Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mardi 17 novembre 2020 à 9h00
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Je vais m'efforcer d'être très synthétique mais j'essaie d'être exhaustive, de présenter les différents aspects de la réalité.

Madame Brugnera, les risques psychosociaux liés au télétravail sont un sujet bien identifié. Dans chaque ministère, nous nous efforçons de mettre en place un numéro d'appel pour ceux qui sont isolés et potentiellement en difficulté. Lorsque c'est nécessaire – si un risque est détecté –, nous essayons d'éviter le télétravail cinq jours sur cinq. Cela n'aurait aucun sens de contraindre des gens à être isolés. Nous sommes très vigilants.

Entre le 23 mars et le 10 juillet, le jour de carence a été suspendu pour tous les Français et pour toutes les pathologies, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Désormais, les employeurs territoriaux souhaitent une suspension uniquement en cas de covid ; à ce stade, le secteur privé n'exprime pas la même demande. Je comprends la logique suivie, mais nous ne savons pas faire, à moins de rompre le secret médical. En France, quand vous êtes en arrêt maladie, votre employeur ne sait pas de quoi vous êtes malade.

Il y a un lien avec l'isolement plus strict des personnes testées positives au covid que l'on pourrait peut-être souhaiter mais qui doit faire l'objet d'un débat parlementaire : on touche à des sujets, notamment le secret médical, de nature législative.

J'entends la demande, mais nous ne savons pas faire pour les seuls cas de covid, et je pense qu'il serait dangereux de séparer public et privé. Tout cela va au-delà des compétences de mon ministère.

Monsieur de Courson, votre question sur la gestion de la DSIL et de la DETR est liée à celle de la déconcentration en matière budgétaire et de ressources humaines. De même que pour les compétences partagées, qui ont été évoquées par Mme Brugnera, il s'agit de clarifier la situation et de trouver le bon échelon pour la prise de décision et le portage des politiques publiques. Les arbitrages ne sont pas encore rendus, mais cela entre typiquement dans le cadre du projet de loi 3D-4D.

Il faut notamment réfléchir à la péréquation permise par la DSIL. On pourrait très bien gérer des enveloppes au niveau départemental tout en laissant la main aux préfets de région pour des allocations d'urgence. Je suis, en tout cas, très ouverte à des discussions sur les outils et les moyens que l'on donne à l'échelon que l'on juge pertinent pour mener une politique.

Vous m'avez également interrogée sur l'attractivité des trois versants de la fonction publique et sur la réforme de l'ENA.

Je suis convaincue que nous avons besoin de plus, et non de moins, de formation. La question qui se pose n'est pas seulement celle d'une réforme de l'ENA – sinon ce serait réglé depuis longtemps. Les sujets compliqués à traiter ne sont pas les épreuves du concours, ce que l'on apprend dans cette école et ce qui se passe quand on en sort, mais la diversité dans la haute fonction publique.

Ce que demandent ceux qui veulent une réforme de l'ENA n'est pas la suppression de l'école en tant que telle, mais de ce qu'elle peut comporter en matière d'endogamie et d'homogénéité sociales et de perte de diversité territoriale. D'où notre action en ce qui concerne les classes préparatoires intégrées, l'ouverture territoriale et la lisibilité des modalités de préparation aux concours de la haute fonction publique, y compris celui de l'ENA. Mais il faut aussi un travail sur les mobilités à la sortie de cette école et sur la manière dont on pourrait être titularisé dans les grands corps après une période probatoire, et non de manière automatique. Par ailleurs, il convient de redonner toute sa place au concours interne et à la formation continue, afin d'attirer les talents et de développer les possibilités de promotion et d'accès aux responsabilités. Il s'agira plutôt d'une réforme de la haute fonction publique, allant bien au-delà de la question de l'ENA qui ne doit être ni un totem ni un tabou.

Je mène plusieurs chantiers pour rendre les trois versants de la fonction publique plus attractifs.

Il y a, tout d'abord, la question de la marque « employeur ». Que signifie servir l'État aujourd'hui et pourquoi a-t-on besoin de services publics ? Il faut mettre un terme au fonctionnaire bashing : la confiance que les Français ont dans l'action publique a été abîmée par des attitudes qui consistent à dire, à chaque fois qu'il y a un problème, que c'est la faute des fonctionnaires. Les politiques doivent assumer davantage leurs responsabilités : si des décisions ont été prises, ce sont les leurs. Il faut rappeler que les fonctionnaires appliquent les politiques publiques décidées par les politiques et par le Parlement.

L'attractivité passe également par la publicité et la transparence des postes. Il faut promouvoir le site Place de l'emploi public. Je vous serais extrêmement reconnaissante de m'aider à le faire encore plus. Parfois, il faut aussi recruter en se donnant plus de temps, au lieu de faire le choix de la facilité qui conduit à beaucoup d'incompréhensions sur la manière dont le système fonctionne.

Par ailleurs, l'attractivité dépend de la gestion des carrières. Il est très difficile de rendre une institution attractive si ses agents ont l'impression d'être enfermés ou de ne pas être reconnus. Nous avons mis fin aux commissions administratives paritaires pour les promotions et l'avancement. À partir du 1er janvier prochain, les employeurs publics devront définir des lignes directrices de gestion et jouer pleinement leur rôle.

