Intervention de Olivier Véran

Réunion du mardi 20 juillet 2021 à 14h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la santé :

Nous voici réunis pour la neuvième fois autour de l'examen d'un projet de loi de gestion de la crise sanitaire. Cette nouvelle mobilisation du Parlement est fondamentale pour répondre à une reprise épidémique, causée par un ennemi que nous connaissons bien, désormais, le variant delta, extrêmement contagieux et à l'origine d'une quatrième vague, dans notre pays comme dans d'autres, en pleine période estivale.

Cette épidémie présente plusieurs particularités. Tout d'abord, elle touche essentiellement les jeunes entre 20 et 40 ans, avec des taux d'incidence sur les 20-30 ans, dans certains départements, beaucoup plus élevés que précédemment.

Par ailleurs, l'épidémie est mondiale. Nombre de pays voisins, mais aussi l'Australie, la Tunisie, sont frappés par le variant delta qui provoque une tension sanitaire extrêmement forte, d'autant plus que le virus circule activement jusque dans les endroits les plus reculés, auparavant épargnés – je pense en particulier aux îles.

Cette épidémie peut se propager à une vitesse fulgurante. Ainsi, dans certains départements, la circulation du virus augmente de plusieurs centaines de pour cent en seulement une semaine, le temps de doublement du virus étant beaucoup plus court que ce que nous avions connu à l'époque du covid-19 ou des variants anglais, sud-africain etc.

Cette épidémie porte en elle une part d'incertitude car, à date, étant donné que ce variant reste récent, il est difficile d'avoir une vision claire des conséquences sanitaires que pourrait déclencher une vague épidémique dans des pays qui ont déjà vacciné tout ou partie de leur population. En Angleterre, alors que le nombre de nouvelles contaminations atteint 50 000 cas par jour, l'impact sanitaire n'est plus corrélé à l'impact épidémique même s'il reste réel. En France, depuis dix jours, le nombre d'admissions à l'hôpital augmente ainsi que dans les services d'urgence et les services de réanimation pour les cas graves.

Les jeunes sont très rarement hospitalisés car, même s'ils sont les plus touchés par le virus, ils développent peu de formes graves. Cependant, ils peuvent souffrir d'une forme longue du covid, qui les handicapera durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. L'essentiel des personnes hospitalisées restent les plus fragiles, celles atteintes d'une comorbidité ou d'une maladie, ou encore les personnes âgées qui n'ont pas encore été vaccinées et qui représentent 15 % de la population âgée ou malade de notre pays. Durant la première vague, qui a mis en tension nos hôpitaux, seuls 2 à 4 % de la population était frappée par le virus. Imaginez ce qui pourrait advenir en cas de quatrième vague particulièrement virulente, sachant que 15 % de la population fragile n'est pas vaccinée !

Selon les projections de l'Institut Pasteur, notre pays pourrait être frappé par une vague sanitaire importante à la fin du mois d'août mais la situation est différente aujourd'hui car nous disposons d'une nouvelle arme, le vaccin. Celui-ci est efficace, proposé partout, pour tous, tout le temps, selon un rythme de vaccination record en France, ce qui permet au plus grand nombre de se protéger contre ce variant. Il ne provoque pas la maladie. Au contraire, il protège des formes graves, à tout âge. Il permet de surcroît de réduire la circulation du virus et donc les effets des vagues épidémiques. Plus de 95 % des personnes hospitalisées pour des formes graves sont des patients qui n'ont pas terminé leur cycle vaccinal.

Pas moins de 4 millions de personnes sont décédées du covid-19 dans le monde depuis le début de la pandémie, notamment dans les pays où les vaccins ne sont pas accessibles actuellement ou dans ceux où la gratuité des soins et des tests n'est pas la norme. Je ne peux tolérer que le vaccin, dispositif médical qui protège et soigne, devienne un outil de propagande entre les mains de quelques-uns qui font de la défiance un fonds de commerce électoral, le moyen de trouver une audience ou une posture, quelque peu puérile, visant à se donner une consistance en société. Les Français ne sont pas dupes. D'ailleurs, ils étaient beaucoup plus nombreux encore le week-end dernier à se faire vacciner au moment où d'autres défilaient contre la vaccination.

Face à l'individualisme, nous avons fait le choix de la responsabilité collective. C'est le moyen de protéger la population. Dans notre histoire, chaque campagne de vaccination obligatoire a suscité, en réaction, des mouvements sociaux, inspirés par le politique, le religieux ou une défiance à l'encontre des autorités publiques. Ainsi, la vaccination contre la variole en 1902 a entraîné un mouvement de défiance. La vaccination obligatoire contre la poliomyélite, qui terrassait 4 000 enfants chaque année dans notre pays, soit plus de dix morts par jour, a déclenché des tollés dans la population. Toutes les grandes campagnes de vaccination ont donné lieu à des réactions sociales quand elles sont passées de l'incitation à une forme de contrainte. Nous ne devons pas nous y arrêter. Nous devons convaincre, lutter contre la peur, en nous appuyant sur les arguments scientifiques tangibles et raisonnables. La représentation nationale s'honore d'examiner aujourd'hui un texte qui lui offre l'occasion de promouvoir le vaccin.

