Le chanvre, plante aux multiples facettes, est étonnamment peu connu. En dépit d'une histoire multiséculaire, il conserve une image attachée à celle, controversée, de son principe stupéfiant, le tétrahydrocannabinol (THC), qui focalise le débat public sur son utilisation à des fins thérapeutiques ou récréatives. Dès lors, il n'est guère étonnant que l'usage des composantes non stupéfiantes du chanvre, parmi lesquelles on dénombre une bonne centaine de cannabinoïdes, soit difficile à appréhender de manière sereine et objective.
Présenté parfois comme du cannabis légal ou light, le cannabidiol est victime de son succès foudroyant auprès de consommateurs à la recherche de produits de bien-être naturel. Cette molécule, qui est tout aussi soutenue qu'elle est décriée par ceux qui n'y voient qu'un marché lucratif incontrôlé, fait l'objet de commentaires approximatifs et souvent erronés quant à ses effets et au régime juridique qui lui est applicable. Aussi la mission d'information a-t-elle souhaité faire œuvre de pédagogie dans son rapport d'étape sur le chanvre bien-être, publié en février dernier. Ses travaux ont permis de rappeler que s'il est impossible d'extraire du CBD de manière naturelle sans observer des traces de THC, les principes actifs de la molécule, essentiellement relaxants, n'ont aucun effet stupéfiant.
S'agissant du cadre réglementaire, nous avons souligné l'extrême fragilité des interdictions énoncées dans l'arrêté ministériel du 22 août 1990, toujours applicable à l'heure actuelle, et appelé le Gouvernement à faire preuve d'audace en allant au-delà de ce qu'impose la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt Kanavape du 19 novembre 2020.
Nous estimons en effet qu'il est temps d'impulser la création d'une filière française de production du chanvre bien-être en autorisant la culture et l'exploitation de la fleur de chanvre en deçà de teneurs en THC situées entre 0,6 % et 1 %, en fixant pour chaque catégorie de produit fini un seuil de THC intégrant le niveau de toxicité lié à son ingestion et en renforçant les garanties offertes au consommateur en matière de contrôle des produits et de transparence des informations fournies.
Au regard de ces préconisations, les annonces effectuées par le cabinet du Premier ministre le 25 mai dernier sont décevantes. La France serait disposée à autoriser la culture et l'exploitation de la fleur de chanvre ainsi que la commercialisation de produits finis contenant du CBD, mais aucun relèvement du taux de THC autorisé en culture, actuellement de 0,2 %, ne serait envisagé. Par ailleurs, selon les informations disponibles, une teneur unique en THC de 0,2 % serait appliquée aux produits finis sans qu'une distinction soit opérée selon le mode d'ingestion du produit. Enfin, la vente des fleurs séchées resterait interdite.
Ces orientations, si elles étaient confirmées, traduiraient à la fois un manque d'ambition de la part du Gouvernement et, surtout, son absence de considération pour les travaux effectués par les parlementaires de façon transpartisane.
Je rappelle à cet égard qu'en maintenant un taux très bas, notre pays donne indirectement un avantage à ses concurrents, qui pourront désormais introduire sur le marché français des produits finis contenant du CBD issu de variétés de chanvre plus riches en THC, alors qu'autoriser un taux de THC en culture supérieur à 0,6 % permettrait à la France de se positionner parmi les pays les plus avancés au niveau européen en matière de diversité variétale.
Je rappelle également que le taux retenu, 0,2 %, constitue un handicap pour les outre-mer, les contraintes climatiques de ces territoires n'étant guère compatibles avec une teneur en THC aussi faible.
Par ailleurs, un tel taux rendra d'autant plus difficile la mise en œuvre de contrôles performants des fleurs en circulation, les tests de détection instantanée actuellement disponibles étant peu fiables en présence de faibles teneurs de THC, ce qui est paradoxal au regard de l'objectif de sécurité publique affiché par le Gouvernement.
J'ajoute que le choix d'une teneur maximale unique dans les produits finis, qui ne tient pas compte du degré de risque toxicologique propre à chaque catégorie, expose la France à de nouveaux risques contentieux au niveau de l'Union européenne, dans la mesure où la Cour de justice de l'Union européenne impose aux États membres, dans son arrêt Kanavape, de légitimer par de seules considérations de santé publique les éventuelles restrictions à l'importation de produits finis contenant du CBD.
En outre, la réglementation française comporte de multiples facilités, en particulier celle liée au statut de produit à fumer à base de plantes autres que le tabac, qui permettent de rassurer le consommateur quant à l'innocuité des produits au CBD, fleurs comprises.
Enfin, le choix opéré ne règle pas certaines questions connexes mais essentielles, notamment celle de la sécurité routière, dès lors qu'il sera possible pour un consommateur de CBD d'être sanctionné au même titre qu'un fumeur de cannabis récréatif.
Le récent arrêt, en date du 23 juin dernier, de la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l'extrême fragilité juridique de la position du Gouvernement sur la fleur de cannabis au regard des principes posés par la jurisprudence européenne. En appliquant aux sommités florales le raisonnement tenu par la Cour de justice de l'Union européenne sur les produits transformés, le juge national invite les autorités françaises à prendre en considération les législations en vigueur dans les autres États membres de l'Union européenne et exclut désormais toute restriction de commercialisation qui ne serait pas fondée sur un risque de santé publique préalablement documenté.
D'un point de vue plus général, nous appelons le Gouvernement à profiter des opportunités offertes par le droit de l'Union européenne pour progresser dans la voie d'une harmonisation des réglementations applicables au CBD et à essayer d'obtenir, au travers de la procédure dite des nouveaux aliments – ou « novel food » –, un avantage comparatif pour les produits français sur le marché européen.