Intervention de Didier Leschi

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration :

Concernant l'intégration, le problème principal est non pas la question du primo-accueil des demandeurs d'asile mais l'accès au travail et au logement. Les personnes qui sortent des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) sont orientées d'abord vers le logement social, grâce au contingent préfectoral. Cela n'est cependant pas totalement satisfaisant : les collectivités locales devraient se mobiliser davantage.

La France, contrairement à l'Allemagne, n'est pas suffisamment directive dans l'orientation des migrants vers certaines formations ou vers des zones d'habitation où il existe à la fois des logements vacants et des besoins en main-d'œuvre. Cette directivité ne peut toutefois pas être appliquée sur l'ensemble des publics migrants, notamment sur les personnes qui viennent en France dans le cadre d'une migration familiale.

Concernant l'apprentissage du français, nous pourrions en effet nous montrer plus exigeants. L'Allemagne et les Pays-Bas, par exemple, imposent, pour l'obtention d'un visa dans le cadre du regroupement familial, que les personnes aient au moins atteint le niveau A1. La condition demandée par la France est de 80 % de présence aux cours de français – des cours qui sont gratuits.

L'OFII n'a la charge ni des OQTF ni de l'éloignement forcé. Il ne traite que du retour volontaire, ce qui ne pose aucun problème de délivrance de laissez-passer consulaires – exception faite parfois de la Russie. En revanche, réserver aux consulats ou ambassades dans certains pays le soin de recueillir les demandes d'asile ne résoudra pas le problème de l'arrivée de personnes qui ne demandent pas l'autorisation de venir. Selon les derniers chiffres de Frontex, en 2021, les principaux pays d'origine des personnes arrivées en France de façon irrégulière sont l'Algérie, la Tunisie, le Maroc – l'Afghanistan étant à part –, à savoir des pays qui ont un rapport historique avec la France. L'ouverture d'un lieu de dépôt de demandes d'asile à Alger ne tarirait vraisemblablement pas les arrivées irrégulières.

La répartition territoriale de l'OFII devrait être mieux articulée avec la répartition géographique des CADA et avec l'ensemble du dispositif national d'accueil, qui demande un suivi beaucoup plus serré des personnes obtenant une protection. L'action principale de l'OFII, cette année, a été d'orienter un maximum de personnes de l'Île-de-France vers les régions. Cela a eu un impact important sur le nombre de campements, la capacité à prendre en charge ces personnes étant plus importante dans les villes moyennes et les villages que dans des départements comme la Seine-Saint-Denis.

Nous portons, en outre, une très grande attention à la question de la discrimination sexuelle, et donc aux personnes LGBTQI+. L'OFII a participé à l'élaboration du plan Vulnérabilités. Les structures de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA), chargées de l'aide à la rédaction du premier récit, sont organisées avec des associations sensibles à cette question. Nous avons d'ailleurs des accords avec certaines d'entre elles, telles que Le Refuge, qui nous désignent ces personnes en amont, facilitant ainsi leur prise en charge.

Concernant le VIH, toute personne qui dépose un dossier au titre d'étranger malade et qui vient du Brésil est systématiquement prise en charge et obtient un avis positif de l'OFII. Vous m'aviez en effet interpellé sur ce sujet, et la réponse est assez simple : si la personne est atteinte du VIH, nous devons tenir compte du pays de départ. À Cuba, par exemple, le traitement du VIH est excellent, avec des performances scientifiques qui ont été prises en modèle. Cependant, l'OFII n'est pas chargé de la demande d'asile : les deux choses sont différentes. Si la personne peut être soignée dans son pays d'origine, elle doit l'être ; si ses problèmes sont d'une autre nature, par exemple la persécution en raison de ses opinions, sa demande ne relève pas de la procédure « étrangers malades ».

La situation de Calais est très complexe. Le Gouvernement avait estimé nécessaire de m'y envoyer comme médiateur, trois militants étant engagés dans une action qui méritait considération mais risquait de mettre leur vie en danger. Il fallait engager un dialogue pour sortir d'une situation inextricable : j'ai donc fait de mon mieux, avec une très grande considération pour ce geste militant, dont je mesure la portée.

