Intervention de Raphaël Schellenberger

Réunion du lundi 22 novembre 2021 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

Au départ, il y avait une difficulté majeure de votre pouvoir avec les corps intermédiaires. La première crise d'ampleur du quinquennat, celle des Gilets jaunes, est née, sans conteste, de votre incapacité à concevoir que la décision publique se construit avec des acteurs intermédiaires – des relais dans l'entreprise, dans la vie associative et les fédérations ou les collectivités territoriales, dans la vie politique. Vous avez entendu la critique politique sur l'absence de prise en compte des territoires et la déconnexion de la réalité des collectivités territoriales. Vous avez tenté d'apporter une réponse avec la loi « engagement et proximité », qui cherchait à répondre à la question de la place des maires, à peu près au moment où il fallait recruter des candidats aux élections municipales. C'était opportun !

Au cours de la discussion de ce texte, on a beaucoup parlé d'Alexis de Tocqueville, de sa conception de la démocratie en Amérique et de la nécessité de faire confiance à la proximité et à cet échelon où le citoyen comprend et participe activement à la décision publique locale. Mais attention, le cadre était posé : il n'y aurait pas de Grand soir de l'organisation territoriale en France, même si tout le monde convenait que le principal grain de riz dans les rouages – qui était tout même très gros – était cette loi NOTRe, voulue sous le quinquennat précédent par nos amis socialistes. Il y avait donc à la fois une promesse de stabilité – on ne touche pas à la loi NOTRe – et une promesse de récupération des corps intermédiaires.

La loi « engagement et proximité » n'était pas suffisante et il fallait bien que la ministre de tutelle du ministre délégué qui l'avait soutenue propose un texte plus ambitieux. Naquit le projet de loi « 3DS » – déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification, cette dernière remplaçant avantageusement le terme de « décomplexification » un temps évoqué par le Premier ministre. Si cela est plus simple à comprendre, ces termes ne veulent pas dire grand-chose pour les Français.

Nous qui sommes tous, notamment au sein de cette commission, des spécialistes de la construction de la décision publique locale, de l'administration locale, nous savons à peu près ce que signifie « décentralisation ». La « déconcentration », ceux qui ont fait un peu de droit l'ont rencontrée au moins une fois au détour d'un cours et ceux qui ont exercé des mandats locaux ont à peu près compris qu'il s'agissait du sous-préfet. Quant à la « différenciation », c'est la recette miracle : quand le système ne marche pas, on invente un nouveau terme ! Dans tous les cas, on cherche à apporter une réponse complexe à un problème pourtant simple : la responsabilité et la capacité d'agir des élus locaux. Avec la loi au titre pompeux de « nouvelle organisation territoriale de la République », on a compliqué la capacité d'agir des élus locaux. Plutôt que de leur rendre la capacité d'agir en les laissant simplement faire ce dont ils avaient besoin, se saisir des problèmes, créer des politiques innovantes et de nouveaux moyens d'action, on leur a dit de demander s'ils en avaient le droit, et que, si l'on jugeait cela opportun sur leur territoire, alors peut-être on légiférerait pour leur donner le droit de faire ! C'est là une façon bien compliquée de concevoir un système simple d'action locale et d'action efficace.

Je sais qu'il est très difficile d'accepter l'idée que d'autres que soi-même peuvent faire bien, différemment et efficacement. On le voit y compris dans les collectivités territoriales, quand le département et la région ne s'entendent pas ou quand le département et les communes ont des objectifs différents. Pourtant, c'est aussi cela l'administration locale, la libre administration des collectivités. C'est ce qui fait la beauté de notre politique locale que chacun puisse librement s'administrer, même de façon différente. Malheureusement, ce n'est pas tout à fait l'esprit de ce texte, qui se fonde plutôt sur la volonté de contrôler ce que feront les collectivités locales, considérées comme des niveaux infra de l'État, des exécutantes des décisions du niveau central. Cela ne nous satisfait pas.

Le texte du Sénat est un minimum. Malheureusement avec quatre-vingts amendements de suppression déposés par vos rapporteurs et plus de 60 % de nos amendements jugés irrecevables, il nous semble difficile de tomber sur un point d'accord.

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