Nous devons en effet condamner toute forme de menace qui pourrait s'exercer verbalement ou physiquement à l'encontre des représentants de la nation. Vous imaginez bien qu'en tant que ministre, je ne suis pas épargné mais je sais pourquoi je suis là, vous aussi. Les intimidations n'ont pas de prise sur nous car nous servons l'intérêt général, à notre manière. Nos opinions peuvent converger ou diverger mais au fond, c'est ce qui nous mobilise, nous fait nous lever le matin et nous rend fiers de nos journées quand le moment de nous reposer est enfin arrivé.
Me voilà à nouveau devant vous puisque ce texte est le douzième qui traite de la gestion de la crise sanitaire. Ce nombre signifie d'abord que la démocratie française est l'une des plus vivantes car aucun pays autour de nous n'a eu à solliciter douze fois ses instances représentatives pour trouver un consensus républicain. C'est un choix que nous avons fait très tôt en France. Nous aurions pu fonctionner grâce à des arrêtés successifs ou des signatures ministérielles, mais nous avons préféré nous en référer à l'avis de la représentation nationale, à celui du Conseil d'État et du Conseil Constitutionnel, parce que les mesures contenues dans ces textes sont inhabituelles, voire inédites. Elles nous permettent en effet de faire face à une menace elle-même inhabituelle et inédite.
Lors de ma précédente audition, le 15 décembre, je vous avais présenté en détail les mesures prises depuis octobre pour répondre à l'évolution de l'épidémie ainsi que la forte progression de la campagne de vaccination, notamment celle de rappel. Je vous avais également fait part de mes inquiétudes quant à l'évolution de la situation sanitaire. Malheureusement, ces inquiétudes se sont révélées fondées : la circulation du virus s'est accélérée et le variant omicron s'est diffusé très rapidement. Lors de l'examen du précédent texte, nous avons débattu de l'opportunité de maintenir ou non la capacité pour le Gouvernement de prendre toute mesure utile pour gérer la crise sanitaire au-delà de février. Nous sommes désormais très loin de ces débats. Je n'y reviendrai pas.
Nous faisons face à deux ennemis. Le premier, le variant delta, que nous connaissons bien, est à l'origine d'une vague importante qui est montée à plusieurs dizaines de milliers de cas dans notre pays et dont les conséquences sanitaires – hospitalisations et admissions en réanimation – continuent à s'aggraver. Ce variant n'a pas dit son dernier mot. Il diminue dans certaines régions mais il continue à augmenter légèrement dans d'autres ou à se stabiliser à un niveau élevé. On en parle moins, sans doute parce que l'on s'y habitue, mais nous devons continuer à le combattre, le plus efficacement possible.
Notre deuxième ennemi est le variant omicron, à propos duquel je ne parle même pas de vague : j'ai pu évoquer une lame de fond, quand l'accumulation de plusieurs vagues finit par donner naissance à une seule, beaucoup plus forte, mais les chiffres que nous enregistrons depuis quelques jours font plutôt penser à un raz-de-marée. Ceux que publiera ce soir Santé publique France donnent le vertige. Ils montrent la hausse continue du nombre de contaminations dans notre pays : 208 000 Français ont été diagnostiqués positifs au covid au cours des vingt-quatre dernières heures. Cela signifie que vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jour et nuit, toutes les secondes, plus de deux Français sont diagnostiqués positifs au coronavirus. Nous n'avons jamais connu une telle situation. Il y en a partout, dans tous les territoires, dans tous les milieux. Le virus circule très rapidement.
Nous devrions dénombrer, ce soir, un million de Français diagnostiqués positifs au coronavirus, auxquels il faut ajouter les personnes asymptomatiques qui ne sont pas testées. Si l'on compte entre trois et cinq cas contacts par personne, 10 % de la population française est cas contact en ce moment. Cela atteste de la vitesse de circulation de ce variant, qui est beaucoup plus contagieux. Mes homologues européens dressent le même constat : le nombre de cas double tous les deux ou trois jours. Les risques de recontamination sont accrus. Les chiffres en témoignent : plus de 10 000 personnes positives au covid l'avaient déjà été à une autre version de ce virus. Chaque jour, plusieurs dizaines de milliers de Français contractent une nouvelle forme, plus ou moins sévère, de covid. Il touche toutes les classes d'âge même s'il est plus répandu chez les moins de 60 ans, du fait des liens sociaux plus importants. Cependant, le vaccin est efficace après trois doses. Quand on est à jour de son rappel, le risque de développer une forme grave diminue de plus de 90 %, y compris face à omicron.