Ce n'est pas une nouveauté que de contraindre les soignants à se vacciner. J'ai été aide-soignant avant de devenir médecin et j'ai dû être vacciné contre l'hépatite B pour pouvoir porter la blouse et ne pas mettre les patients en danger. J'ai réuni les sept ordres professionnels, les huit fédérations des hôpitaux et des EHPAD. À l'unanimité, ils ont signé un document pour reconnaître que la vaccination des soignants était une obligation déontologique, morale, professionnelle et individuelle. Ils ont admis qu'en cas de nécessité, il fallait rendre cette vaccination obligatoire.

J'entends les arguments de ceux qui ont peur, bien plus que de ceux qui veulent nous défier ou combattre les autorités scientifiques, politiques, médiatiques, sanitaires, que sais-je encore. Sur le manque de recul par rapport à la technologie de l'ARN messager invoqué par certains, je rappelle que celle-ci a été développée dans les années 1960 et qu'elle a permis depuis cette date de traiter des enfants atteints de maladies rares et graves avec des doses d'ARN messager 500 fois supérieures à celles que l'on peut trouver dans les vaccins Pfizer ou Moderna. Cela fait plus de vingt ans que des vaccins sont développés grâce à cette technologie. Certes, les vaccins contre le covid ont un peu plus d'un an mais les contre-indications sont connues, identifiées et se réduisent comme peau de chagrin au fil de l'observation en vie réelle de la vaccination. Le balance bénéfice-risque penche largement en faveur de la vaccination.

Pour toutes ces raisons, et en dépit de la reconnaissance que nous devons aux soignants pour leur engagement au service des malades, le Gouvernement ne peut se résoudre à ce que 40 % d'entre eux, en première ligne pour gérer la crise, ne soient pas encore vaccinés. La couverture vaccinale des soignants est plus faible que celle de la population générale, notamment dans les EHPAD, alors que la possibilité de se faire vacciner leur est offerte depuis janvier, sur leur lieu de travail, dans les centres de vaccination, chez leur médecin ou leur pharmacien. Plus de 80 % des résidents dans les établissements pour personnes âgées sont complètement vaccinés contre le covid et 1,4 million de soignants sont concernés par la nécessité de se faire vacciner. L'une des principales mesures de ce projet de loi est l'obligation vaccinale pour les soignants ou personnels exerçant leur activité au sein d'un établissement de santé. Nous voulons faire des hôpitaux et des EHPAD des sanctuaires hors covid. Nous voulons que la personne hospitalisée pour un cancer, une maladie infectieuse, un infarctus, ou admise en EHPAD en raison de son âge ou de son extrême fragilité, soit certaine que l'endroit où l'on prendra soin d'elle ne sera pas celui où elle pourrait être contaminée par le covid.

L'obligation vaccinale sera applicable à partir du 15 septembre pour laisser le temps à l'ensemble des professionnels de s'y conformer. Des absences seront autorisées sans conséquence pour la rémunération afin que les soignants puissent aller se faire vacciner. Le contrôle de cette obligation, comme pour celui des autres vaccins obligatoires, sera à la charge des employeurs. Nous demandons donc une accélération de la vaccination des soignants. Tous les indicateurs sont au vert, ce qui atteste de la très forte mobilisation de ceux qui avaient décidé d'attendre mais qui ont compris que ce n'était plus possible aujourd'hui.

Cela étant, nous ne souhaitons pas faire peser l'effort sanitaire sur les seuls soignants, que je tiens une nouvelle fois à remercier pour leur investissement. Nous avons donc étendu le recours au passe sanitaire qui ne sera plus limité aux grands événements de plus de 1 000 personnes. L'extension se déroulera en plusieurs étapes. Tout d'abord, par un décret, nous abaissons à compter de demain, mercredi 21 juillet, le seuil de 1 000 personnes à cinquante dans l'ensemble des établissements qui reçoivent du public (ERP) où le passe sanitaire est déjà en vigueur depuis le 30 juin. L'extension de l'application du passe sanitaire à partir de cinquante participants à l'ensemble des ERP concernera également tous ceux qui entrent dans le champ des loisirs, à savoir les parcs à thème, les établissements sportifs clos et couverts, les bowlings, les salles de jeux, les cinémas, les théâtres, les musées et les monuments. Enfin, le passe sanitaire sera exigé à partir de 12 ans et non plus 11 ans, afin de nous aligner sur l'âge d'ouverture à la vaccination. Les enfants de moins de 12 ans pourront suivre leurs parents sans qu'on leur demande de passe sanitaire.

