Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Réunion du mardi 15 juin 2021 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, tel qu'il a été adopté par le Sénat le 10 mai dernier.

Quelques mois auparavant, en première lecture, l'Assemblée nationale a fait le choix de l'ambition écologique en érigeant la préservation de l'environnement et, en son sein, la protection de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique, au rang de principes constitutionnels pleins et entiers. Nous avons fait le choix de l'ambition écologique, car en inscrivant que la France « garantit » la préservation de l'environnement, nous avons introduit un principe d'action positive pour les pouvoirs publics. Nous avons fait ce choix pour que la France soit le premier pays européen et l'un des premiers pays au monde à inscrire le dérèglement climatique dans sa loi fondamentale. Nous avons fait ce choix pour permettre à notre pays de poursuivre son action nationale et internationale en faveur du climat avec plus de force encore.

La majorité sénatoriale a, quant à elle, fait un choix diamétralement opposé, préférant vider le texte de sa substance. En effet, le Sénat a proposé une nouvelle rédaction de l'article unique qui dispose que la France « préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 ».

Permettez-moi tout d'abord de m'interroger sur l'intention du Sénat. Le rapporteur de sa commission des Lois a en effet reconnu que cette nouvelle disposition n'avait pas pour objet de produire d'effets juridiques nouveaux. Cette réflexion est pour le moins étonnante. Quel intérêt y aurait-il à convoquer le peuple français pour qu'il se prononce sur une disposition dont la portée serait seulement symbolique ?

Limiter la portée de la révision constitutionnelle à une confirmation du droit existant paraît d'autant plus dénué de sens que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement à l'Assemblée nationale, semblait déjà appeler de ses vœux une nouvelle ambition en indiquant, en 2004, que « la Charte, loin d'apporter une solution définitive, intégrale et préfabriquée, inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique ».

Le Sénat ne fait qu'affaiblir la portée de l'article unique du projet de loi constitutionnelle, sans pour autant lui apporter la sécurité juridique recherchée. La rédaction qu'il propose tend en effet à inscrire les politiques publiques de préservation de l'environnement et de lutte contre le dérèglement climatique dans les conditions d'ores et déjà définies par la Charte de l'environnement. Or cette référence serait une source d'ambiguïté car, comme l'a souligné le rapporteur au Sénat, le juge cherche toujours l'effet utile d'une révision constitutionnelle. L'incertitude juridique prétendument combattue serait ainsi patente. J'ajoute que la mention de la Charte de l'environnement voulue par les sénateurs n'a clairement pas sa place à l'article 1er de notre Constitution, dont l'objet n'est pas de lister les textes du bloc de constitutionnalité mais d'affirmer un certain nombre de principes directeurs de notre République. La proposition du Sénat revient à inscrire dans la Constitution que celle-ci doit s'appliquer, ce qui est un peu étonnant. En d'autres termes, la majorité sénatoriale a réduit le projet de révision constitutionnelle à une réforme purement cosmétique, pour ne pas dire symbolique, et nous ne l'acceptons pas.

Renoncer au verbe « garantir », comme le propose le Sénat, c'est faire perdre à la réforme constitutionnelle toute sa force. À cet égard, je vous rappelle que l'emploi de ce verbe n'a pas pour objet d'accorder quelque forme de priorité que ce soit au principe constitutionnel que nous introduisons, pas plus que son inscription à l'article 1er n'implique qu'il ait une prééminence d'ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles. En revanche, cela revient à accorder à l'écologie sa juste place dans notre droit, une place équivalente à celle des autres principes constitutionnels.

Le choix du verbe « garantir », dont nous avons beaucoup débattu en première lecture, a une triple justification. Il instaure d'abord un principe d'action des pouvoirs publics en faveur de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques. Il crée ensuite une obligation de moyens renforcée, de nature à étendre la responsabilité des acteurs publics en matière environnementale et à accélérer l'engagement de la responsabilité pour faute des acteurs publics, notamment en cas d'inaction, pour autant toutefois que soit démontré un lien de causalité entre cette inaction fautive et le dommage allégué. Il érige, enfin, la préservation de l'environnement en principe constitutionnel, ce qui a deux conséquences : ce principe pourra être invoqué contre une disposition législative dont la finalité ne serait pas d'assurer la préservation de l'environnement ; il pourra constituer le support d'actions en carence contre le législateur ou le Gouvernement pour ne pas avoir prévu de mesures de restriction ou d'interdiction de nature à assurer une protection suffisante de l'environnement.

Après avoir, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, défendu en première lecture le texte voulu par la Convention citoyenne pour le climat au mot et à la virgule près, je souhaite réaffirmer l'ambition de cette révision constitutionnelle, tout en marquant notre volonté d'avancer, avec le Sénat, vers le référendum. J'ai donc déposé un amendement – et les autres groupes de la majorité en ont déposé des identiques – qui tend à rétablir l'article unique dans la version issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, tout en tenant compte du souhait du Sénat de substituer au verbe « lutter » le verbe « agir ». C'était une recommandation formulée par le Conseil d'État dans son avis du 14 janvier 2021.

Cette nouvelle rédaction ne dénature en rien notre ambition initiale, puisque le verbe « garantir » y figure toujours, mais elle permet d'intégrer un apport du Sénat en tenant compte de l'avis du Conseil d'État. Notre ambition est la même : nous souhaitons aller jusqu'au référendum et faire de la France le premier pays européen à inscrire la lutte pour le climat dans sa Constitution. Pour y parvenir, nous devons nous entendre avec le Sénat sur un texte identique ; c'est pour cela que, fidèles à notre volonté de rassembler, nous vous proposons cette nouvelle formulation, qui doit nous permettre de trouver la voie d'un accord. Nous avons la volonté d'aller de l'avant, de ne pas esquiver l'urgence climatique et de rehausser notre exigence constitutionnelle. Je forme le vœu que nous puissions nous rassembler largement autour de cet objectif.

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