L'impact hospitalier est la donnée que nous observons tous. Nous avons peu de recul car le variant est récent. Les données les plus fiables dont nous disposons proviennent de l'Angleterre qui a entre huit et dix jours d'avance sur nous par rapport à l'épidémie. Ceux publiés hier soir révèlent que les hospitalisations ont augmenté de 49 % en une semaine. La situation s'accélère mais sans corrélation avec l'augmentation de la circulation du virus. Nous aurions pu nous attendre, en raison du nombre de cas enregistrés en Angleterre, à une hausse beaucoup plus forte des hospitalisations, ce qui aurait sans doute été le cas avec le variant delta. Cela étant, le chiffre n'est pas anodin pour des hôpitaux déjà fatigués et qui font face au début d'une épidémie de grippe, probablement forte cette année. Plus de 10 millions de doses de vaccin contre la grippe sont encore en stock, ce qui signifie qu'un grand nombre de Français, bien qu'appelés à se faire vacciner contre la grippe, ne l'ont pas été. Cette situation aura des conséquences pour l'hôpital. Ainsi, l'épidémie de bronchiolite a été particulièrement virulente cette année.
L'impact hospitalier de l'omicron n'est pas encore visible en France mais il ne saurait tarder et ce facteur sera déterminant. Mes homologues européens observent de très près, eux aussi, la courbe des hospitalisations. Plus de 100 000 cas par jour sont à déplorer en Espagne. L'Italie, épargnée par le variant delta, connaît près de 100 000 nouveaux cas par jour. Le nombre des nouvelles contaminations est affolant en Angleterre. Les données les plus solides sont, là encore, publiées par les Anglais. Le nombre d'hospitalisations baisserait de 50 à 70 % avec le variant omicron. Elles seraient plus courtes, les besoins en oxygénothérapie moins importants, les situations nécessitant une intubation orotrachéale en réanimation avec plongée dans le coma, moins nombreuses. C'est bien, mais si le variant est beaucoup plus contagieux, les conséquences s'en feront tout de même ressentir pour l'hôpital.
Je m'adresse à ceux qui nous regardent et qui ne seraient pas vaccinés. Je ne vous le dis pas comme une menace car je suis ministre mais aussi médecin et j'ai de l'empathie pour toutes les personnes, que je traite de la même manière, sans distinction : il y a peu de chances pour que vous passiez, cette fois, entre les gouttes. La circulation du virus est trop forte et les personnes les plus enclines à attraper le virus, à développer des formes symptomatiques et graves, sont celles qui ne sont pas vaccinées. Je le dis avec solennité, aux personnes qui ne sont pas vaccinées mais aussi à celles fragilisées par leur âge ou leur état de santé, qui n'auraient pas encore bénéficié du rappel : protégez-vous durant cette période, ne prenez pas de risque, évitez les contacts sociaux trop rapprochés et trop nombreux. Le virus circule beaucoup.
Aurons-nous un raz-de-marée massif et rapide ? Nous verrons. Les premiers signes de ralentissement de la croissance épidémique apparaissent du côté londonien où le temps de doublement du nombre de cas est passé de tous les deux jours à tous les quatre ou cinq jours. Cette information est cependant encore trop fragile pour que nous émettions une hypothèse de pic. Personne n'en sait rien.
La situation hospitalière, du fait de la vague delta, est préoccupante et met sous tension de nombreuses régions qui ont déclenché les plans blancs. Les hôpitaux franciliens ont lancé une déprogrammation massive à l'issue de l'admission de plusieurs malades cette nuit. Je tiens à votre disposition les chiffres des proportions de patients vaccinés et non vaccinés dans les hôpitaux parisiens de l'AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) : 70 % des patients en réanimation dans les hôpitaux parisiens ne sont pas vaccinés. Sur ceux qui développent des formes graves, malgré les trois doses de vaccin, 80 % sont immunodéprimés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas sensibles, ou du moins pas suffisamment, aux vaccins. Ces chiffres attestent de l'efficacité d'une vaccination à jour, notamment d'une troisième dose. Si l'administration de votre deuxième dose date d'un certain temps, les statistiques montrent que vous n'êtes plus suffisamment protégés, y compris contre le variant omicron. Au contraire, si vous êtes à jour de la troisième dose, le risque est énormément réduit.
Il reste 5 millions de Français non vaccinés, dont 4 millions d'adultes que l'on peut répartir en trois catégories. Certains sont loin de tout, de l'information, du système de santé, assignés à résidence. Nous allons les chercher, par du porte-à-porte, en faisant appel aux médecins, aux pharmaciens, aux infirmiers à domicile, aux CCAS (centres communaux d'action sociale), aux collectivités. Nous nous rendons chez eux pour les convaincre de se protéger. Ce sont des personnes qui, quand on leur parle du vaccin, ne sont ni pour ni contre mais elles n'ont pas les clés de lecture et de compréhension.
