Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mardi 17 novembre 2020 à 9h00
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

À l'heure actuelle, 40 % des agents, hors éducation nationale, police et gendarmerie, sont en télétravail. Nous ne pourrons pas arriver à 100 %, ce qui n'est d'ailleurs pas l'objectif. Beaucoup de missions ne se prêtent pas au télétravail et je reconnais volontiers que nous avions en mars un énorme déficit en matière d'équipement. Nous le comblons à marche forcée, comme aucune entreprise ne le fait.

Je vais vous donner des chiffres qui montrent l'investissement majeur que nous réalisons : nous avons équipé 125 000 agents en téléphones, ordinateurs, VPN – réseaux privés virtuels – et autres outils de connexion, pour qu'ils puissent travailler chez eux comme au bureau, et j'ai repassé une commande interministérielle, la semaine dernière, pour permettre à 50 000 agents supplémentaires d'en faire autant d'ici à la fin de l'année. Entre mars et décembre, nous aurons plus que doublé le nombre d'agents publics réellement en mesure de travailler chez eux comme ils le feraient au bureau. Par ailleurs, nous continuerons à déployer très activement, dans le cadre du plan de relance, des outils permettant de faire en sorte que si l'intégralité d'une mission n'est pas télétravaillable une majorité d'agents puissent au moins travailler deux ou trois jours par semaine à distance et exécuter l'autre partie de leurs tâches en présentiel. L'effort réalisé est massif.

D'après ce qui me remonte des différents ministères au sujet des équipements, de la nature des missions et des objectifs que nous pouvons nous fixer, je considère que nous aurons atteint un niveau, sinon maximum, du moins vraiment significatif quand autour de 50 % des agents seront concernés.

Les chiffres relatifs au télétravail sont le fruit d'un effort que j'ai moi-même engagé : quand je suis arrivée, nous n'avions aucun mécanisme de remontée centralisée, fiable, pour suivre les pratiques en la matière et la question, importante pour la continuité du service, des agents bénéficiant d'une autorisation spéciale d'absence – l'équivalent du chômage partiel ou technique. Le taux est de 0,4 ou 0,5 %, alors qu'il était monté à près de 30 % à un moment, pendant le premier confinement – il y avait un parallélisme avec ce qu'on voyait dans le secteur privé.

Mon ambition est d'équiper au maximum tous ceux qui peuvent l'être, de nous assurer que tout ce qui peut être télétravaillé, même une partie de la semaine, l'est effectivement, de suivre la question avec beaucoup de pragmatisme et surtout d'assurer la continuité. Elle implique parfois un redéploiement d'effectifs conduisant certains à assurer des missions différentes durant la crise – c'est très bien, mais cela demande de faire de la formation et du management. Nous avons un effort considérable de formation à réaliser en ce qui concerne le pilotage des équipes à distance, car ce n'est pas une pratique très usuelle. Je pourrai vous faire parvenir des documents pour que vous puissiez voir le type de travail qui est mené.

J'ai deux remontées hebdomadaires, sur le télétravail et sur la continuité des services. Les indicateurs sont très simples : le taux de guichets ouverts pour les urgences, le pourcentage d'appels téléphoniques auxquels on a répondu – et en combien de temps on a décroché –, ainsi que l'évolution des délais de traitement. Il faut marcher sur une ligne de crête afin d'assurer la pleine participation de l'État aux efforts de la nation pour limiter la diffusion du virus tout en préservant la continuité des services. J'échange sur ce sujet avec les collectivités locales qui, je crois, ont toutes pris des initiatives pour trouver aussi un point d'équilibre.

On doit réaliser un pilotage très fin. J'ai émis des circulaires le 1er septembre, puis le 7 et le 29 octobre – nous avons beaucoup anticipé et travaillé dans la continuité. Le cadrage est fait dans mon ministère, mais tout repose, en réalité, sur la culture de la confiance, sur le management, sur des équilibres à trouver équipe par équipe. Nous nous sommes massivement adaptés : nous sommes passés, en quelques semaines, d'environ 10 % de télétravail à près de 40 %, ce qui montre notre agilité en matière de management.

Nous avons un énorme problème, monsieur Rebeyrotte, en ce qui concerne l'attractivité mais aussi la protection sociale complémentaire des agents publics, en matière de prévoyance ou de santé. Il y a beaucoup de disparités, notamment entre les collectivités. Les plus grandes offrent des couvertures de même niveau que celles du secteur privé, voire d'un niveau supérieur, tandis que d'autres, notamment les plus petites, n'assurent absolument pas de prise en charge, ce qui conduit beaucoup de personnes à avoir une couverture qui n'est pas à la hauteur de leurs besoins.

