Intervention de Philippe Grenier

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Philippe Grenier, SNAFAN-FO :

N'ayant pas assisté à la première séance d'audition ce groupe de travail, je prends le train en marche.

Les risques psychosociaux que nous pouvons constater dans cette maison sont-ils essentiellement imputables à la baisse des effectifs ? Il est difficile de répondre de façon catégorique à cette question. En revanche, il est assuré que cette baisse constitue une des causes majeures de souffrance et d'un certain nombre de malaises au travail, pour des raisons sur lesquelles il est inutile de s'étendre. Elles consistent en une charge de travail accrue, qui se traduit par une retombée en cascade sur l'ensemble des personnels. Cette situation ne manque pas de connaître des retentissements importants sur la vie personnelle et les rythmes de travail.

C'est aussi une forme de déni de la valeur de la fonction publique parlementaire, qui se sent dévalorisée dans son rôle et son essence puisqu'à terme on laisse entendre que l'on pourrait lui substituer d'autres formes d'emploi. Il s'agit donc d'une logique institutionnelle qui va à rebours de ce que les personnels ont connu, ainsi que de leur engagement. Car ceux qui font le choix d'entrer au service de la fonction publique parlementaire le font en pleine connaissance de cause, dans un esprit de service extrêmement développé, quelle que soit la catégorie concernée.

Ce facteur aeffectif joue pour beaucoup et les perspectives, au moins à moyen terme, ne sont pas forcément de nature à redonner à l'ensemble des catégories de personnel des raisons d'espérer.

À cela s'ajoute un phénomène observé dans l'ensemble de la fonction publique : la substitution des emplois d'application et d'exécution, progressivement remplacés par des emplois de conception et d'encadrement, ce qui entraîne un certain nombre d'interrogations au sein des personnels en place.

D'autres facteurs viennent exacerber le sentiment de malaise éprouvé par les personnels de l'Assemblée nationale. Je ne prétendrai pas vous apporter toute sorte d'informations que vous ne posséderiez pas déjà par ailleurs, car nous ne partons pas d'une page blanche. En effet, depuis quelques années, l'administration a fourni des efforts importants pour s'inscrire dans le sillage de ce qui se pratique dans la fonction publique en général afin de prévenir le développement des risques psychosociaux. Un certain nombre de process sont ainsi désormais à l'œuvre, qui permettent l'identification de ces risques.

Cela constitue en quelque sorte une matière nouvelle dont s'emparent les administrations ;, c'est aussi pour les organisations syndicales de l'Assemblée nationale un champ d'intervention relativement nouveau, du moins de manière institutionnelle ; car la souffrance professionnelle peut toujours être identifiée dans le cadre d'un mandat syndical. Toutefois, traiter cette question de façon institutionnelle relève d'un autre plan d'organisation.

Il est donc nécessaire de former les membres de l'administration chargés de ce dossier comme il importe de se former au sein des organisations syndicales ou de bénéficier de formations afin d'être le plus efficient possible en la matière.

Un certain nombre de facteurs de risques psychosociaux ont été identifiés, notamment dans le rapport présenté en juillet 2018 par le président du comité d'hygiène et de sécurité (CHS) de l'Assemblée nationale sur l'évaluation et la prévention de ces risques. Les catégories dites supérieures, A et A+, sont astreintes à une exigence absolue de résultat – une culture du résultat – liée au statut des personnels de l'Assemblée nationale  et; aux « avantages » dont ils bénéficient, qui sont régulièrement mis en avant.

Ce statut trouve toutefois une contrepartie très réelle dans la disponibilité et l'implication des intéressés, notamment des personnels de catégorie A, qui sont amenés à assister les parlementaires dans leur travail de législateur. On pourrait considérer que cette obligation de résultat, cette culture de la performance, entraînerait une forme d'impératif organisé de façon institutionnelle. C'est-à-dire que l'on attend du fonctionnaire des résultats, quel qu'en soit le coût sur le plan personnel, et cette dimension est très bien intégrée dans l'esprit des intéressés. Cela crée une forme de contrainte institutionnelle permanente pouvant, à terme, se trouver à l'origine de cas de souffrance au travail.

Mais l'ensemble des catégories est exposé à ce risque, le rapport l'établit clairement, et ce constat est parfaitement vrai puisque partagé par les organisations syndicales. Ainsi, les collègues placés à des postes d'accueil, de surveillance ou d'exécution, dont les conditions quotidiennes de travail sont extrêmement difficiles, sont-ils parfois soumis à des injonctions que l'on pourrait qualifier de contradictoires. On impose ainsi à des personnels d'appliquer des règles de contrôle, d'accueil et d'accès très rigoureuses, tout en leur faisant comprendre qu'une certaine souplesse ne messied point, car nous vivons dans le système de la dérogation, et que, par exemple, l'invité d'une personnalité doit pouvoir être admis dans les lieux même s'il ne répond pas tout à fait aux exigences quotidiennement rappelées par ailleurs.

Enfin – et ceci est une circonstance particulière que nous ne pouvons cependant pas passer sous silence : au cours de l'année 2018, nous avons vécu une forme de violence exercée à l'encontre des fonctionnaires de la maison dans leur ensemble. Je ne reviendrai pas sur la campagne médiatique qui s'est déroulée lors du premier semestre 2018, mais ces attaques d'une violence sans précédent ont été extrêmement mal vécues par l'ensemble des personnels.

Cela à telle enseigne qu'à un moment donné, les organisations syndicales se sont senties dans l'obligation d'en appeler à une forme de protection fonctionnelle auprès des autorités. En effet, les fonctionnaires de l'Assemblée nationale ne méconnaissent jamais l'ensemble de leurs devoirs, au premier rang desquels figure celui de réserve.

Aussi ont-ils vécu cette période en ayant le sentiment de ne pas pouvoir ni se défendre, ni répondre, car cela n'est pas leur rôle. En tant que fonctionnaires, ils travaillent dans l'ombre de l'institution, et n'ont pas à apparaître sur le devant de la scène. Or le sentiment a pu se répandre que la réponse de l'institution n'était pas assez rapide et pas à la hauteur de ce qu'il faut bien considérer comme une agression.

De fait, pour la première fois dans ma carrière de syndicaliste, j'ai vu des collègues atteints dans leur vie personnelle, car leur qualité de fonctionnaire parlementaire leur valait des déboires dans leurs relations personnelles et familiales. Cela a été vécu de manière douloureuse. Des correctifs ont certes été apportés, mais il faudra beaucoup de temps pour réparer ce qui a été abîmé, et, d'une certaine façon, rien ne sera plus jamais comme avant; car une faille est apparue dans l'édifice.

Au sujet de ces attaques violentes, je souhaitais établir une comparaison avec la situation que, malheureusement, certains parlementaires vivent dans leurs circonscriptions lorsqu'ils sont agressés dans leurs permanences, par exemple. On peut avoir l'opinion que l'on veut, mais il existe en démocratie des règles et des lignes que l'on ne franchit pas. Or des fonctionnaires ont eu le sentiment que certaines lignes avaient été franchies et, je le répète, ont vécu très douloureusement cette période.

Ils ont d'ailleurs considéré faire les frais d'un certain versant de l'antiparlementarisme, car il ne faut pas se leurrer : lorsque l'on attaque l'institution, on attaque les parlementaires, ses fonctionnaires et, d'une certaine manière, on porte atteinte à la démocratie. Mais, encore une fois, cela a été très mal vécu par des fonctionnaires qui sont des femmes et des hommes de l'ombre n'ayant pas vocation à se trouver sur le devant de la scène, et cela a largement contribué au développement de ce malaise.

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