Je me réjouis d'exposer à la commission ce rapport d'activité, rendu public il y a quelques jours. Je voudrais d'abord rendre hommage à la détermination et à l'engagement de M. Jacques Toubon. Il a tenu des positions courageuses, fidèles aux missions qui lui étaient confiées, faisant ainsi progresser considérablement la notoriété du Défenseur des droits. J'ai pris la tête d'une institution solide, où je me suis entourée d'adjoints tout aussi solides. Mme Pauline Caby, chargée de la déontologie de la sécurité, et M. Éric Delemar, en charge de la défense et de la promotion des droits de l'enfant, ne sont malheureusement pas présents aujourd'hui, pour respecter les règles sanitaires de distanciation.
Cette présentation de notre bilan 2020 se structure autour de quatre axes : les réponses aux difficultés nouvelles créées par la crise sanitaire ; le traitement au quotidien des problèmes d'accès aux droits ; la promotion des droits et la défense des libertés ; le renforcement de la coopération internationale.
La crise sanitaire a en effet affecté l'ensemble des droits et libertés. Le bouleversement de l'organisation des services publics qu'elle a entraînée s'est traduit par un recul des droits, qui a pu aboutir à de véritables ruptures pour les populations qui étaient déjà éloignées de leurs droits. Le Défenseur des droits a donc été très attentif aux catégories vulnérables, dès le début de la pandémie. Il est ainsi intervenu, au travers des services instructeurs du siège comme des délégués territoriaux, pour les aider.
Des atteintes importantes aux droits et libertés ont été signalées durant le premier confinement, concernant plus particulièrement les personnes précaires et vulnérables, par exemple empêchées de retirer leurs aides sociales en liquide dans les bureaux de poste, qui étaient alors fermés. Alerté par le Défenseur des droits, le directeur de la Poste s'était engagé à accroître le nombre de bureaux de poste ouverts.
La situation des personnes en détention était également préoccupante, concernant leurs conditions de détention (accès aux masques et au gel hydroalcoolique, aux soins, à la douche), mais aussi les conditions d'aménagement et d'exécution des peines (suspension des parloirs, problème de téléphone, interruption du paiement du travail, violences entre détenus). La prolongation de plein droit de la détention provisoire sans intervention du juge judiciaire a fait, en mai, l'objet d'arrêts de la Cour de cassation qui ont rétabli son contrôle. Afin de pallier l'absence de délégués en milieu pénitentiaire, un numéro de téléphone a été créé. Il a reçu près de 5 000 appels.
Par ailleurs, les personnes en rétention administrative se trouvaient dans des conditions de protection insuffisantes, et sans perspective d'éloignement dans un délai raisonnable. Malgré la demande du Défenseur des droits de fermeture complète des centres de rétention administrative (CRA), ces derniers sont restés partiellement ouverts.
Quant aux demandeurs d'asile, ils se sont heurtés à la fermeture du dispositif d'enregistrement et à l'arrêt de la plateforme téléphonique de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Les observations adressées par le Défenseur des droits au Conseil d'État, saisi d'une requête, ont été accueillies favorablement.
Enfin, les ressources des bénéficiaires de la protection sociale ont parfois substantiellement diminué. Le Défenseur des droits a donc demandé que cette situation soit prise en considération en cas de recouvrement d'indu.
S'agissant des enfants, plus de 120 saisines ont été reçues, concernant leurs droits d'être protégés de toute forme de violence, d'être entendus (quand l'ordonnance du 25 mars 2020 autorisait des décisions sans contradictoire), d'entretenir des relations avec leurs parents (droits de visite et d'hébergement suspendus), d'aller à l'école, de recevoir des soins et une protection (mineurs non accompagnés non pris en charge), et de voir leur intérêt supérieur pris en compte (refus d'admettre des enfants dans un supermarché avec leurs parents).
Concernant la déontologie de la sécurité, les saisines ont essentiellement porté sur les contrôles d'attestation de déplacement ou d'identité, notamment dans les quartiers populaires. Par ailleurs, le Défenseur des droits s'est saisi des difficultés des personnes sans domicile fixe ou encore des personnes handicapées.
Enfin, nombre de saisines ont porté sur des situations de discriminations liées à la crise sanitaire. Des personnes âgées, des populations très précaires ou faisant l'objet de mesures de protection judiciaire ont été confrontées à des discriminations indirectes en matière d'accès aux biens et services, notamment en raison du refus de paiements en espèces. Les délégués ont toutefois rapidement fait part de ces difficultés, permettant au Défenseur d'alerter les pouvoirs publics. De plus, les nombreuses restrictions imposées aux résidents des EHPAD étaient susceptibles de porter une atteinte disproportionnée à leurs droits. Le Défenseur a donc rappelé que les mesures doivent être fondées sur un principe de prévention individuelle plutôt que de précaution générale.
Le Défenseur des droits s'appuie sur un siège et un réseau de délégués. La présence de ces derniers dans chaque département est souvent déterminante. Dans un contexte de recul des services publics, dont la crise sanitaire a mis en évidence de graves conséquences, ils incarnent une réelle voie d'accès aux droits. Concrètement, les 536 délégués traitent près de 80 % des réclamations. Ils sont à l'origine de la plupart des médiations, qui aboutissent favorablement dans 80 % des cas. Ils contribuent à rétablir le dialogue entre usagers et administrations. Ce réseau est une force précieuse de l'institution. Pour l'affermir, douze chefs de pôles régionaux ont été nommés fin 2020. Ils apportent un appui juridique aux délégués, coordonnent le traitement des dossiers, ou encore les actions de promotion de l'égalité ou visant à faire progresser la notoriété de l'institution.
