Nous sommes confrontés depuis longtemps à un dilemme cornélien. Les conditions de détention sont indignes, dont acte – nous savons que des détenus dorment par terre ; nous construisons donc des prisons modernes… et l'on nous juge répressifs parce que, la nature judiciaire ayant horreur du vide, ces prisons devraient être rapidement remplies. Que ceux qui raisonnent ainsi et qui ont une solution m'en informent !
Nous avons déjà restauré toutes les prisons partout où cela était possible – je pense notamment à celle de Fleury-Mérogis. Les personnels pénitentiaires souhaitent évidemment que les conditions d'incarcération soient dignes : moins présentes sont les tensions, plus il est possible de travailler à la réinsertion des détenus. Certaines prisons, toutefois, ne peuvent pas être restaurées en raison de leur vétusté et le problème de la promiscuité impose également de nouvelles constructions.
Nous disposons de 2 000 nouvelles places – la construction du centre pénitentiaire de Lutterbach, par exemple, est désormais achevée, l'Alsace pouvant accueillir 800 détenus. Une deuxième tranche de 4 000 places est en cours sur quatorze chantiers, dont Basse-Terre, Caen, Gradignan, Fleury-Mérogis, Troyes-Lavau, Nîmes, Les Baumettes, Osny, Meaux, Le Mans, Montpellier, Avignon, Valence. Je tiens les photos de ces constructions à votre disposition. Le premier coup de pelleteuse pour une dernière tranche de 1 000 places aura lieu d'ici à la fin de l'année, la livraison du tout étant prévu en 2022.
Une nouvelle tranche de 8 000 places est également prévue. Nombre d'élus se tortillent devant les micros qui se tendent pour assurer à quel point il est utile, urgent, nécessaire, impératif et impérieux de construire des places de prison… mais pas chez eux. S'il y a des maires qui considèrent qu'accepter un établissement pénitentiaire relève de l'engagement citoyen et qui tiennent leurs terrains à la disposition de l'État, d'autres ne raisonnent pas du tout de la même façon. Ceux qui, souvent, réclament la construction de prisons sont le plus souvent aux abonnés absents lorsqu'il s'agit de les construire dans leur circonscription ou dans leur ville. J'ai négocié les 8 000 terrains : pour convaincre les élus, le travail est titanesque ! Des excuses abracadabrantesques, j'en ai entendu ! Je vous en cite une : « On ne peut pas construire de prison ici parce que, traditionnellement, nous organisons chaque année une battue de sangliers ». J'ai répondu, non sans persifler, qu'il y aura des miradors.
Contrairement à ce que j'ai entendu, le Président de la République sera au rendez-vous de ses engagements. En 2018, il a en effet déclaré que ces 15 000 places de prison seront construites d'ici à 2027 et ce sera le cas. Pour les 8 000 places, nous avons engagé le choix des terrains et les expertises. Je rappelle, pour les « y'a qu'à-faut qu'on », que le covid a de surcroît un peu ralenti les choses. Toute l'économie en a subi les conséquences, dont la construction.
La construction de vingt CEF est envisagée : cinq publics et quinze associatifs. S'agissant des CEF publics : le CEF de Bergerac a été lancé en 2019, son ouverture étant prévue au début de 2022 – j'irai l'inaugurer ; deux autres, à Rochefort et à Lure, l'ont été ou le seront très prochainement ; la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) prévoit le lancement des deux derniers projets en 2022. S'agissant des CEF associatifs, les projets sont également lancés : quatre, en 2019, dont le premier à Epernay, lequel ouvrira à la fin de l'année, et le second à Saint-Nazaire, qui ouvrira en 2022 ; cinq autres seront livrés entre 2023 et 2024 à Amillis, en Seine-et-Marne, Le Vernet, en Ariège, Montsinéry-Tonnegrande, en Guyane, et Apt, dans le Vaucluse. Deux autres projets sont en bonne voie et pourraient être effectivement lancés.
Là encore, les choses sont compliquées : « Il faut en construire mais pas chez nous ! ». Je rappelle que les CEF sont pourtant très efficaces et que les gamins qui y passent récidivent beaucoup moins. Cet investissement républicain est utile et indispensable.
Monsieur Hemedinger, vous avez exposé assez longuement ce qu'il est nécessaire de faire selon vous. Dans un premier temps, constatant que c'était là exactement ce que nous faisons, j'ai eu envie de vous dire : bienvenue dans la majorité ! Puis, alors que vous étiez en si bon chemin, vous vous êtes arrêté pour nous critiquer à propos des taux de vacance. Or, c'est vraiment le point sur lequel il ne faut pas venir nous chercher. Puisque vous me donnez des leçons et me dites ce qu'il faudrait faire, je vous rappelle ce que vous avez fait lorsque vous étiez au pouvoir : 102 magistrats, 142 greffiers et une dizaine de milliers de policiers de moins ! Et en matière de construction de prisons, vous n'avez pas fait grand-chose. Je vous le dis avec beaucoup de sympathie : si les murs de l'Assemblée ont des oreilles, ils ont aussi un peu de mémoire.
