Intervention de Caroline Janvier

Réunion du lundi 28 juin 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Janvier, rapporteure thématique :

Je remercie M. le président de la mission d'information, ainsi que M. le rapporteur général, des conditions dans lesquelles nous avons travaillé. Le sujet est sensible et complexe. Nous n'avons pas ménagé notre peine, chacun dans son rôle, pour l'aborder avec rationalité, comme il convient de le faire.

S'agissant de la méthode, il nous a semblé que l'approche idéologique du cannabis pénalise le débat. Depuis 50 ans, elle est privilégiée, au détriment d'une autre, fondée sur les faits, les données et les expertises. Nous avons essayé, au cours de ces longs mois de travaux, d'adopter la seconde, dans un esprit transpartisan.

S'agissant du contenu, l'élaboration du rapport sur le cannabis récréatif s'est déroulée trois étapes. D'abord, nous avons dressé le bilan de la politique publique en la matière menée en France depuis la promulgation de la loi du 31 décembre 1970. Ensuite, nous l'avons comparé à celui obtenu dans d'autres pays, au sein de l'Union européenne (UE) et en Amérique du Nord, notamment au Canada, ainsi que dans certains États américains. Enfin, nous avons formulé plusieurs propositions et exploré plusieurs pistes pour construire un modèle français, car il faut tenir compte des données et des objectifs spécifiques à chaque pays.

Constatons d'abord qu'en France, depuis cinquante ans, la puissance publique ne ménage pas sa peine pour lutter contre la drogue, notamment le cannabis. Chaque année, plus d'un milliard d'euros sont consacrés à la répression du trafic de drogue et surtout de son usage. La répression de l'usage de drogue s'accentue et concentre les efforts des forces de l'ordre. Elle représente 80 % des interpellations. La lutte contre le trafic, plus complexe et plus longue, ne donne pas toujours les résultats escomptés. Souvent, un trafic démantelé se reconstitue rapidement, parfois en quelques heures. Chaque année, près d'un million d'heures de travail sont consacrées à la lutte contre le trafic et surtout l'usage du cannabis ; pourtant, les Français en sont les plus gros consommateurs en Europe, et leur consommation augmente. Nous occupons aussi, malheureusement, la première place s'agissant de la consommation des jeunes, notamment parmi les jeunes de seize ans, qui présentent une consommation deux fois supérieure à la moyenne de l'UE.

Ainsi, la politique suivie en France ne fonctionne pas sur le plan sanitaire. Nous ne parvenons pas à faire baisser la consommation de cannabis, ni à protéger les jeunes. Or les moins de vingt-cinq ans sont particulièrement vulnérables face à la consommation de cannabis, qui induit chez eux des risques certains de développement de troubles psychiatriques et cognitifs, ainsi que des difficultés de concentration et de mémorisation, favorisant le décrochage scolaire, car leur cerveau n'est pas complètement formé. Ces usagers doivent être protégés en priorité. Le cadre prohibitif ne le permet pas. Si vous savez que consommer du cannabis vous rend passible d'une peine d'emprisonnement d'un an, il vous est difficile de vous adresser à des associations et à des professionnels susceptibles d'aider à diminuer votre consommation et de vous accompagner.

Forts de ce constat, nous sommes allés voir ce qui se passe dans d'autres pays. Je citerai trois exemples. Au Portugal, les autorités ont considéré, il y a plus de vingt ans, qu'il valait mieux mettre l'accent sur la santé davantage que sur la répression. En dépénalisant la consommation de toutes les drogues, elles ont réussi à diviser par deux la consommation d'héroïne. La consommation de cannabis, au Portugal, est trois fois inférieure à ce qu'elle est en France. Certains États américains ont opté pour une légalisation du cannabis faiblement régulée, la puissance publique confiant à des opérateurs privés le soin d'organiser sa production, sa transformation et sa distribution. Ce modèle, malheureusement, n'obtient pas toujours de bons résultats en matière de santé publique, s'agissant notamment de la diminution de la consommation parmi les jeunes. Le Canada, au contraire, a la santé publique pour objectif premier. Les autorités ont réussi à faire baisser la consommation parmi les jeunes âgés de quinze à dix-sept ans, en adoptant une légalisation du cannabis encadrée par des contrôles, de sa production à sa distribution.

Ces travaux nous ont permis d'aborder plusieurs sujets et de réfléchir à la façon dont nous pourrions, en France, si nous faisons le choix de la légalisation encadrée, définir un cahier des charges très précis de la production de cannabis, notamment en réglementant et en contrôlant sa teneur en THC, en contrôlant les points de vente grâce à la distribution de licences à des opérateurs privés, en repérant les consommations qui posent problème en raison de leur régularité et de la concentration élevée des produits en THC et surtout en contrôlant – aucun dealer ne le fait – l'âge du consommateur.

Tout cela nous permet de proposer une légalisation encadrée et régulée du cannabis, pour que nous passions d'une situation dans laquelle le marché est contrôlé par des réseaux criminels, qui s'adonnent aussi au trafic d'armes et parfois au proxénétisme, à une situation dans laquelle l'État établit un contrôle des substances consommées pour diminuer les risques associés, contrôle l'âge des consommateurs et fait respecter l'interdiction de vente aux mineurs. L'exemple du Canada, où vendre du cannabis à un mineur est passible d'une peine d'emprisonnement de quatorze ans, démontre que la légalisation du cannabis n'exclut pas la répression renforcée des actes particulièrement risqués.

Je ne développe pas davantage ce sujet complexe et invite chacun à lire le rapport d'information que j'ai rédigé. Nous avons constaté que le débat sur le cannabis est émaillé d'idées reçues et souffre de la confusion entre sa légalisation et sa banalisation, voire sa promotion, qui ne sont ni l'une ni l'autre l'objet de nos travaux. J'invite chacun à se pencher de près sur ce sujet, qui mérite que l'on s'y intéresse.

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