La loi de transformation de la fonction publique a demandé au Gouvernement de prendre une ordonnance avant mars 2021 pour renforcer la prise en charge par l'employeur public de la protection sociale complémentaire. C'est un chantier que je mène avec ardeur. Nous avançons rapidement, avec tous les employeurs publics, territoriaux mais également hospitaliers, et les organisations syndicales. Je serai normalement en mesure de présenter d'ici à la fin de l'année un point d'équilibre.

Il faut traiter trois sujets. Quelle prise en charge les employeurs publics doivent-ils assurer ? Quelle trajectoire se fixe-t-on ? À cela s'ajoute la question de la prévoyance, en particulier du capital décès, qui dépend non pas d'une couverture contractuelle, par des mutuelles ou des assureurs, mais d'une auto-assurance. À la suite d'une réforme intervenue en 2015, le montant mis de côté par l'État pour le capital décès est passé d'environ 40 000 euros par personne, en moyenne, à moins de 13 000 euros. Quand un fonctionnaire décède au cours de sa vie active, sa famille reçoit trois fois moins qu'auparavant, et ce qui est versé n'est pas à la hauteur des attentes que peuvent avoir les enfants ou les conjoints survivants. Je pense notamment que les systèmes de rente sont beaucoup plus adaptés aux besoins concrets des familles.

La direction générale des collectivités locales (DGCL) mène une concertation spécifique avec les employeurs territoriaux, et la DGAFP réalise une synthèse du tout. Je suis personnellement très impliquée dans ce dossier : c'est un enjeu majeur en matière d'attractivité, de considération et de pouvoir d'achat, une complémentaire santé coûtant 1 000 euros en moyenne. Dans le privé, du fait des accords de branche et de l'accord national interprofessionnel, 50 % sont pris en charge par l'employeur. Dans le public, c'est très disparate : cela dépend des ministères, des collectivités et des versants de la fonction publique. Il faudrait arriver à rendre la situation beaucoup plus claire.

S'agissant du numérique, je suis d'accord avec vous. C'est parce qu'il y a eu, parfois, de graves échecs que j'applique une méthode partant de l'usager. Les grands projets numériques de l'État, conçus « en chambre », étaient très coûteux et très longs. On livrait un gros logiciel et on considérait qu'on avait fait son travail. Ce n'est pas adapté à ce que les Français expérimentent dans leur vie de tous les jours : cela ne correspond pas au niveau du service que certains acteurs, notamment privés, offrent au quotidien.

J'ai inversé la logique, en m'appuyant sur des travaux déjà menés depuis quelques années – je remercie vraiment Cédric O, qui les a conduits avec beaucoup de force. Il s'agit de se baser sur un observatoire qui s'intéresse aux usagers – en particulier sous l'angle de leur satisfaction –, selon des paramètres très facilement observables. Le site est-il accessible à des personnes en situation de handicap ? Se charge-t-il rapidement, ce qui veut dire qu'on peut le consulter dans des zones où le débit n'est pas forcément très élevé ? Les données sont-elles pré-remplies au maximum ? Autrement dit, arrête-t-on de vous demander cent fois la même chose ? Nous faisons une publication tous les trois mois. Dans le cadre du plan de relance, je vais financer une aide, qui sera notamment apportée par des spécialistes en design numérique, pour toutes les démarches qui n'ont pas un taux de satisfaction d'au moins 80 %.

S'agissant de l'ANTS, dont j'ai rencontré hier les équipes, on est revenu à une situation dans laquelle la plupart des démarches sont jugées très satisfaisantes par les usagers, après quelques années objectivement très difficiles. Les chiffres ne sont pas trafiqués : on demande aux gens leur avis, à chaque fois. Une démarche connaît encore des difficultés, unanimement reconnues. Il s'agit de l'immatriculation d'un véhicule qui n'est pas acheté chez un concessionnaire mais transféré d'un particulier à un autre ou au sein d'un couple. Cela reste très complexe, et le taux de satisfaction est de 50 %, ce qui n'est pas suffisant. Nous sommes en train de regarder comment on peut faciliter et simplifier juridiquement les démarches.

Les centres de gestion constituent des relais majeurs pour la transformation. Ce sont les principaux interlocuteurs de la majorité des collectivités, notamment les petites communes. J'ai eu des échanges très fournis avec le président des centres de gestion, et je rencontre souvent ces acteurs lors de mes déplacements. Ils ont beaucoup de maturité en matière de numérique, notamment en ce qui concerne le « puits de données » et leur capacité à comparer les collectivités, à observer les choses de très près mais aussi à produire une vision d'ensemble. Je soutiens beaucoup l'action des centres de gestion, et le travail avec eux se renforce. La mutualisation qu'ils permettent de réaliser, en termes de ressources humaines mais aussi de transformation, est un outil très précieux.