Les taux de vacance baissent de manière continue depuis quatre ans : pour les magistrats, le taux est pratiquement nul ; pour les greffiers, il est passé de 16 % ou 17 % à 6 % ; pour les surveillants, il est passé de 6,3 % en moyenne en 2018 à 4,92 % au 1er septembre 2021 – ce n'est pas rien ! Ce dernier chiffre correspond à 1 275 postes, il reste des choses à faire.
En outre, vous avez estimé que le taux de réponse pénale n'était pas satisfaisant, ce qui n'est pas tout à fait juste. En 2020, 89 % des affaires poursuivables ont reçu une réponse pénale ; 54 % ont fait l'objet de poursuites ; 42 %, d'une mesure alternative réussie ; 5 %, d'une composition pénale réussie. Le taux de 89 % est très intéressant, c'est même l'un des plus élevés d'Europe.
En revanche, je veux bien concéder que le délai d'exécution des peines demeure beaucoup trop long ; les Français en font légitimement grief à leur justice. J'ai tout fait pour réduire ce délai, et nous commençons à en voir les premiers résultats.
L'attractivité du métier de surveillant est au cœur de notre réflexion et de notre action. Les surveillants forment la troisième force de sécurité de notre pays. Ils exercent une profession difficile, insuffisamment connue et reconnue. En 2022, nous consacrerons plus de 13 millions d'euros à la revalorisation de leurs primes, de leurs heures de nuit et de leurs astreintes, sachant qu'il s'agit d'une politique pluriannuelle. Je souhaite, en outre, faire évoluer le statut des surveillants, pour améliorer durablement leur carrière. Le corps comportera désormais trois grades et la rémunération indiciaire sera accrue. Les crédits correspondants s'établiront à 4 millions.
Et je n'oublie pas les personnels d'insertion et de probation, les personnels administratifs et techniques, les psychologues et les cadres. Si vous adoptez le présent projet de loi de finances, nous aurons octroyé 120 millions aux mesures catégorielles sur l'ensemble de la législature.
Le nombre de candidats se présentant au concours de surveillant a nettement augmenté : en 2021, il a dépassé 13 000, pour 900 postes proposés. La question de l'attractivité du métier est donc résolue, tout au moins partiellement.
En matière d'aide juridictionnelle, nous poursuivons l'effort que nous avions annoncé. L'unité de valeur de référence est passée de 32 à 34 euros en 2021 ; elle passera de 34 à 36 euros en 2022. Cette deuxième étape sera financée par une enveloppe supplémentaire de près de 100 millions.
Nous améliorons le service rendu au justiciable et réduisons les délais de jugement, en cohérence avec l'objectif d'une justice de proximité. Je l'ai dit précédemment, une politique publique ne peut pas être expertisée au bout de quelques mois seulement. Néanmoins, je vous donne quelques chiffres permettant d'apprécier les progrès en la matière. Au tribunal judiciaire de Nanterre, le nombre de créneaux d'audience a augmenté de 33 %. Au tribunal judiciaire de Lyon, près de 800 dossiers supplémentaires d'affaires familiales seront traités d'ici à la fin de l'année. Autrement dit, 1 600 justiciables recevront une réponse judiciaire d'ici là, alors que ce n'était pas prévu initialement.
En ce qui concerne les violences intrafamiliales, nous avons été au rendez-vous de nos obligations. Toutes les juridictions sont pourvues en bracelets anti-rapprochement et en téléphones grave danger ; il suffit de les demander pour les obtenir. Plus de 400 bracelets anti‑rapprochement sont désormais actifs. Ils ont émis ces derniers temps plus de 400 alertes, ce qui signifie que l'on a évité la commission d'un certain nombre de crimes. Je le redis, car les crimes qui n'ont pas été commis ne font jamais la une des journaux – à la différence des crimes commis, qui nous plongent dans l'effroi et signent un échec collectif.
Nous nous intéressons de près à un autre outil, déjà employé en Espagne : les casques de réalité virtuelle pour les auteurs des faits. Conduite à l'initiative de neurologues, de psychologues et de psychiatres, l'expérimentation durera trois mois et sera suivie de neuf mois de travail scientifique. Nous en examinerons les résultats avec beaucoup d'attention. Certes, il ne suffit sans doute pas de mettre un casque de réalité virtuelle pour se défaire de sa violence. Mais j'ai moi-même mis un tel casque à deux reprises et j'ai trouvé cela très impressionnant. Je souhaite vous associer à cette expérimentation.
