Intervention de Marc Loriol

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Marc Loriol :

Pour avoir travaillé sur des mondes aussi différents que celui de l'industrie, de l'hôpital, de la sécurité publique, des transports publics, de l'artisanat ou des très petites entreprises (TPE), je ne suis pas certain que les mots RPS, stress, burn-out ou harcèlement moral sont compris de la même manière selon les métiers.

Et pour m'être intéressé aux différences nationales dans le traitement du harcèlement, je vous dirai, comme Marie-France Hirigoyen, que cette notion ne recouvre pas non plus la même chose. D'ailleurs, on n'emploie pas les mêmes mots. Dans les pays scandinaves et en Europe du Nord, c'est plutôt le terme mobbing qui a été popularisé et qui a fait des petits, notamment en Italie, où je mène actuellement une recherche. En Grande-Bretagne, on préfère le terme bullying. Les différences nationales demeurent donc importantes, même s'il existe un travail international de codification, des réflexions et des échanges qui permettent de mieux s'entendre sur les mots.

Contrairement à Marie-France Hirigoyen, qui est clinicienne et cherche à comprendre comment ça se passe chez les personnes, je m'efforce, en tant que sociologue, de saisir les mécanismes à l'œuvre dans les entreprises. Les RPS forment un ensemble assez hétérogène, dont les statuts, les définitions, la place dans la nosologie varient considérablement. Pour les approcher, il convient de comprendre la notion de processus.

Avec les RPS, on observe une dégradation du processus, ce que les sociologues interactionistes appellent l'absence d'accommodements. Les accommodements sont des solutions qui sont trouvées au sein du groupe pour faire en sorte qu'un problème soit géré. Dans le cas du harcèlement moral, on s'aperçoit que certains comportements négatifs, ou actes agressifs, seront perçus de façon différente selon le milieu – les brigades de cuisine font montre d'une plus grande tolérance à la violence, par exemple – et ne seront pas gérés de la même manière. Marie-France Hirigoyen l'a montré, il existe des formes variées de gestion collective, qui vont du mouvement social – on se met en grève contre un petit chef autoritaire – au compromis avec la hiérarchie, en passant par des formes d'entraide ou d'entre-soi.

Le harcèlement a pris de l'importance parce que, du fait de l'isolement grandissant des personnes, les réactions collectives sont devenues plus compliquées. Les travaux que je mène avec mes collègues italiens montrent que l'effet de la violence au travail en Italie est modéré par le fait que cette violence est perçue comme visant un groupe, plutôt qu'une personne. La dévalorisation de soi, la remise en cause personnelle sont diminuées d'autant. Il faut ajouter à cela le contexte culturel, qui fait que cette forme de violence est peut-être mieux tolérée que dans d'autres sociétés.

Le processus part de conflits qui, dans la plupart des cas, sont résolus de façon informelle dans les organisations. Il existe un désaccord sur la reconnaissance du travail ou sur le niveau d'exigence imposé, et les gens se mettent d'accord ou acceptent le point de vue d'autrui. Si le harcèlement survient, c'est que le processus n'a pas été autorégulé, géré en interne : il reviendra au sociologue de se demander pourquoi.

Il en va de même pour le burn-out, dont Marie-France Hirigoyen a expliqué qu'il mettait en jeu un idéal inacessible. Dans une des études que j'ai menées ces dernières années, je me suis intéressé aux salles de concert dédiées aux musiques actuelles. Dans l'une d'entre elles, il y avait eu trois cas de burn-out d'affilée sur un poste de programmateur. Cette salle avait pour ambition de faire à la fois du culturel, du social, de l'artistique, d'associer des groupes professionnels à des amateurs, de faire venir tous les milieux sociaux – les tâches étaient si nombreuses et variées qu'elles ne pouvaient être remplies et que les personnes s'épuisaient à faire toujours plus pour tenter, en vain, d'atteindre un idéal. Dans les autres salles, il existait un consensus sur l'action attendue, plus modeste, l'organisation du travail avait défini une image commune de ce qu'est un travail réussi ; les salariés y étaient tout aussi investis et ne souffraient pas de burn-out. Comprendre le processus, les spécificités du secteur, la façon dont les problèmes sont pensés, réglés, comment ils sont perçus par les catégories, voilà ce qui fonde l'approche sociologique des RPS.

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