Depuis le début de la crise sanitaire, nous insistons sur le fait que la conscientisation du risque sanitaire et la volonté d'agir pour protéger nos concitoyens n'impliquent nullement de s'abstenir de porter un regard critique sur la façon dont l'exécutif entend limiter ce risque, en particulier sur la prorogation renouvelée de dispositifs attentatoires aux libertés fondamentales.
Depuis le 23 mars 2020 et l'instauration pour la première fois de l'état d'urgence sanitaire, l'amoncellement de projets de loi, ordonnances, décrets et circulaires destinés à gérer l'épidémie dans l'urgence, de manière verticale et souvent confuse, a entraîné des atteintes graves aux libertés et droits fondamentaux, marquant un net recul de l'État de droit, de l'avis de nombreux observateurs et défenseurs des droits.
Comme le souligne le Conseil scientifique dans son avis du 6 octobre 2021, après environ vingt mois de pandémie, la situation sanitaire en Europe s'est considérablement améliorée grâce à la vaccination, initialement ciblée puis massive, associée à des mesures de restriction. Alors que la situation s'améliore nettement et que le taux de la couverture vaccinale est satisfaisant pour les adultes et les adolescents, plaçant la France dans la moyenne haute des pays d'Europe occidentale, le Gouvernement demande un énième report du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire et de la caducité de l'état d'urgence sanitaire.
La prolongation des dispositifs d'exception n'est pas justifiée, ni opportune si ce n'est par commodité pour le Gouvernement dans sa gestion disciplinaire et pyramidale de la crise, voire pour des considérations préélectorales.
Il convient d'alerter sur la dangerosité pour notre démocratie de la banalisation d'un régime d'exception dérogatoire au droit commun et sur le risque d'accoutumance à un tel régime qui maintient l'exécutif dans une zone de confort. Nous devons en particulier veiller à ce que ce régime ne soit pas pour le Gouvernement le moyen de gérer la pénurie dans les hôpitaux publics – manque de lits et de personnel soignant – et de masquer les dysfonctionnements ainsi que le désengagement de l'État. Rappelons à cet égard que le covid-19 n'a pas interrompu la réduction des capacités hospitalières. Au contraire, la crise sanitaire a en partie amplifié les fermetures de lits : en 2020, plus de 5 700 lits d'hospitalisation complète ont été fermés, selon une étude du ministère des solidarités et de la santé publiée en septembre 2021.
Même si, par définition, la situation reste encore incertaine, en dépit de modélisations et de taux de couverture vaccinale rassurants, l'Assemblée est capable de se réunir en urgence en cas de besoin. Il n'est pas question de délivrer un blanc-seing pendant plus de huit mois supplémentaires au Gouvernement, le laissant décider seul de recourir, quand il le jugera utile, au passe sanitaire. La démocratie ne peut être mise entre parenthèses pour des raisons d'agenda politique. Elle peut et doit fonctionner en période de crise. Le Parlement peut se réunir à tout moment en session extraordinaire si la situation l'exige. L'autorisation et le contrôle des mesures d'exception visant à préserver l'équilibre entre l'objectif sanitaire et la garantie de l'État de droit sont indispensables.
Enfin, comme l'ont souligné plusieurs de mes collègues, pourquoi prolonger jusqu'au 31 juillet alors que l'élection présidentielle aura eu lieu en avril et que l'Assemblée nationale sera renouvelée mi-juin ? C'est préjuger des intentions du futur gouvernement et du futur parlement.