Le terrorisme islamiste, qui est l'un des défis majeurs de notre temps, est l'affaire d'une ou de plusieurs générations. Il constitue une menace très forte, endogène et de plus en plus difficile à détecter.
À la suite des attentats du Bataclan, en novembre 2015, la France avait été placée sous le régime de l'état d'urgence. Celui-ci, je le rappelle, est un régime d'exception qui permet de confier des pouvoirs exceptionnels, notamment en matière de police administrative, au pouvoir exécutif pour faire face à un péril imminent. Nous ne pouvions donc pas rester perpétuellement dans cette situation : l'état d'urgence est, par essence, temporaire et exceptionnel. Les menaces durables doivent être traitées à l'aide d'instruments permanents de lutte contre le terrorisme.
Tel était l'objet de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT. Celle-ci visait, non pas à pérenniser les dispositions de l'état d'urgence, mais à s'inspirer de seulement quatre d'entre elles, en les adaptant aux nécessités du droit commun et en les entourant de garanties importantes, notamment en limitant leur finalité à la seule lutte contre le terrorisme. Ces mesures ont trait aux périmètres de protection, à la fermeture temporaire des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les fameuses MICAS, et aux visites domiciliaires. Elles ont fait la preuve de leur efficacité et de leur pertinence opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme, comme l'attestent nos auditions et le travail approfondi conduit avec la présidente de notre Commission et Éric Ciotti depuis 2017, dans le cadre du contrôle parlementaire renforcé. Ainsi, certains des attentats qui ont été déjoués au cours des dernières années l'ont été grâce à ces instruments de police administrative. On peut citer, par exemple, la visite domiciliaire effectuée dans le 9e arrondissement de Paris, qui a permis de déjouer l'attentat de masse que des Égyptiens projetaient de commettre dans un bus à Opéra.
Dès lors que l'on sortait de l'état d'urgence et que l'on s'inscrivait dans le droit commun des instruments de police administrative, il fallait instituer un certain nombre de garanties, parmi lesquelles figurent deux dispositions importantes, introduites dans la loi SILT lors des débats parlementaires : le contrôle parlementaire renforcé et le caractère temporaire des mesures, à savoir la « clause sunset », qui nous conduit à les examiner à nouveau dans le cadre du présent projet de loi. Celui-ci a en effet pour principal objet de pérenniser, dans ses articles 1er à 4, les mesures de police administrative, auxquelles s'ajoute la prise en compte de certaines recommandations formulées dans le cadre du contrôle parlementaire pour améliorer le dispositif.
Quant au contrôle parlementaire renforcé, il impose au Gouvernement de transmettre au Parlement tous les actes individuels qu'il prend au titre des quatre instruments de police administrative. Aucune des dispositions du présent projet de loi ne concernant ce contrôle parlementaire, nous en concluons qu'il est de fait pérennisé, puisqu'il ne pourra plus faire l'objet de la censure du Conseil constitutionnel, ni d'un contrôle a posteriori, ni, bien entendu, d'une question prioritaire de constitutionnalité. C'est une bonne chose.
Un mot sur le dispositif de l'article 5, relatif aux sortants de prison. Dans les années à venir, plusieurs centaines de personnes condamnées au début des années 2010 pour des faits de terrorisme vont sortir des prisons françaises. Ces personnes, qui sont actuellement suivies par le service de renseignement pénitentiaire, présentent encore, pour certaines d'entre elles, des profils très préoccupants. Or elles ne sont éligibles à aucun aménagement de peine, de sorte que, contrairement aux détenus de droit commun et bien qu'elles soient très dangereuses, elles sortiront sans faire l'objet de mesures d'accompagnement, que ce soit en matière de réinsertion ou de suivi.
L'an dernier, nous avons adopté une proposition de loi de la présidente de la commission des Lois visant à confier au juge judiciaire le soin de prendre une nouvelle mesure de sûreté, compte tenu de la dangerosité de ces sortants de prison. Le Conseil constitutionnel a censuré ce dispositif. Nous y avons donc retravaillé avec notre présidente et l'ensemble des acteurs de la lutte contre le terrorisme ; le dispositif de l'article 5 est le fruit de ces travaux. Alors qu'auparavant le juge judiciaire se voyait confier l'ensemble des mesures de suivi et de réinsertion, on opère dorénavant une distinction entre les mesures de suivi administratif – les MICAS sont étendues et leur durée est portée de douze à vingt-quatre mois – et la mesure de sûreté, destinée exclusivement à la réinsertion, confiée au juge judiciaire. Ce dispositif présente, selon les personnes auditionnées, un intérêt opérationnel. Surtout, il devrait obtenir l'aval du Conseil constitutionnel.
La défense de l'État de droit est l'affaire de tous. J'espère donc que, lors de nos débats, nous éviterons les divisions inutiles et les oppositions caricaturales entre droite et gauche, laxistes et sécuritaires. Comme les générations de parlementaires qui nous ont précédés, il nous revient de définir un équilibre délicat entre l'impératif de protection de l'ordre public et la préservation des libertés individuelles, en ayant pour seul objectif la protection efficace des Français.