Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 17 mai 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur :

Nous allons passer une partie de la semaine ensemble car, à votre invitation, madame la présidente, j'assisterai à vos débats, autant qu'il me sera possible, pour donner l'avis du Gouvernement. Je serai parmi vous dès mercredi matin puisque, exceptionnellement, et en raison de l'importance du texte, le président de la République m'a autorisé à ne pas participer au conseil des ministres.

J'ai l'honneur de présenter devant vous, avec Éric Dupond-Moretti, le projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement. Dès mon arrivée au ministère de l'Intérieur, monsieur le garde des Sceaux et moi-même avons commencé à discuter de la prorogation de certaines des dispositions, inscrites dans la loi et dans le règlement au moment de la sortie de l'état d'urgence, qui visaient à nous donner les moyens de lutter contre le terrorisme. Dans ce domaine, comme chacun le constate, la menace reste extrêmement prégnante. J'ai évidemment une pensée pour toutes les victimes du terrorisme, à commencer par la dernière en date, Stéphanie Monfermé, assassinée à Rambouillet. Le terrorisme frappe les Françaises et les Français, y compris sur le sol national. Je salue l'ensemble des services de l'État – les policiers et gendarmes, mais aussi les agents des services de renseignement.

Les précédents ministres de l'Intérieur ont organisé une sortie maîtrisée de l'état d'urgence. Ainsi, tout en respectant le cadre de l'État de droit, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a donné à l'autorité administrative des compétences nouvelles, strictement adaptées et proportionnées à la menace, dans le seul but de prévenir la commission d'actes de terrorisme, et toujours – j'y insiste – sous le contrôle du juge, qu'il soit judiciaire ou administratif.

Nous avons mis en place des périmètres de protection afin d'assurer la sécurité de certains lieux ou événements. Depuis le 1er novembre 2017, 610 périmètres ont été établis, mais aucun n'est actif à ce jour. Nous avons procédé à des fermetures de lieux de culte – huit au total – dans lesquels circulaient des idées ou étaient tenus des propos incitant à la commission d'attentats. J'ai levé cette mesure pour la mosquée de Pantin, car les fidèles ont décidé de se séparer des personnes qui en étaient la cause.

Force est toutefois de souligner les limites posées à notre action par la législation. Ainsi, aucun des auteurs des neuf derniers attentats commis sur le sol national n'était connu de nos services de renseignement. Ce constat doit nous conduire à nous interroger. Les services sont confrontés à un défi : ils doivent détecter de nouvelles menaces, que nous ne connaissons pas ou que nous connaissons peu. Les auteurs et leur mode opératoire sont mal connus, mais ils sont susceptibles de faire l'objet d'une surveillance plus ciblée, à travers des dispositifs restant bien évidemment conformes à l'État de droit.

J'ai déjà eu l'occasion de présenter le projet de loi dans les médias et devant le conseil des ministres autour de trois thématiques : l'humain, la technologie et l'éthique.

Le texte s'attache à l'humain, d'abord, car il permet de concentrer la vigilance de l'État sur les profils les plus dangereux : les personnes sortant de prison condamnées pour terrorisme – monsieur le garde des Sceaux détaillera le dispositif ; les individus au profil psychologique perturbé – c'est une litote pour dire qu'un certain nombre de personnes commettant des actes terroristes font l'objet d'un suivi psychiatrique et que nous voulons les prendre mieux en compte ; les individus ayant recours aux applications téléphoniques cryptées et aux réseaux sociaux, en dehors des communications téléphoniques classiques. L'aspect humain englobe donc une grande partie des dispositions du texte.

Le projet de loi prend en compte l'aspect technologique, ensuite, dans la mesure où il vise à adapter, sous le contrôle du Parlement – à travers la délégation parlementaire au renseignement (DPR), composée de parlementaires des deux chambres – et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), les techniques de renseignement à l'évolution des comportements des individus, qui passe par de nouveaux vecteurs. Les ministères des Armées, de la Justice et de l'Intérieur vous proposent ainsi un certain nombre de dispositifs permettant une adaptation technologique à la menace. Les voitures des gendarmes doivent être aussi rapides que celles des délinquants : il en va de même en matière de lutte contre le terrorisme.

Enfin, il s'agit de renforcer l'éthique, puisque les pérennisations et les évolutions sont toujours garanties par le texte de loi, dans le strict respect des libertés individuelles. À cet égard, un autre point important devrait tous nous satisfaire : selon la volonté expresse du Président de la République, l'ouverture des archives classifiées sera la règle générale et non plus l'exception.

Ce projet de loi n'est pas un point de bascule ; au contraire, il s'inscrit dans la dynamique des textes précédents. Il vient confirmer des dispositifs expérimentaux. Il permet également de souligner le travail accompli par les gouvernements successifs du président Hollande et du président Macron. Ainsi, il pérennise les dispositions issues de la loi SILT : les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte et de leurs dépendances, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires et saisies. Il a également pour objectif de compléter un certain nombre de dispositions qui fonctionnent, comme l'interdiction de paraître dans un lieu où se tient un événement qui, par son ampleur ou sa nature, pourrait être exposé à une menace terroriste.

S'agissant des nouvelles technologies, le texte pérennise la technique dite de l'algorithme, mise à la disposition de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il inclut toutes les URL (adresses web) parmi les données susceptibles d'être recueillies par le biais de techniques de renseignement. Il élargit la liste des techniques de renseignement pour lesquelles le concours des opérateurs de communications électroniques est requis. Il augmente la durée d'autorisation de la technique consistant à recueillir les données informatiques.

Deux nouveaux dispositifs sont créés. Le premier concerne la conservation de renseignements pour les seuls besoins de la recherche et du développement, sans que soit remis en cause l'anonymat des personnes. Le second vise à développer l'interception de correspondances échangées par voie satellitaire.

La lettre rectificative, importante, vise à tenir compte de la décision « French Data Network » du 21 avril dernier du Conseil d'État, relative à la conservation généralisée des données à des fins judiciaires et de renseignement. Cette décision, qui fait suite à l'arrêt « Tele2 » », nous donne les moyens de garantir la liberté de chacun dans un cadre européen, tout en conservant notre souveraineté en matière de renseignement.

Le Gouvernement se présente devant votre assemblée avec le souci de la transparence et de la responsabilité. Je remercie par avance les rapporteurs, Raphaël Gauvain et Loïc Kervran, ainsi que Guillaume Larrivé, rapporteur d'application, pour le travail que nous pourrons faire ensemble afin de doter l'État des moyens de lutter contre le terrorisme, qui prend des formes nouvelles, tout en respectant les principes élémentaires de l'État de droit.

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