions de la CEDH, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, il nous est proposé d'ouvrir un nouveau recours, par un texte qui est heureusement assez large pour traiter à la fois des personnes en détention provisoire et des personnes condamnées.
Certains semblent craindre que tous les détenus usent de ce nouveau recours. Mais tel est bien le but : ouvrir un droit effectif au recours car c'est bien parce qu'elle ne le prévoyait pas que la France a été condamnée. Les amendements que nous avons déposés et ceux que nous déposerons en vue de la séance publique – je vois que nous ne sommes pas les seuls à avoir réussi à travailler en dépit des délais contraints – sont précisément destinés à garantir l'effectivité du recours. Nous voulons par exemple ouvrir au juge la possibilité de requérir pour recueillir les éléments de preuve auprès du contrôleur général des lieux de privation de liberté et d'associations. Nous proposons aussi de réduire les délais car, dès lors que l'indignité est avérée, chaque jour qui passe est un jour de trop ; de supprimer l'attribution de la responsabilité de remédier à la situation à la seule administration pénitentiaire, dont les agents sont déjà pris en étau entre la façon dont ils aimeraient exercer leur métier et les conditions qui leur sont faites et dans lesquelles vivent les détenus.
Enfin, je regrette que ce texte soit l'occasion d'étendre à nouveau la visioconférence, alors que d'autres arrêts indiquent que ce n'est pas la voie la plus adaptée en matière de justice.