Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du lundi 17 mai 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

J'aimerais dire quelques mots de l'état d'esprit dans lequel le premier groupe d'opposition aborde ces débats.

S'agissant du renseignement, nous devons nous inscrire dans la continuité de ce que nos prédécesseurs, pendant au moins trente années, ont su construire. Ces affaires de renseignement sont au cœur de ce que doivent être la continuité de l'État et l'accord des grands partis de gouvernement.

J'ai à l'esprit ce que le gouvernement de Michel Rocard a su bâtir en 1990 pour commencer à encadrer les interceptions de sécurité, lors d'une étape fondatrice. Il y a eu ensuite un grand moment autour de Nicolas Sarkozy, avec la création de la délégation parlementaire au renseignement et de la coordination nationale du renseignement à l'Élysée, qui ont remodelé la communauté du renseignement. Il y a eu un troisième temps avec le gouvernement de Manuel Valls et les travaux de Jean-Jacques Urvoas, qui ont abouti à la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. À nous d'écrire collectivement un quatrième temps de cet édifice juridique, en conjuguant détermination et modestie, et en cherchant à bâtir quelque chose de solide et d'utile à l'intérêt général.

Nous nous inscrivons dans un cadre juridique récemment et utilement précisé par le Conseil d'État, ce qui n'était pas gagné d'avance. Chacun, au sein de la communauté du renseignement et parmi ceux qui s'intéressent à ces questions, se souvient combien l'arrêt « Tele2 » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et ses suites nous ont préoccupés.

Je me réjouis que le Gouvernement ait donné instruction à ses services de plaider, devant le Conseil d'État, en faveur d'une rébellion contre la jurisprudence de la CJUE. Si on lit attentivement l'arrêt « French Data Network et autres » du 21 avril 2021, éclairé par les conclusions lumineuses d'Alexandre Lallet, on constate que le Conseil d'État a su placer très haut les exigences de souveraineté nationale et de protection de la sécurité nationale, non en s'autorisant à contrôler ultra vires, comme la Cour constitutionnelle fédérale allemande, la façon dont la CJUE elle-même respecte les traités européens, mais en sollicitant une clause de sauvegarde permettant de vérifier si la Constitution française a des exigences que le droit européen échoue à satisfaire.

Sur la base de ce raisonnement, esquissé il y a quelques années et mené à son terme, le Conseil d'État a pu neutraliser l'arrêt « Tele2 », le vider de son venin et nous permettre à nous, législateurs, de consolider le régime français du droit du renseignement. Il s'agit d'une décision très importante. Le Parlement aurait intérêt, me semble-t-il, à la mettre en valeur dans le débat public, car elle va complètement dans le sens de ce que doit être, de mon point de vue, l'État de droit : un État protecteur et fort, assumant son devoir de protection des citoyens dans le respect des libertés.

Ma troisième observation sur les questions de renseignement consiste à souscrire aux excellents propos tenus tout à l'heure par Loïc Kervran, que l'examen des articles confirmera : il ne s'agit pas de révolutionner le cadre juridique de nos techniques de renseignement, mais de l'ajuster à certaines évolutions technologiques, en prenant notamment acte de la nécessité pour nos services de bénéficier de la technique de l'algorithme, que les GAFAM utilisent quotidiennement et que nos services d'espionnage et de contre-espionnage ne doivent pas être les derniers à pouvoir utiliser.

Tout cela me convient. Je pense que nous ferons collectivement œuvre utile grâce au volet du texte relatif au renseignement.

S'agissant de la prévention d'actes de terrorisme, j'aimerais faire part, plutôt à l'attention de monsieur le garde des Sceaux, d'un certain scepticisme, qui ne vaut pas opposition, sur l'utilité de l'article 5. Je sais que le Gouvernement et vous-même, madame la présidente, tentez de vous inscrire dans le cadre ultra-contraint imposé par la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2020, qui a l'autorité de la chose jugée. Il n'en reste pas moins que, si l'on compare les obligations susceptibles d'être imposées au titre de la nouvelle mesure de sûreté à celles que vous aviez envisagées dans la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, on constate que les mailles du filet ont été considérablement élargies. Il est donc probable que de nombreux terroristes islamistes, à leur sortie de prison, ne seront pas soumis à un régime particulièrement contraignant. Le texte ne prévoit ni obligation de pointage ni interdiction d'entrer en relation avec certains complices de l'infraction pour laquelle ils ont été emprisonnés, ni même l'obligation de prévenir le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) d'un changement d'activité et l'autorisation préalable du juge pour un déplacement à l'étranger.

Certes, le législateur, dans le cade fixé par le Conseil constitutionnel, est obligé de procéder ainsi. Toutefois, il ne faut jamais oublier que nous sommes aussi le constituant. Il existe des précédents. Lorsque le Conseil constitutionnel a censuré l'une des lois dites Pasqua en 1993, le gouvernement d'Édouard Balladur, avec l'accord du président Mitterrand, a engagé une révision de la Constitution. Le Congrès a été réuni à l'automne 1993 pour contredire en partie la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il l'a fait de façon sereine, démocratique et assumée.

Nous aurions intérêt, me semble-t-il, à assumer l'idée qu'il existe un vrai dialogue entre le Conseil constitutionnel, autorité constituée qui interprète la Constitution, et nous-mêmes qui, de temps en temps, devons reprendre la main en tant que constituant. Comme l'a écrit Georges Vedel : « Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts. » J'aimerais que nous assumions, de temps à autre, de dire son fait, respectueusement, au Conseil constitutionnel. Si nous pensons que son interprétation des textes n'est pas conforme à l'intérêt national, nous devrions être en mesure de voter une loi constitutionnelle permettant de modifier le cadre de notre action. Ce faisant, loin de trahir l'État de droit, nous le renforcerions ; loin de l'affaiblir, nous conforterions ce que doit être la démocratie française au service de la protection de nos concitoyens.

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