En 2020, le Défenseur des droits a enregistré 97 000 saisines, dont deux tiers concernant les relations avec les services publics. Il répond aux situations individuelles afin de rétablir les droits des demandeurs, mais cherche aussi à résoudre des problèmes structurels, en vue d'éviter que les atteintes constatées se répètent. En effet, l'ampleur des délais de réponse des administrations est souvent en cause : près de deux ans pour une demande de changement de nom, plus de deux ans pour une demande de naturalisation.
De très nombreuses saisines ont fait état de dysfonctionnements relatifs à la délivrance indue de forfaits de post-stationnement, ou de retard des recours administratifs préalables obligatoires entraînant des conséquences financières lourdes. Les recommandations adressées par le Défenseur des droits aux collectivités territoriales dans son rapport de janvier 2020 visaient à rétablir les usagers dans leurs droits, en améliorant l'information concernant les modalités de stationnement et les tarifs, ainsi que la formation des agents traitant les recours gracieux, et en exonérant les usagers du paiement préalable à la saisine de la commission du contentieux du stationnement payant pour les victimes de vol ou d'usurpation de plaque.
Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le sujet, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs jugé inconstitutionnel le paiement préalable à cette saisine.
S'agissant des discriminations, le Défenseur des droits entend apporter des réponses individuelles autant que structurelles. En effet, elles revêtent parfois un caractère systémique. Elles sont le produit d'inégalités collectives et de préjugés traversant toute la société.
Dans son rapport de juin dernier, le Défenseur des droits avait ainsi formulé trois principales recommandations : approfondir la connaissance des discriminations par le développement de statistiques publiques, en créant un observatoire des discriminations et en multipliant les campagnes de tests ; développer une politique publique ambitieuse, en auditant régulièrement les organisations et en renforçant les obligations ainsi que les sanctions ; améliorer le traitement judiciaire des discriminations, grâce à des actions de groupe plus effectives et des sanctions mieux proportionnées et réellement dissuasives.
Un renforcement des moyens humains et financiers de l'institution a en outre permis de déployer le 12 février 2021 la plateforme antidiscriminations.fr. Une équipe de juristes accompagne gratuitement toute victime ou témoin de discrimination, qui la contacte par téléphone ou sur le chat.
Au-delà du traitement des réclamations, le Défenseur des droits exerce aussi un rôle de vigie des droits et libertés. Il formule ainsi des alertes relatives aux projets de loi – par exemple concernant la réforme de la justice pénale des mineurs ou la transposition de la directive concernant les lanceurs d'alerte pour laquelle le Défenseur des droits a appelé à une transposition plus audacieuse – ou sur des sujets d'actualité comme le nouveau schéma du maintien de l'ordre.
Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, il ne saurait être dérogé à l'État de droit. J'ai en conséquence insisté à diverses occasions sur la nécessité d'encadrer strictement l'état d'urgence par une loi claire, respectant les principes d'égalité, de nécessité et de proportionnalité ; de limiter sa durée, en prévoyant des moyens de droit commun pour un retour à la normalité ; de renforcer le rôle du Parlement ; d'organiser un débat public de fond ; de renforcer la transparence et l'accessibilité de l'information.
J'ai surtout mis en garde contre un risque « d'habituation » progressive à la restriction des libertés. Vivre avec le virus est une nécessité. Les choix effectués dans ce cadre doivent toutefois être discutés de manière libre et éclairée.
Au plan international, le Défenseur des droits a poursuivi toute l'année 2020 sa coopération avec ses homologues internationaux. En matière de déontologie de la sécurité, la déclaration de Paris a été adoptée en juin 2020 par le réseau européen independant police complaints authorities network (IPCAN). De plus, la recommandation du Conseil de l'Europe sur le code d'éthique de la police a fêté ses 20 ans en octobre dernier, un anniversaire qui a suscité des échanges très riches entre les nations.
En matière de défense et de promotion des droits de l'enfant, le Défenseur des droits s'est associé aux réflexions du réseau européen des défenseurs des enfants (ENOC) concernant les études d'impact sur les droits des enfants. Un cadre de référence commun a été adopté. Le rapport annuel sur les droits de l'enfant de novembre insistait quant à lui sur la prise en compte de la parole de l'enfant, qui est centrale à ces études d'impact.
S'agissant de lutte contre les discriminations, le Défenseur des droits a activement contribué aux travaux du réseau européen des organismes de lutte contre les discriminations (Equinet), avec notamment un rapport sur l'inclusion des Roms et des gens du voyage, ou des publications concernant les effets discriminatoires des recours au numérique et à l'intelligence artificielle en période pandémique pour l'accès aux droits et à l'emploi des plus vulnérables.
Enfin, le Défenseur des droits s'implique dans le réseau des autorités européennes en charge des lanceurs d'alerte (NEIWA). Deux séminaires organisés dans la perspective de la transposition de la directive européenne sur le sujet ont abouti à des recommandations communes pour améliorer la lisibilité des dispositifs nationaux, ainsi que pour renforcer les droits des lanceurs d'alerte.
Ce rapport 2020 confirme combien le Défenseur des droits constitue un mode de recours crucial pour ceux qui en sont éloignés. Le droit est le socle de la démocratie, mais il n'est rien sans les moyens mis en œuvre pour le faire respecter. La mission du Défenseur est une condition essentielle de la confiance en la démocratie.