En ce qui concerne la visite médicale, je rappelle qu'une ordonnance « santé famille », qui a fait l'objet d'un travail très important, se trouve actuellement devant le Conseil d'État – elle sera publiée très prochainement. Nous avons revu la condition générale d'aptitude physique à l'entrée dans la fonction publique : elle sera remplacée par des conditions spécifiques, en fonction des risques des métiers. Cela devrait permettre de réduire la discrimination liée à l'aptitude physique. Les métiers de la fonction publique sont différents : tout le monde n'a pas besoin de pouvoir courir un marathon en moins de cinq heures ; cela présente sûrement une utilité quand on travaille dans les forces de l'ordre, mais c'est peut-être moins nécessaire quand on est agent administratif. Au-delà de ce trait d'humour, il s'agit de faire preuve de réalisme par rapport aux métiers exercés et aux aptitudes physiques nécessaires, notamment afin de limiter les situations auxquelles vous avez fait référence, monsieur Rebeyrotte.

La déconcentration que nous aspirons à réaliser concerne, bien sûr, les ressources humaines, et elle mobilisera la DGAFP, monsieur Poulliat. Nous voulons notamment élargir les missions des plateformes régionales d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines (PFRH). C'était une très bonne intuition de considérer que tout n'a pas besoin d'être décidé à Paris, notamment en ce qui concerne la mobilité et le régime indemnitaire. Par ailleurs, je crois qu'il faut vraiment valoriser tout ce qui a été fait dans le cadre du site Place de l'emploi public, qui permet de mettre en commun toutes les offres d'emploi public d'une manière territorialisée – le site est national, mais on peut y accéder par code postal. Je vous invite à regarder dans votre département le nombre d'offres d'emploi actuellement disponibles dans le secteur public. Ce site est un outil qui facilite la mobilité pour les fonctionnaires mais aussi le recrutement, sous contrat, de personnes qui ont des compétences adaptées aux besoins.

La nouvelle directrice de la DGAFP, Nathalie Colin, une préfète qui a été à la tête des ressources humaines (RH) du ministère de l'intérieur et qui a connu de nombreuses expériences dans sa vie professionnelle, notamment à la DGCL, a été choisie, par mes soins, notamment parce que son parcours va lui permettre d'appréhender toutes les opportunités et tous les besoins concrets, en particulier en matière de déconcentration dans le domaine des RH, à la suite de Thierry Le Goff, qui a réalisé un travail très important.

Je vais essayer d'être brève au sujet de l'égalité des chances – on pourrait y passer beaucoup de temps… C'est évidemment un chantier majeur : si la haute fonction publique et la fonction publique en général ne ressemblent pas à la France parce qu'il y a une autocensure, comme on le voit aujourd'hui chez certains jeunes, ou moins jeunes, qui pensent que servir l'intérêt général est devenu le privilège ou, en tout cas, le monopole d'une forme d'élite, on abîme profondément la confiance en l'État et en l'action publique. Le nombre de personnes qui se présentent aux concours reflète aussi un recul de l'égalité des chances.

Du point de vue sociologique, qui sont les élèves de nos écoles de service public, l'École nationale d'administration (ENA), mais aussi l'Institut national des études territoriales (INET) ou l'école qui forme les directeurs d'hôpitaux ? Les sept écoles étudiées dans le rapport de Frédéric Thiriez connaissent toutes un recul de la diversité sociale et territoriale. J'insiste sur le dernier point : nous voyons tous l'autocensure qui peut être celle de jeunes qui ont grandi dans les quartiers prioritaires de la ville, mais nous percevons moins bien celle de personnes issues de petites villes ou de zones rurales. L'enjeu n'est pas nécessairement financier : cela concerne aussi l'ouverture du champ des possibles, ce qui implique d'utiliser d'autres outils.

Vous avez voté, à l'unanimité, et je vous en remercie, les crédits qui permettront de porter de 1 600 à 1 700 le nombre de places dans les classes préparatoires intégrées des écoles de service public. Nous travaillons avec les réseaux des Instituts d'études politiques, de Paris et de province, et avec la Conférence des présidents d'université pour permettre à beaucoup plus de jeunes sortant des filières de droit, d'économie et de sciences humaines de se préparer aux métiers du service public dans de bonnes conditions, avec un mentorat, un tutorat, partout en France, et attirer de nouveau des profils variés aux concours.

