Ce texte s'inscrit en effet dans la continuité d'un certain nombre de lois. Sauf erreur de ma part, celle-ci est la quinzième, depuis dix ans, visant à titre principal ou de façon subsidiaire à lutter contre le terrorisme et à compléter notre arsenal législatif. J'inclus, bien entendu, dans cette liste les lois de 2015 et 2016 relatives à l'état d'urgence.
Le terrorisme a changé et il semble que les mesures soient toujours prises avec retard : des attaques ont été préparées depuis l'étranger, des assaillants ont fui au-delà de nos frontières, les flux de financement passent par des comptes internationaux, des terroristes isolés ou en petit nombre, agissant ou non de concert, passent entre les mailles des filets de surveillance…
Ce texte comporte plusieurs dispositifs et intègre le principe d'une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. L'écart entre la fin de la peine et la mesure de sûreté est un peu bref, ce qui est contestable, et le projet prévoit d'étendre jusqu'à deux ans la durée des mesures administratives décidées par les préfets contre les personnes sortant de prison, cette extension permettant, au-delà des obligations judiciaires, d'imposer un pointage quotidien dans les commissariats.
D'autres mesures visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, prises à la suite de l'état d'urgence, sont étendues. Il sera désormais possible, comme le préconisait un certain nombre de rapports parlementaires, de procéder à la fermeture de locaux annexes à des lieux de culte.
Le texte vise également à pérenniser la technique algorithmique expérimentée par la loi de 2015 relative au renseignement et prévoit aussi l'échange de renseignements pouvant relever d'une finalité différente de celle ayant justifié leur recueil entre différents services. Le principe de l'individualisation de la surveillance, qui prévalait jusqu'ici, est ainsi un peu perdu de vue.
Enfin, le projet autorise une nouvelle technique de renseignement : l'interception des correspondances émises ou reçues par voie satellitaire. Je note que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'est prononcée sur les dispositions du texte intéressant la protection des données personnelles et que, concernant la technique algorithmique, elle n'a pu disposer des éléments nécessaires à l'appréciation de sa pérennisation, le bilan détaillé étant couvert par le secret de la défense nationale et n'étant accessible qu'à la CNCTR et à la délégation parlementaire au renseignement. Une nouvelle expérimentation aurait donc pu être envisagée sans méconnaître les impératifs de sécurité.
Je ne suis pas naïve : si le premier fichier de renseignement est constitué par les profils Facebook, je fais partie de ces parlementaires qui se battent depuis plusieurs années pour que les citoyens puissent accéder à leurs données et que le droit international reconnaisse le droit de savoir ce qui leur est imposé et selon quelles règles. Lorsque cette surveillance automatisée déclenchera une alerte, les autorités pourront demander l'autorisation à la justice de lever l'anonymat du suspect. En cas de récidive, une autre autorisation doit leur permettre d'instaurer une surveillance spécifique de la personne visée. Le champ est donc large.
Je note à ce propos que la France a été rappelée à l'ordre en octobre 2020 par la Cour de justice de l'Union européenne – nous finalisons un rapport sur cette décision que nous rendrons dans quelques jours à la commission des Affaires européennes. Il lui est reproché d'obliger les fournisseurs d'accès à internet à conserver pendant un an les données de connexion de leurs utilisateurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cette disposition a certes été confortée par le Conseil d'État sans que les autres États membres, concernés par la même jurisprudence, y aient vu une quelconque atteinte à leurs traditions constitutionnelles. Nous aurons l'occasion d'en reparler mais je souhaiterais d'ores et déjà vous poser trois questions.
Les correspondances des messageries instantanées sont-elles concernées ? L'internet français l'est-il dans sa globalité ? Le renforcement des dispositifs internes est à l'ordre du jour, or l'enjeu de la coopération entre États est tout aussi important, car le terrorisme est un fléau international. Il est donc nécessaire de prendre des mesures à cette échelle. Seuls, nombre d'États ne peuvent être efficaces et une coopération s'impose. Or les services de renseignement ne partagent pas toujours les informations recueillies. Une base de données antiterroristes commune entre États européens, comportant des garanties élevées, est-elle envisagée ?