La justice de proximité procède de la volonté très forte de ce Gouvernement de faire revenir les services publics dans les territoires. Le réseau des points-justice est en train de se constituer ; il y en a déjà près de 2 000, dont beaucoup ont intégré une maison France Services. Destinés aux justiciables les plus modestes et les plus fragiles, ils fonctionnent très bien : les délégués du procureur, des avocats, des notaires s'y déplacent ; le taux de satisfaction des usagers est très élevé, 94 % – une telle unanimité pourrait même presque sembler, par nature, inquiétante ! Chaque fois que je me suis rendu dans un point-justice, j'ai été émerveillé par la façon dont on y accueille nos compatriotes : on leur donne de premiers conseils, on leur apprend à utiliser les outils numériques, on les oriente vers telle juridiction ou telle association de victimes. Les conseils départementaux de l'accès au droit ont pris toute leur place au sein de ce dispositif, avec leur réseau d'accès au droit déjà constitué.
Monsieur Bernalicis, vous avez eu un moment de faiblesse : vous avez dit du bien d'un ministre d'Emmanuel Macron ! Hélas, ce n'était pas moi ; c'était Mme Belloubet, qui le mérite d'ailleurs tout à fait.
Vous avez caricaturé mes propos. Dissipons un malentendu : comme d'autres, je pense que des gamins peuvent être sauvés par l'armée. En accord avec ma collègue Florence Parly, j'ai tenté un rapprochement, qui est en cours, entre la PJJ et l'armée. Bien évidemment, il ne s'agit pas de mettre tous les gamins dans un autobus pour les conduire dans une caserne ! Il s'agit d'orienter vers l'armée ceux que l'on aura identifiés, après expertise, comme susceptibles d'être aidés par cette institution, l'une des préférées des Français. On demande à des militaires de leur donner un coup de main, pour les sortir de là où ils se trouvent.
Dans les CEF, j'ai rencontré des gamins dont le projet était de partir à l'armée. Chacun a sa vocation – faire de la cuisine, reprendre des études… – et il faut tout tenter. Il importe que les éducateurs des CEF et la PJJ sachent qu'ils peuvent compter sur les militaires à cette fin.
Le doublé historique que j'ai évoqué se traduira, en 2022, par une augmentation de 4 % des dépenses de personnel, qui atteindront 4,2 milliards d'euros. Cette hausse permettra de financer 210 emplois publics, 720 créations nettes d'emplois, des mesures catégorielles à hauteur de 49 millions, une contribution à la protection sociale à hauteur de 16 millions. Les crédits d'investissement, de fonctionnement et d'intervention croîtront globalement de 12 %. Ils s'élèveront à 3,64 milliards d'euros pour l'administration pénitentiaire et à 3,11 milliards pour la justice judiciaire, sachant que nous poursuivrons notamment les efforts en faveur de la justice de proximité.
Vous avez assisté, dites-vous, à une audience solennelle d'installation à Lille, et vous prétendez que l'effectif cible ne correspondait pas aux besoins. Or c'est faux, car les objectifs cibles résultent du dialogue de gestion entre les chefs de cour et la direction des services judiciaires. Lorsque j'ai présenté le budget aux conférences des chefs de cour et de juridiction, il y a eu peu de critiques, pour ne pas dire qu'il n'y en a pas eu.
Évidemment, l'accueil par les syndicats a été un peu différent : l'année dernière, ils ont parlé de « rustines » ; cette année, de « cacahuètes ». Ayant remercié mes interlocuteurs pour la qualité du dialogue social et de nos échanges, j'ignore toujours si cette évolution sémantique correspond à une progression ou à une régression, mais peu importe.
Il ne se passe pas une semaine sans que j'aille voir les magistrats sur le terrain ou que je les reçoive à la Chancellerie. Ceux qui ont les mains dans le cambouis me disent ce qu'ils ont pu faire grâce au personnel supplémentaire ou aux nouveaux matériels. Je parle avec les gens, nous échafaudons des projets précis sur des questions techniques ou réglementaires ; c'est mon quotidien. Or tout le monde dit que ce budget est une véritable bouffée d'oxygène.
Je n'ai pas dit que tout était réglé, tant s'en faut – si tel était le cas, je démissionnerais. Mais beaucoup de choses se sont améliorées, il faut le reconnaître objectivement. Les magistrats que je rencontre sur le terrain le reconnaissent.
