Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du lundi 22 novembre 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la fonction publiques :

Ce projet, dans son ensemble, promeut une vision de simplification et reflète la manière dont nous concevons l'action publique depuis 2017, ainsi que l'a rappelé le Président de la République à la tribune du congrès des maires, la semaine dernière. Nous voulons une action publique à l'écoute de celles et ceux qui utilisent au quotidien des services publics, et une action publique qui permette à ceux qui les organisent de les faire bien fonctionner, aux côtés des collectivités et des élus qui assument des responsabilités de service public.

L'exigence de simplification de l'action publique a été au cœur de très nombreuses réformes législatives depuis 2017, que ce soit la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) instaurant le droit à l'erreur, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), la loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP) qui a donné lieu à la suppression des commissions administratives et la déconcentration des décisions individuelles, ou encore tout ce qui a favorisé une action publique menée au bon niveau, plus simple et plus efficace.

Dès ma prise de fonction, j'ai placé la simplification au cœur de la transformation de l'action publique, guidée par deux boussoles. La première est l'impératif de transparence de l'action publique. Grâce au baromètre des résultats de l'action publique, lancé en janvier dernier, chaque Français peut savoir, en visitant le site du Gouvernement, comment se déploient, dans son département, les quarante-trois réformes prioritaires. L'immense majorité d'entre elles n'est d'ailleurs pas le seul fait du Gouvernement mais bien le fruit d'un travail partagé entre collectivités et État ou entre collectivités, impliquant d'ailleurs parfois l'action des citoyens ou des entreprises.

Seconde boussole, un pilotage de l'action publique cohérent avec une vision territorialisée, un pilotage « jusqu'au dernier kilomètre », par le renforcement de l'État territorial départemental. Le préfet du département, notamment, a gagné des marges de manœuvre budgétaires et en ressources humaines, les effectifs étant redéployés partout dans le territoire, l'action publique dans son ensemble étant pilotée par une feuille de route interministérielle adaptée – la feuille de route de la Seine-Maritime n'a rien à voir avec celle de la Charente-Maritime ou celle d'un département plus rural ou plus urbain.

Je commencerai par détailler des mesures très emblématiques qui figurent dans ce titre consacré à la simplification, particulièrement liées à l'utilisation numérique.

L'innovation numérique doit, en effet, être mobilisée pour améliorer la qualité des services publics et, partant, la relation entre l'administration et les Français. L'article 50 du projet de loi instaure ainsi, en quelques mots, un réel changement de paradigme en accélérant le partage de données entre administrations. L'une des complexités principales rencontrées par les usagers dans leurs démarches tient à l'obligation de fournir encore et encore les mêmes informations que celles dont les administrations disposent déjà. Cette disposition concrétise une simplification profonde qui doit aboutir à une action publique unifiée pour les usagers, que celle-ci soit conduite par l'État, par une collectivité ou par un opérateur social.

Ce matin même, avec Jacqueline Gourault, nous rencontrions les associations d'élus pour suivre le déploiement des 88 millions d'euros de France relance consacrés à la mise à niveau numérique des collectivités. Nous avons notamment rappelé l'ambition partagée, très forte, de déployer France Connect dans l'ensemble des collectivités – régions, départements, intercommunalités, communes.

La règle, aujourd'hui, est l'interdiction du partage de données entre administrations, sauf dérogation expressément autorisée par voie réglementaire, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). J'ai souhaité que la logique soit inversée et que le partage devienne la règle par défaut. Ce sera le cas avec l'article 50, pourvu que le partage de données bénéficie à l'usager. Cet article a, bien évidemment, fait l'objet d'un travail précis et approfondi avec la CNIL, afin de maintenir un cadre respectueux de la protection des données à caractère personnel de nos concitoyens.

Le but est aussi d'accompagner les Français dans leurs démarches. Dans de nombreuses communes, par exemple, les démarches sont souvent très lourdes pour inscrire un enfant à la crèche, pour calculer un tarif de cantine scolaire. Les familles doivent fournir de nombreux justificatifs de quotient familial ou de revenus. Pourquoi devoir encore fournir notre date de naissance, celle de nos enfants, nos adresses, des informations que la ville, la direction des finances publiques ou les allocations familiales connaissent déjà ?

Ce partage de données représente avant tout, pour moi, un outil destiné à lutter contre le non-recours – une priorité pour de très nombreux parlementaires depuis des années. Un meilleur partage des données, c'est l'octroi automatique de droits ouverts par les parlementaires. Le chèque énergie a été déployé de cette manière, et l'inscription automatique à la complémentaire santé solidaire, votée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, rendra les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou du minimum vieillesse directement éligibles, grâce au partage de données.