Nous investissons financièrement : les élèves des classes préparatoires intégrées pourront avoir 4 000 euros de bourse par an – l'allocation pour la diversité est aujourd'hui de 2 000 euros. Il y a parmi ces élèves des demandeurs d'emploi et des personnes en reconversion : l'ascenseur social que nous cherchons à recréer peut aussi concerner des gens qui ont déjà eu une carrière et qui souhaitent accéder à la fonction publique par concours, sur la seule base de leurs mérites et de leurs compétences.

Il faut aussi réaliser tout un travail avec l'INET, les instituts nationaux spécialisés d'études territoriales (INSET), le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les élus. La fonction publique territoriale a moins investi dans la logique des classes préparatoires intégrées et dans la visibilité de ses métiers. J'ai notamment eu un échange très positif avec l'association des maires Ville & Banlieue de France. Certaines associations d'élus sont vraiment des partenaires dans cette démarche.

Les sous-préfets à la relance seront naturellement des acteurs de la territorialisation. Toute la question, comme l'a souligné M. Viala, est de savoir comment le plan de relance sera déployé de manière effective dans les territoires. J'ai déjà installé cinq ou six comités départementaux de suivi : je me suis rendu en Moselle, dans l'Allier, dans l'Orne, en Essonne, territoire qui m'est cher, et en Mayenne pour rassembler autour de la table les services de l'État, les élus – des communes, des départements et des régions – et les entreprises, au sein d'instances d'échange et de décision sur le déploiement des crédits du plan de relance à l'échelle d'un arrondissement sous-préfectoral ou d'un département.

Nous avons fait tout un travail, avec Jacqueline Gourault, sur la manière dont des contrats de relance et de transition écologique seront établis dans les toutes prochaines semaines en partant des problèmes des territoires. Afin d'éviter un phénomène d'appels à projets permanents qui alimente les incertitudes et fatigue les élus et les entreprises – ils se demandent tout le temps s'ils ne sont pas en train de passer à côté de crédits ou de soutiens –, il s'agit de prendre les différentes lignes du plan de relance, de regarder les problèmes et les besoins des territoires et de dire ce qui sera déployé dans les deux ans qui viennent. C'est tout le travail des sous-préfets à la relance. J'ai tenu à ce qu'ils soient des sous-préfets, c'est-à-dire à ce qu'ils soient installés à des échelons territoriaux de proximité.

Lors des différents déplacements que j'ai pu faire avant la crise sanitaire – ma capacité à me déplacer a été un peu réduite depuis –, j'ai toujours demandé aux sous-préfets et aux préfets si les projets qu'ils me montraient étaient ceux dont les territoires avaient besoin, et pas seulement ceux qui leur avaient été remontés : ce n'est pas parce qu'une grosse agglomération et le département ont fait part de projets tout à fait intéressants que ce sont les seuls à financer. Nous devons nous assurer – je suis entièrement d'accord avec vous – que nous finançons ce dont le territoire, y compris les plus petites communes, a besoin, et pas seulement ce qui remonte naturellement – les projets viennent, le plus souvent, des acteurs qui ont de l'ingénierie, des compétences, des instances pour y travailler. C'était un des enjeux du comité interministériel aux ruralités qui a eu lieu samedi dernier. Joël Giraud souhaite notamment le déploiement de volontaires territoriaux en administration pour aider toutes les collectivités à avoir une ingénierie et à développer des projets qui recevront ensuite un financement. Mais c'est aussi toute la vocation des sous-préfets à la relance.

Ils ont beaucoup été moqués depuis Paris : puisque ce sont des sous-préfets, cela voudrait dire qu'ils auront de petits moyens. En réalité, c'est le contraire : les sous-préfets sont des acteurs de proximité que les élus, notamment ceux des plus petites communes, connaissent. Tous les élus de France et toutes les entreprises savent qui est le sous-préfet.

La loi 3D – et même 4D – aura effectivement pour ambition d'aller au bout de la démarche d'expérimentation et de différenciation. Nous travaillons sur beaucoup de chantiers très concrets – réarmer les plateformes RH locales, mais aussi remettre des effectifs au niveau déconcentré : 2021 sera la première année, depuis quinze ans, où nous renverrons des hauts fonctionnaires des administrations centrales sur le terrain départemental et où nous stabiliserons les effectifs déconcentrés. Il n'y aura pas de coupes dans les effectifs des préfectures : tous ceux qui peuvent être mis en commun dans le cadre de la réorganisation de l'État – je pense, par exemple, aux secrétariats généraux communs – seront redéployés au niveau déconcentré.

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