Je me souviens des réserves que vous avez émises lorsque l'Assemblée a discuté du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Désormais, ce code est pleinement entré en vigueur – Mme la présidente de la commission des lois a dit tout à l'heure qu'il était important que les textes votés soient appliqués ; cela va de soi et, en l'espèce, c'est bien le cas. Or, selon les premières remontées des juridictions, qui ne sont pas encore des bilans stabilisés, le délai moyen au niveau national entre l'audience de jugement et la prise en charge par la PJJ du mineur condamné s'établit à trois jours – cela va peut-être augmenter un peu –, contre plus de quatre mois auparavant.
Je dis que ça marche, et nous avons tout fait pour qu'il en soit ainsi. Conformément à ce que j'avais annoncé devant l'Assemblée, nous avons fait expertiser la situation par l'Inspection générale de la justice, puis nous avons affecté des personnels supplémentaires, notamment des éducateurs, et déployé des applicatifs. Pour ma part, je n'entends pas de doléances de la part des magistrats qui ont les mains dans le cambouis – mais peut-être n'avons‑nous pas les mêmes interlocuteurs. Les acteurs se sont emparés du CJPM, et cela commence à donner de premiers résultats.
Concernant les courtes peines, je suis sur la même ligne que Mme Belloubet : je pense qu'elles sont dépourvues d'intérêt, désocialisantes et criminogènes ; ce n'est absolument pas la solution. Pour certains gamins, la courte peine est un galon : lorsqu'ils en sortent, ils s'en vantent auprès de leurs petits camarades. Je préfère qu'ils fassent un travail utile. C'est pour cette raison que nous avons développé les travaux d'intérêt général (TIG) et que nous développons les travaux non rémunérés (TNR). Il faut une réponse pénale ultrarapide. Sous le régime de l'ordonnance relative à l'enfance délinquante, qui a précédé le CJPM, la moitié des mineurs ayant commis une infraction étaient condamnés une fois majeurs. Depuis lors, les délais ont été considérablement réduits, ce qui est bon du point de vue pédagogique. Ce que nous avons mis en place avec la loi du 23 mars 2019 et le « bloc peines » est extrêmement utile.
Pour ma part, je ne remets pas en cause l'utilité de la prison : elle sert à mettre notre société à l'abri d'un individu dangereux, à punir les infractions qui méritent de l'être. On fait de la prison une présentation manichéenne et sans nuance : vous êtes soit un affreux répressif, soit un affreux laxiste. Pourtant, j'en suis profondément convaincu, ce sujet mérite une particulière nuance.
Quant à l'utilité des CEF, je l'ai dit, elle est tout à fait démontrée. Le risque de récidive des gamins qui sont passés par un CEF est bien moindre. Une étude a même montré que, plus ils y restent longtemps – contrôlés, assistés par des éducateurs bénéficiant de moyens –, plus le risque de récidive s'estompe.
S'agissant des contractuels, nous en comptons 1 600, qui signent des contrats de trois ans renouvelables. Ils ont, ensuite, la possibilité de rester au sein de l'institution. Ils sont extrêmement utiles dans les juridictions. Je ne pratique pas là la méthode Coué. En tant que parlementaires, vous pouvez, comme moi, interroger les magistrats, procureurs ou présidents de tribunaux judiciaires. Ils vous expliqueront l'importance de ces personnels supplémentaires. J'ai déjà dit que, quand les magistrats du siège les ont vus arriver dans les parquets, ils ont demandé à en bénéficier. Un juriste assistant, travaillant aux côtés d'un magistrat, c'est deux fois moins de temps pour rendre une décision.
Quand je suis arrivé à la Chancellerie, je n'entendais parler que du manque de moyens. Aujourd'hui, je commence à entendre parler d'équipe autour du magistrat. Évidemment, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas renforcer le nombre de magistrats – il y en aura cinquante de plus dans les juridictions, sans compter les remplacements des départs en retraite. Nous avons franchi la barre historique des 9 000 magistrats, pour atteindre 9 090. C'est considérable ! La notion d'équipe autour du magistrat n'est pas nouvelle, mais elle est dorénavant régulièrement évoquée, y compris lors des réunions les plus institutionnelles. Aux Pays-Bas, on pratique déjà ce concept : le magistrat travaille certes avec un greffier pour les activités juridictionnelles, mais également avec des avocats, qui viennent donner un coup de main dans des conditions particulières, et des juristes assistants, plus nombreux que chez nous. Les magistrats, me semble-t-il, souhaitent aller vers cette notion d'équipe.
D'autres contractuels ont signé des contrats d'un an, que nous envisageons de pérenniser, car il n'y aurait aucun sens à affecter des personnels supplémentaires aux tribunaux pour les leur retirer l'année suivante.