Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 17 mai 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Il me revient l'honneur de présenter une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, contenue dans l'article 5.

D'ici à la fin de l'année 2023, une centaine de personnes détenues pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste doivent sortir de prison à l'issue de leur peine. Certaines d'entre elles sont susceptibles de présenter encore des signes de radicalisation face à laquelle notre arsenal pénal souffre d'une lacune majeure, qu'un certain nombre d'entre vous ont diagnostiquée et qu'il s'agit ici de combler. Je tiens à saluer votre engagement en la matière, madame la présidente, ainsi que celui de monsieur Gauvain.

Actuellement, aucune mesure judiciaire ne peut être prononcée afin de s'assurer que ces personnes condamnées pour actes de terrorisme puissent faire l'objet d'un suivi judiciaire spécifique après la fin de leur peine. C'est pourquoi, en réponse à cette menace nouvelle, l'article 5 du projet de loi propose de créer une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste. Le dispositif, que je défends au nom du ministère de la Justice, permettra de contraindre la personne condamnée à une série d'obligations destinées à prévenir le risque de récidive.

Cette nouvelle mesure tire toutes les conclusions de la décision du 7 août dernier, par laquelle le Conseil constitutionnel avait jugé que les mesures votées dans le cadre de la proposition de loi déposée par madame Braun-Pivet méconnaissaient le principe de rigueur nécessaire. Toutefois, dans la même décision, le Conseil avait validé les objectifs poursuivis par le texte en rappelant qu'il était « loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté fondées sur la particulière dangerosité, évaluée à partir d'éléments objectifs […] et visant à prévenir la récidive de telles infractions ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel avait tracé un chemin que nous avons choisi d'emprunter prudemment.

Ainsi, les obligations et interdictions pouvant être prononcées dans le cadre de la nouvelle mesure de sûreté sont moins attentatoires aux libertés que celles envisagées par la loi censurée. De même, alors que la mesure initiale d'un an pouvait être renouvelée dans la limite de dix ans, le nouveau projet fixe cette limite à cinq ans. Cette mesure judiciaire de prévention imposera au condamné de respecter les conditions d'une prise en charge destinée à sa réinsertion, prioritairement envisagée sous l'angle de la déradicalisation.

La mesure ne pourra être prononcée qu'à l'encontre d'une personne condamnée à une peine d'emprisonnement ferme d'au moins cinq ans pour un acte de terrorisme, ou d'au moins trois ans si l'acte de terrorisme est commis en récidive, alors que la loi censurée permettait de la prononcer à l'encontre de personnes également condamnées à des peines assorties d'un sursis.

Chaque renouvellement de la mesure, initialement fixée à un an, sera subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires, ce que n'imposait pas la loi censurée. Le manquement à ces obligations pourra évidemment conduire à une nouvelle incarcération.

Dans son avis du 21 avril dernier, l'assemblée générale du Conseil d'État a constaté que le dispositif proposé répondait aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision d'août 2020. Ainsi, l'article qui vous est proposé concilie la protection des libertés individuelles et l'impérieux besoin d'une vigilance accrue à l'égard des profils les plus dangereux.

Enfin, pour que vous puissiez mesurer pleinement la large portée de la nouvelle mesure judiciaire de prévention, je précise qu'elle pourra concerner près de 250 des 254 personnes incarcérées à ce jour après avoir été définitivement condamnées pour actes de terrorisme, soit la quasi-totalité des détenus terroristes condamnés qui sortiraient de prison.

La proposition qui vous est faite à l'article 5 permet donc d'apporter une réponse efficace à cette nouvelle menace, tout en respectant notre État de droit et les principes fondateurs de notre démocratie. En une phrase, il s'agit pour nous de combattre le terrorisme avec force sans jamais nous compromettre.

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