D'autres se méfient. Parmi eux, certains nient l'existence même du covid, craignent que le vaccin ne les tue, qu'en tout cas il ne soit pas efficace. C'est un magma de gens qui se sont progressivement enfermés dans une forme de contestation, qui pourrait s'apparenter à du délire. Ils considèrent qu'on leur veut du mal. Des réanimateurs m'ont expliqué que des patients refusaient parfois les soins, arrachaient les masques alors qu'ils étouffaient et avaient besoin d'oxygène. Quand ils sortent des services de réanimation, après avoir échappé de peu à la mort, ils racontent qu'on leur a faussement diagnostiqué un covid pour faire croire à l'existence d'une maladie. Ce sont souvent les mêmes qui vous menacent. Ces personnes-là, ni un passe sanitaire, ni un passe vaccinal, ni une obligation vaccinale, ne les fera changer d'avis.
Enfin, la dernière catégorie de personnes regroupe ceux qui sont plus ou moins indifférents au vaccin. Ce sont souvent des personnes jeunes, qui ne se sentent pas menacées. Beaucoup de leurs proches ont été malades, sans développer de forme grave. Ils ne se sentent pas concernés, veulent continuer à vivre leur vie, n'ont pas le temps, estiment qu'ils n'ont pas suffisamment d'interactions sociales pour risquer de l'attraper. Ils ne veulent pas qu'on les embête avec le vaccin mais si on insiste, ils pourraient l'accepter. Beaucoup d'entre eux se sont adaptés au passe sanitaire, parfois en prenant celui du voisin ou d'un ami, en faisant un test. La transformation du passe sanitaire en passe vaccinal s'adresse à eux. Désormais, ils doivent comprendre qu'ils ne peuvent rester en dehors de la crise. Les mailles doivent se resserrer pour garantir que les lieux qui reçoivent du public sont indemnes de gens potentiellement contagieux. Il faut à présent se faire vacciner sinon nous ne nous en sortirons pas.
J'en viens aux dispositions du projet de loi. Il a pour objectif de renforcer les outils existants de gestion de la crise sanitaire tout en préservant nos libertés et en garantissant la continuité de la vie du pays contre le risque d'une nouvelle désorganisation de la société. Ce texte répond ainsi à la reprise épidémique d'une manière efficace et graduée, et fait le choix de la science, de la responsabilité, comme nous le faisons depuis le début de la crise sanitaire.
D'autres pays autour de nous, notamment au nord de l'Europe, ont fait d'autres choix, et on me les a maintes fois cités en exemple en m'expliquant qu'ils ne faisaient rien et que tout se passait très bien. Or ce sont des pays qui, désormais, ont fermé les bars et les restaurants, les cinémas, les lieux de culture, et ont limité les déplacements. J'imagine que les parlementaires qui se faisaient un malin plaisir de me rappeler que tel ou tel pays n'avait jamais pris de mesures et s'en sortait très bien ne m'en parleront pas aujourd'hui, mais les Français peuvent regarder ce qui se passe autour d'eux. En France, nous avons des outils solides – le passe sanitaire, un très haut niveau de vaccination – qui nous ont permis jusqu'ici de ne pas rogner les libertés collectives, notamment celles des personnes qui ont fait le choix de se vacciner et de se protéger, elles et les personnes qui les entourent.
En premier lieu, ce texte propose un approfondissement des mesures de protection et transforme le passe sanitaire en passe vaccinal.
Concrètement, à compter du 15 janvier prochain, il sera nécessaire, dès l'âge de 12 ans, de présenter un justificatif vaccinal pour accéder aux activités de loisirs, aux restaurants, aux débits de boissons, aux foires, aux séminaires, aux salons professionnels et aux transports interrégionaux. Pour les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, et sauf en cas d'urgence, nous faisons le choix de maintenir le dispositif actuel du passe sanitaire s'agissant des patients accueillis pour les soins programmés, des accompagnants et des visiteurs. On n'aura donc pas besoin d'un passe vaccinal pour se rendre dans un hôpital ou un EHPAD. Autrement dit, nous n'envisageons évidemment pas d'empêcher l'accès aux soins des personnes non-vaccinées, même si de plus en plus de Français s'interrogent sur ce que la collectivité doit consentir à celles et ceux qui refusent le vaccin.
Par ailleurs, le projet de loi déclare l'état d'urgence sanitaire à La Réunion, dont la situation préoccupante justifie le maintien de mesures de freinage renforcées. Par un décret paru hier, nous avons dès à présent déclaré l'état d'urgence sanitaire dans ce territoire, ainsi qu'en Martinique. Le projet de loi permettra de prendre le relais de ces deux déclarations faites par voie réglementaire.
