Pour que les choses soient claires et que ce débat parfois passionné et souvent irrationnel ne souffre d'aucune caricature, je précise que le groupe GDR partage depuis le début de cette crise la conviction que la vaccination est tout à la fois un bienfait pour chacun de nous et un acte de protection collective. Cette conviction nous a d'ailleurs conduits, dans nos territoires respectifs, à revendiquer des moyens pour les soignants et pour la médecine scolaire ainsi que des dispositifs de vaccination de proximité, notamment à demander la multiplication des initiatives pour aller vers les plus fragiles et les plus inquiets, qui sont souvent les plus éloignés de la République.
Depuis le début, si nous convenons de l'impérieuse nécessité de renforcer la campagne vaccinale, nous sommes défavorables à tout acte d'autorité, voire d'autoritarisme, de nature à fracturer la société française, à la cliver chaque jour un peu plus. Nous ne nous résignons pas à l'idée que les 5 millions de Français qui ne sont pas encore vaccinés seraient tous d'affreux complotistes ou des antivax – vous avez d'ailleurs reconnu tout à l'heure qu'il y a parmi eux des personnes éloignées de tout et des indifférents, qu'il faut convaincre.
Il est souvent impossible de vous suivre, car vous durcissez à chaque étape, au risque de vous contredire, les atteintes aux libertés individuelles fondamentales, sans jamais d'ailleurs dresser le bilan de leur efficacité dans la lutte contre le virus et les variants. L'article 2 de la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, onzième texte adopté en la matière, il y a deux mois à peine, ne prévoyait-il pas que le Gouvernement « présente au Parlement, […] au plus tard le 15 février 2022, un rapport exposant les mesures prises […] et précisant leur impact sur les indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation de lits de réanimation » ? Qu'en est-il de ce bilan ?
Avec vous, il y a rarement de la concertation, et il n'y a jamais de bilan avant de modifier les règles. Vous pensez que décider seul change tout ; nous pensons au contraire qu'une véritable démocratie dans la gestion de la crise aurait permis de gagner en efficacité tout en préservant nos libertés fondamentales. C'est pourquoi il vaut mieux ne pas stigmatiser, ne pas prendre de haut et, surtout, ne pas mépriser. Il faut, d'une certaine manière, rester humble.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec ces différents textes – celui-ci est le douzième, avez-vous dit –, vous avez entretenu la confusion, en vous contredisant à chaque étape. Que l'on se souvienne des consignes contradictoires sur les masques ou sur l'obligation faite aux soignants atteints mais asymptomatiques d'aller travailler et, plus récemment, des arguments que vous avez avancés pour justifier le passe sanitaire et sa constitutionnalité. Vous aviez affirmé qu'il ne serait jamais question pour vous d'instaurer une obligation vaccinale. Or ce texte en instaure une de fait, sans que vous l'assumiez. En outre, celle-ci repose uniquement sur les citoyens, que vous prenez le risque de mettre totalement au ban de la société. Vous n'établissez pour l'État aucune obligation de faire, alors que celui-ci aurait été bien inspiré de se fixer des obligations de moyens et de résultat, afin d'aller vers et de prendre soin de tous.
Au lieu de prendre le parti des gens, vous prenez trop souvent celui de l'argent, ce qui s'est traduit par la fin du remboursement des tests le 15 octobre dernier et par le raccourcissement du délai de leur validité, et se traduira, le 1er janvier prochain, par la fin de la gratuité de l'accueil aux urgences. C'est grave, car cette gratuité était consubstantielle à l'idée que nous nous faisons de l'hôpital public, à son identité, dans une République qui prend soin.
Vous peinez à convaincre de l'efficacité de ces mesures, qui justifierait que nous nous réunissions entre Noël et le jour de l'an. Qui plus est, vous franchissez avec ce texte une étape supplémentaire dans l'état d'exception permanent, dans le renoncement à ce qui fait, d'une certaine manière, la République, l'État de droit. Je fais évidemment référence au contrôle de l'identité en même temps que celui du passe, que vous souhaitez confier, sans l'assumer, à des personnes non dépositaires d'une mission d'ordre public. Votre texte précise que la présentation d'un document officiel d'identité pourra être exigée « en cas de doute », notion très floue s'il en est. Outre que ce sera ingérable pour les acteurs concernés, on ne peut pas considérer que vous assurez en l'espèce une conciliation équilibrée avec les exigences constitutionnelles.
N'oublions pas tout ce qui ne figure pas dans ce texte, ces lacunes posant elles aussi problème. Vous restez sourds aux cris d'alarme lancés depuis longtemps et de manière récurrente par les soignants, épuisés devant la dégradation de l'hôpital public. Vous restez muets devant les propos forts du directeur général de l'OMS, qui nous invite une nouvelle fois à vacciner l'humanité, notamment en levant les brevets. Selon lui, aucun pays ne pourra se sortir de la pandémie à coups de doses de rappel. Rien non plus sur la généralisation des masques FFP2 pour les soignants. Rien sur le rétablissement, pourtant urgent, de la gratuité des tests, ni sur le renforcement de leur utilisation. Rien sur l'organisation du travail et des transports pour prendre soin. Vous ne prévoyez pas non plus de moyens financiers pour équiper les écoles et les classes en purificateurs d'air. Tout cela justifie notre opposition au texte.
Je partage l'idée qu'en démocratie, il n'y a pas de place pour les menaces, et je fais miens les propos qui les condamnent ; le seul moyen de sanctionner, c'est le vote. Néanmoins, je pense qu'en démocratie, la moindre des choses lorsque l'on doute, c'est de l'assumer avec humilité, afin d'emporter la conviction que nous pouvons nous fédérer pour faire face à la crise.