Tout cela pousse à décloisonner l'action publique, à inciter les administrations d'État et les administrations des collectivités territoriales à travailler main dans la main. Nombre des démarches qu'il nous appartient de simplifier sont réalisées à l'échelon des collectivités, quelle que soit leur taille. C'est la raison pour laquelle madame la rapporteure Jacquier-Laforge, que je tiens sincèrement à remercier, propose un amendement de rétablissement de l'article initial du projet de loi. Le seuil de 10 000 habitants introduit par le Sénat est inutile, car le texte prévoit déjà que les administrations techniquement dans l'incapacité de partager leurs données, notamment les plus petites, n'auront pas l'obligation de le faire. L'article ouvre des possibilités sans contraindre.

Pour aller plus loin, je vous proposerai un amendement pour faire en sorte que le partage de données entre administrations permette d'attribuer de façon proactive aux usagers le bénéfice des aides auxquelles ils ont droit, sans qu'ils aient eux-mêmes à en faire la démarche. Il s'agit d'ailleurs d'une pratique qui s'est développée pendant la crise sanitaire. Pour certaines aides aux entreprises, les administrations sont allées au-devant des besoins pour en assurer la pleine efficacité.

Plus largement, cette vision du numérique s'inscrit dans notre plan de numérisation des 250 démarches les plus usuelles du quotidien des Français, entreprises comme particuliers. Nous avons atteint 86 % de l'objectif et nous nous engageons à le remplir à 100 % au cours de l'année 2022.

Parce que le numérique ne remplace évidemment pas la proximité, et parce qu'il n'est pas utile ni réaliste d'opposer développement d'un numérique de qualité et développement d'un très bon réseau de proximité, fondé sur un accompagnement humain et personnalisé, Jacqueline Gourault a usé d'un volontarisme soutenu pour déployer, avec les élus locaux, le réseau France services. D'ici à la fin de l'année, ce réseau disposera de 2 000 lieux d'accueil de proximité de service public sur le territoire, puis 2 500 d'ici à la fin 2022. Ce n'est en rien un gadget. Les élus qui s'engagent dans cette dynamique disent déjà combien, après six ou neuf mois d'ouverture, l'accès aux droits des personnes en difficulté s'en trouve changé.

Une autre avancée majeure de ce texte est la part donnée à l'expérimentation au service de l'innovation de l'action publique. En matière d'expérimentation et de dérogation, on doit déjà à Jacqueline Gourault le texte majeur qu'est la loi organique sur l'expérimentation, qui a permis d'ouvrir le droit de dérogation des préfets. Mais il importe de donner aux acteurs publics comme aux entreprises davantage de marges de manœuvre en termes d'innovation.

Depuis 2016, la démarche France expérimentation a accompagné 350 projets proposés, pour un quart d'entre eux, par des start-up, mais également par des groupements d'intérêt public et des associations. Entre avril et juin, cette année, j'ai lancé un nouvel appel à projets pour que les acteurs économiques de tous nos territoires puissent solliciter des dérogations législatives expérimentales et temporaires. Le texte prolonge donc l'appel à projets France expérimentation dans le contexte de la relance. Une centaine de dossiers a été déposée. La majorité d'entre eux trouvera un accompagnement, une expérimentation de niveau réglementaire ou une clarification de leur cadre juridique d'action. Le but est de s'assurer que les lois d'hier n'empêchent pas l'innovation de demain et que tous nos territoires bénéficient de projets qui facilitent leur organisation. Par exemple, comment permettre la réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer ? Comment entretenir des logements vacants pour donner plus de perspectives d'installation à des entreprises ou à des citoyens ? Nous présenterons probablement une disposition intéressante pour faciliter la colocation de personnes âgées dans des lieux de vie sociaux qui, aujourd'hui, ne sont pas ouverts à de telles expérimentations.

Bref, ce projet de loi « 3DS » vient ici renforcer un dispositif catalyseur d'innovation dans les territoires, tout en permettant aux agents de s'impliquer et de se former sur le terrain. Nous travaillons à de nouvelles propositions qui arriveront dans les jours qui viennent.

Le Président de la République avait pris l'engagement fort de bâtir une action publique plus proche et plus efficace. Le Gouvernement s'emploie à le tenir depuis quatre ans, et ce texte y participe réellement. À l'issue de cette période, 72 % de nos concitoyens disent faire confiance à l'administration, soit une progression de trois points depuis 2016. Du côté des entreprises, le taux de confiance dans l'administration est à ce jour de 76 %, contre 66 % en 2019. En un an, nous avons gagné dix points de confiance, ce qui montre que la manière de faire change radicalement la perception des usagers des services publics.

Parce que ces résultats nous commandent de continuer à agir, l'objet de ce projet de loi et l'action du Gouvernement s'inscrivent pleinement dans cette exigence d'une relation de confiance avec nos concitoyens.

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