En second lieu, le texte renforce encore les mesures permettant de lutter contre la fraude. Nous savons combien la pratique des faux passes est non seulement irresponsable mais surtout dangereuse, voire dramatique : certains l'ont malheureusement payé de leur vie. Toute personne habilitée à demander la présentation d'un passe pourra exiger celle d'une pièce d'identité, comme c'était le cas à l'origine, en juin dernier. Les sanctions encourues par un gestionnaire d'établissement pour manquement à l'obligation de contrôle du passe seront également renforcées, de même qu'en cas de fraude.
S'agissant des mesures de quarantaine et d'isolement, objets de l'article 2, nous devons renforcer notre capacité de suivi, parce que l'isolement n'est pas seulement une contrainte, mais aussi la condition de la maîtrise des chaînes de transmission du virus. Les services préfectoraux pourront connaître des données strictement nécessaires à leur mission de contrôle des mesures de quarantaine et d'isolement pour vérifier, en particulier, la réalisation du test demandé à chaque personne concernée en fin de période. Il existe par ailleurs – je l'ai dit en conférence de presse – des travaux d'adaptation de la doctrine d'isolement pour les cas contacts et les cas positifs. Un avis du Haut Conseil de la santé publique sera rendu d'ici au 31 décembre, et j'aurai l'occasion de communiquer à ce sujet à la suite de la publication de cet avis. Avec 10 % de Français cas contacts, vous aurez bien compris qu'on ne peut pas priver notre pays de la continuité du fonctionnement des services publics et privés. Nous avons d'autres moyens de garantir un haut niveau de protection de la population, sans entraîner une paralysie du pays.
Enfin, et c'est un sujet bien distinct de celui de la crise sanitaire, le projet de loi reprend des dispositions que vous aviez votées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale concernant la réforme du régime d'isolement et de contention en psychiatrie, pour renforcer l'intervention du juge des libertés et de la détention. Nous tirons les conséquences d'une censure du Conseil constitutionnel, qui ne portait pas sur le fond mais sur la forme : c'était un dispositif qui n'avait rien à faire dans un texte financier, alors qu'il a sa place dans ce projet de loi. Je salue, à cette occasion, l'engagement des professionnels de la santé mentale et de la psychiatrie. Je sais combien ces dispositions, très attendues, sont indispensables pour offrir un cadre juridique solide et stable à des situations très particulières.
Nous aurons l'occasion de revenir d'une manière approfondie sur les différentes mesures que comporte le projet de loi. Ma conviction est que c'est un texte équilibré, proportionné à l'enjeu d'une cinquième vague qui voit partout dans le monde, y compris chez nos voisins, les gouvernements faire le choix de la vigilance, de la prudence et de la protection. Nous suivons une approche graduée, raisonnable, qui fait le pari, pour que la vie continue, qu'il ne faut pas qu'elle s'arrête.
Le Gouvernement a déposé, dès l'examen en commission, quelques amendements que je vais me permettre, par respect pour les parlementaires, de présenter brièvement.
D'abord, nous souhaitons prolonger au-delà du 31 décembre trois dispositifs qui font l'objet de très fortes attentes, notamment la possibilité d'accorder une garantie de financement aux établissements de santé afin d'éviter toute rupture de trésorerie et de sécuriser les financements à l'heure où nous demandons des déprogrammations de soins. Nous voulons également prolonger le dispositif d'indemnisation des pertes d'activité pour les médecins exerçant dans les établissements de santé privés, alors que nous leur demandons de venir prêter main-forte et d'être pleinement mobilisés dans la lutte contre le covid. Il s'agit aussi de prolonger la prise en charge à 100 % par l'assurance maladie de tous les actes de téléconsultation, qui ont montré leur efficacité – je rappelle que nous sommes passés de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine, notamment grâce à la prise en charge à 100 %, qui rend les choses simples.
Nous tirerons aussi, par un amendement de cohérence, les conséquences de la déclaration de l'état d'urgence sanitaire en Martinique, hier, par décret.
Enfin, trois amendements viseront à proroger certaines adaptations techniques et consensuelles adoptées lors des étapes précédentes de la crise sanitaire, notamment en ce qui concerne les règles de réunion des assemblées générales de copropriétaires, afin de tenir compte des conséquences de l'épidémie, qui peuvent faire obstacle à la tenue des réunions. Nous adapterons aussi les règles relatives à la constitution des cours d'assises pour assurer la continuité d'exercice de ces juridictions, et nous prolongerons les conditions d'organisation des examens et des concours de la fonction publique, par parallélisme avec des adaptations déjà prorogées concernant des examens dans l'enseignement supérieur.