Intervention de Caroline Abadie

Réunion du mercredi 10 mars 2021 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Abadie, rapporteure :

S'agissant de l'embolie que pourrait provoquer ce nouveau recours, nous avons été rassurés lors de nos auditions, même si certains pensaient qu'il y aurait beaucoup de demandes, d'autres pas assez. Depuis l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juillet 2020, qui a reconnu sa compétence en la matière et sa capacité à mettre fin à des conditions de détention indignes, vingt demandes auraient été faites à la direction interrégionale d'Île‑de‑France : on est loin de l'embolie. Bien sûr, dès que ce droit sera voté, il sera certainement très utilisé, mais on devrait ensuite avoir un rythme plus régulier. Je ne m'inquiète pas à ce stade.

Quant à savoir si la saisine est trop simple ou trop compliquée, nous avons eu à cœur de trouver un équilibre pour que ce ne soit ni l'un ni l'autre.

La question de l'articulation entre la compétence du tribunal administratif et celle du tribunal judiciaire a aussi été évoquée lors des auditions. Ils pourront être saisis indépendamment par le détenu. Le Gouvernement avait imaginé une procédure plus complexe impliquant d'abord la saisine du tribunal administratif puis celle du tribunal judicaire, le Conseil d'État l'avait regretté et l'amendement avait été modifié. Le Conseil d'État suggère de laisser vivre ce dispositif pour voir comment les compétences des tribunaux vont s'articuler. Le tribunal administratif examinera les conditions de détention d'un établissement dans un temps long avec des mesures structurelles, alors que le tribunal judiciaire, ayant des délais beaucoup plus courts d'intervention avec des réponses très rapides exigées, regardera les situations individuelles et y remédiera par un transfèrement ou des travaux ou de la maintenance dans la cellule ou dans l'établissement.

Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Nous pourrions regretter de ne pas avoir anticipé la condamnation de la CDEH et ses exigences vis‑à‑vis des pays européens, que montraient les condamnations de l'Italie, de la Belgique ou du Portugal. M. Bernalicis l'a noté, nous sommes dans l'anticipation : la condamnation concernait les personnes en détention provisoire, nous légiférons également pour les personnes condamnées. Nous pouvons nous féliciter d'être plus exigeant que ce qu'avaient demandé les juges.

Quelle sera la prochaine étape pour la CEDH une fois tous les pays dotés de ce type de recours ? Elle nous demandera certainement d'évaluer ces dispositifs pour voir comment le recours fonctionne et comment il s'articule avec la justice administrative. Donner du temps au dispositif était aussi le souhait du Conseil d'État, charge à nous d'anticiper avec une évaluation rapide, dans un an ou deux.

Certains se sont inquiétés que les transfèrements ne respectent pas la vie familiale des détenus. Il est bien prévu qu'ils peuvent être refusés si la vie familiale s'en trouvait empêchée. L'administration pénitentiaire a l'habitude de faire des transfèrements en bonne intelligence, pour que tout se passe bien, mais ils ne sont pas l'alpha et l'oméga du dispositif puisque l'administration pénitentiaire aura un mois pour intervenir, ce qui permet de faire des travaux de maintenance. Elle voit ce dispositif comme une injonction à agir pour améliorer les conditions immédiates de détention de la personne ayant saisi le juge.

Le budget de la maintenance nous a été communiqué : en moyenne de soixante à quatre-vingt millions d'euros par an entre 2014 et 2016, il est de cent-dix millions entre 2018 et 2022. Cela montre l'effort de l'administration pénitentiaire pour améliorer les conditions de détention. Fresnes, Ducos et les autres prisons condamnées, font l'objet d'un schéma directeur pour les rénover ou les agrandir. L'administration pénitentiaire a conscience du problème, elle n'aime pas plus que nous être condamnée par les juges européens.

Mme Vichnievsky et M. Euzet se sont demandé si nous allions libérer des condamnés dangereux ? Les condamnés feront l'objet d'aménagements de peine et le JAP prendra en considération différents éléments. Comment s'articule le droit commun, la libération conditionnelle et l'aménagement de peine avec ce dispositif ? Nous avons auditionné l'association nationale des JAP qui s'interroge sur les procédures qui seront utilisées pour décider des aménagements de peine. Ce point pourra être précisé dans un décret car il est important pour les JAP de savoir quels outils ils utiliseront. Lors de l'examen en séance, nous demanderons au garde des sceaux de nous éclairer sur le contenu du décret d'application.

M. Brindeau s'est demandé si on utiliserait le droit commun ou la nouvelle procédure pour saisir le juge ? Cette dernière est plus simple, notamment pour que le recours soit effectif. Nous parlons de détenus en cellule qui ont besoin de faire connaitre leur situation à un juge, il faut un minimum de formalisme, que certains regrettent, mais pas trop. Le succès de ce dispositif sera lié au mode de saisine, qui doit être précisé par décret. Nous demanderons plus d'informations au Gouvernement en séance.

Nous aurons l'occasion de reparler de la visioconférence, monsieur Bernalicis, mais nous avons évoqué les délais très courts de cette procédure : dès lors que l'objectif est d'être rapide, la visio semble justifiée. Nous sommes dans un cas de force majeure où un détenu veut démontrer qu'il vit dans des conditions indignes, ce qui justifie l'urgence de la procédure et l'usage d'outils qui permettent de l'accélérer.

Nous nous réjouissons de la baisse de la pression carcérale durant le confinement. N'oublions pas qu'elle a été possible parce que des outils ont été mis en place, notamment la régulation carcérale, mais aussi en raison de la baisse des entrées avec une délinquance empêchée. L'arrivée en prison de 135 détenus par semaine en moyenne nous préoccupe. Il ne faudrait pas que les mauvaises habitudes reviennent au galop. Je suis heureuse que nous soyons à l'unisson au sein de la commission.

S'agissant du plan prison, je vous communique à nouveau les chiffres publiés dans le rapport de Bruno Questel sur le projet de loi de finances pour 2021 : cet automne, 25,7 % des 7 000 places étaient livrées, soit un peu moins de 2 000 places sur les 5 000 prévues durant ce quinquennat. L'acquisition du foncier pour les autres places était sécurisée à 73 %, c'est ce qui est le plus difficile car il faut accepter plus de places dans nos territoires. La participation des collectivités territoriales est essentielle. Selon l'administration pénitentiaire, 5 314 places pourront être livrées en 2022 : ce ne sont donc pas 7 000 places prévues mais nous ne sommes pas non plus dans les choux comme on a pu le sous-entendre. Le covid a aussi empêché d'avancer aussi vite que nous le souhaitions ralentissant le déroulement des travaux. Ces chiffres datent d'octobre 2020, il est essentiel que le garde des sceaux nous communique le dernier état du plan prison. Quoi qu'il en soit, le dispositif qui nous est proposé n'est pas destiné à réguler la population carcérale.

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