Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

Je commence par rassurer Mme la rapporteure pour avis s'agissant des plaintes en ligne. C'est le ministère de l'intérieur qui pilote le projet, qui doit aboutir fin 2023. Nous veillerons à renforcer notre coopération afin de tenir ces délais. Je pense que nous serons au rendez-vous de nos promesses et de nos obligations.

La transformation numérique du ministère engagée par la loi de programmation atteindra sa pleine puissance en 2022. Le plan de transformation numérique vise à construire le service public numérique de la justice. Il s'articule autour de trois grands axes : l'adaptation du socle technique des outils de travail, le développement des applicatifs au service de la communication électronique et de la dématérialisation, et l'indispensable soutien aux utilisateurs.

Le budget pour 2022 amplifie la dynamique qui a déjà été engagée, non seulement pour l'investissement mais aussi pour la bonne maintenance des nouveaux applicatifs, avec une hausse de 80 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2021. Les crédits se montent à 205 millions pour l'investissement informatique, soit plus 69 millions sur un an, et 107 millions pour la maintenance, soit plus 21 millions en un an. Par ailleurs, 53 millions de cofinancements de la part du ministère de la transformation et de la fonction publiques, notamment dans le cadre du plan de relance, viennent sur deux ans compléter cet effort budgétaire sans précédent.

C'est indispensable pour passer à la justice du XXIe siècle. Je pense en particulier à la procédure pénale numérique, que j'ai vue fonctionner à Troyes : c'est un outil absolument fantastique. Pour les forces de sécurité intérieure, pour les greffiers, pour les magistrats, pour les avocats, c'est vraiment une façon révolutionnaire de travailler.

Nous avons présenté l'évolution de nos projets et nous continuerons à le faire pour la parfaite information de la représentation nationale. S'agissant plus précisément des bornes wifi, nous en aurons 2 750 en janvier prochain et toutes les juridictions seront couvertes au plus tard en 2023.

C'est cela, voyez-vous, la justice de proximité. La presse quotidienne régionale en est pleine : les personnels qui arrivent dans les juridictions, les tribunaux qui rouvrent, les délégués du procureur qui se servent des alternatives aux poursuites pour sanctionner rapidement les petits délinquants… Tous les jours, la justice de proximité parle aux Français, directement.

On l'a dit, 2 100 emplois publics ont été pourvus en douze mois seulement pour la justice de proximité. La question de la pérennisation de ces contrats se pose bien sûr, mais comme ces personnels se sont vite rendus indispensables dans les juridictions, il sera difficile de faire autrement. Les contrats principaux sont de trois ans renouvelables trois ans, soit six ans, avec naturellement la possibilité d'entrer ensuite dans la grande maison de la justice par la voie du concours.

La grande difficulté, c'est qu'il faut trente et un mois pour former un magistrat, et dix-huit pour un greffier. L'École nationale des greffes est pleine à craquer, le taux de vacance des magistrats est pratiquement nul et nous avions besoin de « sucres rapides » : ils sont là, et particulièrement appréciés par toutes les juridictions. J'entends aujourd'hui des magistrats de terrain me dire qu'ils leur ont permis de réaliser un projet qui traînait depuis quinze ans. Voilà, dans les territoires, ce qu'est la justice de proximité.

Dans ces effectifs, 1 100 ont été embauchés au titre de 2020 pour la justice pénale. Cela permet d'instituer des référents dédiés aux élus, par exemple, ou aux violences interfamiliales. Mais nous n'avons pas souhaité être trop directifs et laissons aux juridictions le soin d'adapter le rôle de ce personnel nouveau en fonction des nécessités du terrain et de leur propre vision des choses. En étant trop directifs, nous passerions à côté du but que nous nous sommes fixé.

Les 1 000 autres ont été embauchés en matière civile. Lorsque les juges du siège, sur lesquels le garde des sceaux n'a strictement aucune influence, et c'est très bien, ont vu ce personnel supplémentaire rejoindre les procureurs, ils en ont demandé aussi. Nous avons accepté, puisqu'ils en ont besoin, et nous avons signé avec eux des contrats d'objectifs : d'accord pour le personnel, mais nous voulons dès à présent des résultats. Ces résultats ne sont pas consolidés, puisqu'il faut au moins un an pour cela et que les renforts datent d'avril, mais nous avons déjà un certain nombre de chiffres, à Lyon, à Nanterre et dans d'autres juridictions, que je pourrai vous communiquer.

