Intervention de Ugo Bernalicis

Réunion du lundi 17 mai 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Bien évidemment, je partage l'objectif que vous avez tous rappelé : prévenir la commission d'actes terroristes. Nous devons faire tout notre possible pour l'atteindre, avec discernement et équilibre. Ce texte permet-il de prendre des décisions avec discernement ? Prévoit-il des mesures proportionnées ? Garantit-il l'exercice des libertés fondamentales ? L'application des nouveaux outils ne se fera-t-elle pas au détriment des libertés individuelles ? Déjà, lors de l'examen de la loi SILT, nous nous étions opposés aux MICAS. Notre position n'a pas varié. Nous continuons à nous demander pourquoi la procédure n'est pas judiciaire. Vous avez parlé des visites domiciliaires qui auraient permis de déjouer des attentats : si l'attentat était imminent, pourquoi la procédure n'a-t-elle pas été judiciarisée ? Il nous avait été donné comme explication, lors des auditions, qu'il ne fallait pas que d'éventuels renseignements provenant de l'étranger apparaissent dans la procédure. Je vous pose donc à nouveau la question : quelle est la proportion de MICAS décidées en raison de ce type de renseignements étrangers ?

S'agissant des mesures de sûreté, rappelons que le Conseil constitutionnel a censuré la proposition de loi qui les instaurait. Nous y restons opposés puisque le concept de dangerosité instille le poison de la suspicion dans notre pays, ce qui peut conduire à des dérives inacceptables. Faut-il rappeler le tollé des questionnaires établis pour repérer les signaux faibles dans les universités, à partir notamment de certaines caractéristiques physiques, ce qui est discriminatoire ? Ces mesures de sûreté mettent en évidence le fait que, trop souvent, des personnes condamnées pour des actes terroristes n'ont pas accès aux mesures d'aménagement de peine et se retrouvent sans perspective à leur sortie de prison. Nos collègues, qui s'amusent, de texte en texte, à coups de surenchère démagogique, à durcir la répression pénale, devraient s'en alarmer. Nous nous opposerons à ces mesures de sûreté avec la même détermination.

Que dire, par ailleurs, du nombre pléthorique de nouveaux moyens numériques ? Vous inscrivez dans le marbre l'utilisation des boîtes noires. Pourtant, Le Monde s'était fait l'écho d'un rapport parlementaire très critique par rapport à cet outil qui n'aurait pas apporté la preuve de son efficacité. On nous demande à présent d'autoriser l'accès aux adresses URL ! Moins on trouve, plus on veut des moyens supplémentaires ! C'est inquiétant ! Quand l'évaluation d'un dispositif donne des résultats insatisfaisants, la première réaction ne devrait pas être de le pérenniser. D'autres pistes devraient être explorées, par exemple le renforcement des moyens humains, que rien ne remplacera jamais. Vous aurez beau autoriser l'usage de tous les moyens technologiques et numériques possibles, vous vous heurterez toujours à la limite de celui qui prend toutes les précautions nécessaires ou du loup solitaire.

Je m'associe aux questions posées sur les nouvelles dispositions concernant les moyens numériques : comment seront organisés l'accès aux messageries cryptées et la conservation des données ? Le Gouvernement va-t-il imposer aux opérateurs ou aux gestionnaires de ces messageries l'installation de portes dérobées ? Les services de renseignement pourraient s'y engouffrer sans demander l'accord de qui que ce soit, ce qui serait évidemment problématique pour les libertés individuelles et fondamentales.

Plus globalement, vous souhaitez davantage de traitement algorithmique. La question de la manière dont il est réalisé se pose. Bien évidemment, cela ne relève pas de ce projet de loi. Mais ceux que le sujet intéresse savent bien que Palantir, entreprise américaine, est la seule à opérer puissamment ce traitement massif de données numériques. Il avait été question que le Gouvernement s'appuie sur Thales pour disposer d'une solution souveraine. Même si je n'approuve pas cette fuite en avant vers la surveillance généralisée, je préférerais qu'elle s'effectue dans un cadre souverain et non au vu et au su des services étrangers.

Le contrôle parlementaire a souvent été évoqué. Qu'il y en ait un plutôt qu'aucun est préférable, c'est certain. Mais si l'on pense que la lutte contre tous les actes de terrorisme – et principalement contre le terrorisme djihadiste – doit être une cause nationale suscitant l'union entre les différentes forces politiques, alors il faut aller plus loin dans le contrôle parlementaire. Chaque groupe politique, à l'Assemblée nationale et au Sénat, devrait avoir un représentant au sein de la délégation parlementaire au renseignement, pour que ces sujets soient mieux partagés. Lorsque l'on prend connaissance des rapports qui nous sont remis par le Gouvernement ou des fuites dans la presse, on se dit que, bien qu'étant parlementaires, nous sommes fort mal informés, alors que nous devons prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences attentatoires aux libertés fondamentales.

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