Le projet de loi prévoit d'étendre le passe sanitaire aux restaurants, aux bars, aux déplacements de longue distance sur le territoire national, aux grands centres commerciaux, à l'exception de ceux qui vendent des biens essentiels, aux visiteurs des établissements accueillant des personnes fragiles, hors les services d'urgence. S'agissant des grands centres, un seuil sera défini par décret, en garantissant l'accès aux biens et aux service de première nécessité. L'objectif sera de définir le périmètre de la mesure en tenant compte de l'existence ou non d'alternatives à proximité raisonnable du centre pour permettre à ceux qui refusent de présenter un passe sanitaire à l'entrée de disposer d'autres options. Ce passe sera exigé dès le premier entrant et concernera les mineurs à partir de 12 ans. Il sera également exigé pour les salariés des établissements recevant du public ainsi qu'aux adolescents, mais seulement à partir du 30 août. Les sanctions encourues en cas de manquement aux obligations prévues sont renforcées. En effet, une obligation qui ne serait pas assortie d'une sanction ne serait plus une obligation. Nous prenons ces mesures pour protéger les Français et leur permettre un retour à la vie la plus normale possible, malgré la circulation du virus.

Par exemple, en cas de manquement à la présentation d'un passe sanitaire conforme, les clients s'exposeront à une amende forfaitaire de 135 euros, pouvant conduire, en cas de verbalisation répétée, à une peine de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende ; le défaut de contrôle des passe sanitaires par l'exploitant à l'entrée d'un événement ou d'un ERP sera puni d'une amende de 1 500 euros ; si le manquement est répété plus de trois fois, la peine pourra aller jusqu'à un an de prison et 9 000 euros d'amende, ou 45 000 euros d'amende s'il s'agit d'une entreprise ; le préfet pourra en outre prononcer par arrêté la fermeture administrative des établissements concernés. L'objectif, je le répète, est de limiter les effets d'une quatrième vague, et de ne pas avoir à fermer de nouveau les établissements de ce type pour l'ensemble des Français. Les scientifiques nous le disent : si nous fermions tous ces établissements pour tous les Français, comme nous l'avons fait pendant le confinement, l'impact épidémique et sanitaire serait le même que si nous les fermions pour les seules personnes non vaccinées – il est impératif que vous ayez cette donnée en tête au moment d'entamer le débat.

Nous allons en outre renforcer les mesures d'isolement, en les rendant systématiques pour toute personne testée positive au covid-19. Ces mesures ne concernaient jusqu'à présent que les voyageurs en provenance de l'étranger. Désormais, dès la notification de l'infection au covid d'un individu sur le territoire national, un isolement de dix jours sera obligatoire. Concrètement, cela fonctionnera de la manière suivante : en cas de résultat positif à un test, les conditions d'isolement seront communiquées. Dès la notification de la contamination, la personne concernée devra s'isoler dans le lieu qu'elle indiquera ; il sera possible de demander au représentant de l'État d'aménager ses heures de sortie en raison de contraintes familiales ou personnelles dûment justifiées ou de définir des conditions d'hébergement permettant d'assurer la sécurité des personnes victimes de violences conjugales. Le juge des libertés et de la détention pourra être saisi à tout moment pour demander la mainlevée de la mesure ou le bénéfice d'aménagements qui auraient été refusés par le préfet. Des contrôles à domicile seront assurés par les forces de l'ordre suivant une amplitude horaire particulière, de 8 heures à 23 heures. En cas de non-respect de l'isolement, les sanctions seront de niveau contraventionnel. Les cas contact ne sont absolument pas concernés par ces mesures d'isolement obligatoire, qui ne s'appliquent qu'aux cas positifs.

Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous présente à nouveau des mesures exceptionnelles, j'en ai conscience, mais elles visent à répondre à une situation qui menace de devenir rapidement critique. Nous assumons pleinement ces mesures qui envoient un message de fermeté et de clarté afin que nous puissions vivre le plus normalement possible avec le covid. La vaccination est une chance et un droit, mais elle peut aussi devenir un devoir, et même une responsabilité. Nous ne voulons pas d'exception, ni de passager clandestin. Nous voulons du collectif et rien que du collectif pour que nous puissions atteindre l'immunité et nous débarrasser du virus. Le passe sanitaire et les mesures d'isolement doivent être vus non comme des contraintes, mais comme les équivalents de dispositifs médicaux. Hors covid, quand vous êtes malade et contagieux, votre médecin vous demande de rester chez vous ; quand vous avez un arrêt de travail, vous êtes soumis à des contrôles et à d'éventuelles sanctions. Ne nous méprenons pas : l'enjeu, ce n'est pas le passe sanitaire ou la liberté, c'est le passe sanitaire ou le confinement.

Néanmoins, je ne doute pas que nous débattrons ensemble de la liberté. Comme des millions d'élèves avant et après moi, j'ai dû lire Jean-Jacques Rousseau – je l'ai d'ailleurs fait avec plaisir – et j'ai appris avec lui que la liberté réside dans l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite. Nous voici donc au bon endroit : c'est ici que se fait la loi.

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