La traduction concrète est très claire : ce sont des dossiers que l'on peut déstocker, que l'on traite en plus de ce qui était possible auparavant – et autant de justiciables qui auront leur jugement plus vite que les délais hélas traditionnels. Or je rappelle que le grief majeur que les Français expriment, de façon constante, à l'encontre de l'institution judiciaire est celui de la lenteur.

Par métier, ces 2 100 emplois se répartissent en 1 914 postes pour les services judiciaires, 86 pour les services de la protection judiciaire de la jeunesse – les éducateurs – et 100 pour les services d'insertion pénitentiaire. En termes de masse salariale, cela représente 65 millions d'euros : 40 pour la justice pénale de proximité et 25 pour la justice civile de proximité.

Après les 200 millions d'euros qui ont été obtenus dans la loi de finances initiale de 2021, le projet de loi de finances pour 2022 pérennise et renforce les moyens dédiés à la justice de proximité, portés à 250 millions : 65 millions de masse salariale donc, 125 millions pour l'augmentation des frais de justice, 30 millions supplémentaires pour renforcer les moyens d'enquête et d'investigation, 20 millions pour le milieu associatif de la protection judiciaire de la jeunesse, 10 millions pour le fonctionnement courant correspondant aux créations d'emplois et au développement des bracelets électroniques et anti-rapprochement.

Monsieur Questel, je me joins à votre hommage : l'administration pénitentiaire a vraiment assuré. D'abord, la pandémie ne s'est pas répandue. Il n'y a pas eu de mutineries chez nous, contrairement à d'autres pays, comme l'Italie ou le Brésil, où elles se sont terminées dans le sang. Les parloirs n'ont pas été fermés – ils ont tout assumé. Vraiment, je leur rends un hommage appuyé. Il est déjà difficile de faire ce métier en des temps ordinaires, mais en période de pandémie, c'est véritablement héroïque, à plus d'un titre.

La priorité, pour les personnels pénitentiaires, est la sécurité. J'avais déjà rehaussé de 10 %, à 70 millions d'euros, les crédits qui y étaient dédiés en 2021. Cette année, je vous présente un plan d'investissement pénitentiaire de 100 millions, largement axé sur la sécurisation des établissements et bien sûr des agents. Je pense là aux deux surveillants qui ont été pris en otage ces jours derniers à Condé-sur-Sarthe et qui sont sous le choc. L'un d'eux, un jeune homme d'une vingtaine d'années qui s'est retrouvé avec un poinçon sous la gorge, a vraiment cru qu'il allait y laisser sa peau.

Sont prévus 45 millions pour la sécurisation des établissements, 30 millions pour les parkings, car les dégradations de véhicules du personnel pénitentiaire sont fréquentes, 11 millions pour le système de brouillage des communications 5G, 4 millions pour la lutte anti-drones. 20 millions pour la sécurisation des agents à travers le déploiement du système d'alerte géolocalisé, et 35 millions pour simplifier le suivi de la détention, dont 21 millions pour le déploiement de terminaux numériques dans 20 000 cellules dès 2022.

S'agissant des conditions de détention dignes, on constate une augmentation du nombre des détenus dans notre pays. La période du covid a été marquée par une baisse conjoncturelle, car il fallait éviter des risques de propagation de la pandémie. Ma prédécesseure a pris des mesures parcimonieuses, autorisant la sortie de 6 000 détenus qui étaient libérables à très court terme, à l'exclusion de ceux qui étaient condamnés pour certains faits, comme des violences faites aux femmes. On a parlé de 13 000 détenus libérés, mais c'est faux : le reste étaient des gens qui ne sont pas entrés en prison. Cette décision était indispensable. Il ne s'agissait que de quelques mois, pour des gens qui devaient de toute façon sortir avant la fin du confinement.

Maintenant, mécaniquement, le nombre de détenus augmente. Vous avez voté en mars un texte proposé par le Sénat et que j'ai défendu, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Ce texte nous était imposé par la Cour européenne des droits de l'homme, mais aussi par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Face à la situation, il était indispensable que nous réagissions. Maintenant que la loi est votée, la réponse passe par la construction de places de prison. Nous reviendrons certainement sur le sujet avec les questions des députés.

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