Cela étant, l'effort de l'État à Calais est sous-estimé : il dépense, en moyenne, près de 2 millions d'euros par mois. En 2021, l'État a distribué plus de 2,2 millions de repas et 200 000 jerricanes de cinq litres d'eau, financé une centaine d'emplois associatifs, installé 48 toilettes et 38 robinets d'eau. Enfin, plus de 8 000 personnes ont été sauvées en mer par les services de l'État. Alors qu'une partie du secteur associatif travaille avec l'État, une autre partie, certainement prise par l'émotion, a une posture de refus de collaboration, même critique. Or, je pense que c'est une erreur : nous avons tout intérêt à discuter ensemble des difficultés afin de déterminer comment améliorer la situation.

Dans le cadre de la médiation, j'ai trouvé légitime que soit mise en place une procédure de prise en charge des effets personnels des migrants, c'est-à-dire qu'ils puissent les ramasser avant toute évacuation dans le cadre de la flagrance, laquelle est juridiquement encadrée par le procureur de la République. Je l'ai proposé au préfet, qui a donné son accord.

À Calais, se trouvent des personnes qui n'ont jamais déposé leurs empreintes dans un pays européen et qui veulent absolument passer en Angleterre, parce qu'elles y sont attendues par leur famille ou leur communauté, ou bien parce qu'elles doivent rembourser une partie de leur passage et se retrouvent exploitées par leur communauté, dans un pays caractérisé par la dérégulation totale du marché du travail et l'absence d'inspection du travail.

On y trouve également les perdants du système européen. Certains, qui bénéficiaient d'une tolérance de maintien dans certains pays, en particulier en Allemagne, partent à Calais lorsque leur titre précaire n'est pas renouvelé, en particulier les Soudanais et les Érythréens.

Je pense enfin à la situation des Afghans : la moitié des demandeurs d'asile afghans présents en France est constituée de personnes qui ont déjà été déboutées dans deux pays européens – en général, la Suède et l'Allemagne.

L'harmonisation des critères des différents pays européens est la seule manière d'obtenir une répartition de la charge de l'accueil de la demande d'asile au niveau européen et d'éviter une concentration sur certains pays – la France et l'Allemagne, en particulier. En Espagne, l'essentiel de la demande d'asile est hispanophone – Vénézuéliens et Colombiens –, ce qui ne pose pas les mêmes problèmes de prise en charge et d'intégration.

L'Italie ne délivre pas d'allocation aux demandeurs d'asile, comme nous le faisons en France. Ils doivent être pris en charge dans des centres d'accueil pour toucher l'équivalent du pécule ; sinon, ils n'ont droit à rien – et ils passent en France. Autre exemple : bien qu'ayant obtenu un titre de séjour en Italie, certaines personnes passent en France en raison des difficultés sociales qu'elles subissent, et nous les retrouvons sur nos trottoirs.

La volonté du gouvernement français est d'aboutir à une harmonisation des critères entre les pays européens, comme en témoignent les propos tenus par le Président de la République dans le cadre de la négociation du pacte européen sur la migration et l'asile.

Enfin, l'accord de la coalition allemande revêt un double aspect. D'une part, il souligne à quel point notre système est beaucoup plus à l'avantage des personnes migrantes – même quand elles sont en situation irrégulière – que celui de l'Allemagne. Ainsi, le programme d'accord prévoit que les enfants pourraient être systématiquement scolarisés, alors qu'en France, ce n'est même pas un débat.

D'autre part, si la procédure de régularisation annoncée est appliquée – elle sera complexe à instaurer car elle suppose une négociation avec les Länder –, elle fera baisser la pression que font peser sur la France les personnes installées en Allemagne dont le titre de séjour précaire n'est pas renouvelé. Nous commençons d'ailleurs à le ressentir : alors qu'il y a eu une augmentation des demandes d'asile de migrants afghans en 2020 et en 2021, ils ont été beaucoup moins nombreux, en 2021, à passer en France. Il reste le problème de la Suède, qui est plus complexe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.