Enfin, une organisation est attractive si elle respire, c'est-à-dire si elle est capable de recruter mais aussi de laisser partir, dans de bonnes conditions, notamment grâce à la rupture conventionnelle, ceux qui voudraient la quitter. Une organisation saine sait attirer, permet à ceux qui travaillent en son sein de s'engager pleinement et gère correctement les entrées et les sorties.

En matière d'égalité hommes-femmes, madame Gayte, la situation a progressé, mais elle n'est pas satisfaisante. Les derniers chiffres font état d'un écart de rémunération d'environ 12 %, qui s'explique notamment par la féminisation massive de certaines filières où les primes sont plus faibles. Cela s'explique, mais cela ne signifie pas que c'est acceptable.

Lors du rendez-vous salarial du mois de juillet dernier, j'ai beaucoup poussé pour une revalorisation indemnitaire de toutes les filières sociales. Par ailleurs, la loi de transformation de la fonction publique a prévu des plans d'action : les ministères ne devront plus seulement fournir des statistiques sur l'égalité hommes-femmes, mais me présenter d'ici à la fin de l'année, sur la base d'un diagnostic, ce qu'ils comptent faire. Les plans d'action devront comporter, ministère par ministère, des mesures de rattrapage salarial, d'identification des talents féminins et de promotion des femmes. Je dois m'assurer qu'il existe un vivier interministériel et des viviers ministériels de talents, que les femmes sont coachées et accompagnées, et surtout, en cas de diagnostic faisant apparaître des inégalités, qu'on se donne des moyens concrets et effectifs de les réduire.

Les plans d'action sont très importants car ils seront opposables. Ils contiendront des engagements. Bien évidemment, le ministère des armées aura plus de difficultés à atteindre la parité que celui des affaires sociales et celui de la justice, déjà très féminisés. Mais on pourra regarder si les actions menées sont cohérentes avec ce qui est prévu. Les statistiques réalisées jusqu'à présent sont intéressantes, mais elles n'ont pas aidé l'égalité à progresser autant que nous l'aurions souhaité.

Monsieur Leclabart, vous m'avez interrogée sur les centres de gestion. Ils ne s'occupent pas de formation – elle est du ressort du CNFPT. Une petite commune travaille avec deux instances : le centre de gestion, notamment pour le dialogue social et la politique de ressources humaines, et le CNFPT s'agissant de la formation. Globalement, cela fonctionne bien. Le CNFPT a beaucoup travaillé en distanciel pendant la crise, et je pense qu'il continuera à le faire en partie car cela peut permettre d'accéder plus rapidement à des formations. Je souhaiterais qu'on aille plus loin en ce qui concerne le numérique mais aussi la laïcité et d'autres sujets sur lesquels il faut poursuivre les efforts.

Vous avez évoqué les secrétaires de mairie. Je travaille avec Joël Giraud afin de présenter rapidement un plan très ciblé qui doit permettre de renforcer l'attractivité de ces postes. Les secrétaires de mairie s'occupent, d'une certaine manière, de la bonne tenue d'une commune, de sa stratégie et du bon déploiement de ses politiques publiques. La question est bien identifiée partout en France, mais rarement traitée au niveau politique. Je m'engage à le faire car c'est important : les compétences de gestion des secrétaires de mairie doivent être à la hauteur de la complexité des sujets dont ils sont en charge. Je remercie d'ailleurs tous ceux qui exercent ce métier, absolument essentiel à la cohésion de notre pays.

Madame Dupont, vous avez évoqué le rôle des préfets, en plaidant pour le renforcement de leurs équipes. En 2021, nous enverrons trente sous-préfets chargés de la relance dans les départements et nous stabiliserons, pour la première fois depuis au moins quinze ans, les effectifs en préfecture. Tous les postes qui pourraient être libérés par la création de secrétariats généraux communs et par la réforme territoriale de l'État resteront affectés à l'échelle déconcentrée. Enfin, la déconcentration des ressources humaines vise à laisser aux préfets la possibilité d'organiser leurs équipes d'une manière beaucoup plus adaptée à leurs besoins.

Vous m'avez interrogée, monsieur le président, sur la délocalisation de services de l'État. On a souvent en tête la dichotomie Paris-territoires hors de Paris, mais il faut aussi penser aux différents échelons – les préfectures de région, les villes moyennes ou encore les sous-préfectures – si on veut arrêter le mouvement de concentration permanent. Affecter des agents à Guingamp, Béthune, Lisieux ou Redon ne demande pas forcément de grands plans nationaux de délocalisation depuis Paris.

Tous les ministres ont des ambitions intéressantes en la matière. Le futur projet de loi – dont un des D vise la déconcentration – doit insister sur la nécessité de faire redescendre certains services à l'échelon départemental, voire sous-préfectoral. Par ailleurs, le télétravail tel que nous l'expérimentons à l'heure actuelle montre que l'on peut très bien être localisé dans une ville moyenne et mener une partie de ses actions avec des équipes situées un peu plus loin.

L'usage, par les préfets, de leur pouvoir de dérogation est davantage une question d'appétence, de culture du risque ou de l'innovation qu'un sujet juridique. L'extension de ce pouvoir date d'août dernier et nous ne sommes qu'en novembre. Je peux comprendre qu'il ne soit pas immédiatement intuitif de déroger à des règles nationales intangibles depuis des années.

Le ministère de l'intérieur a créé une unité d'appui lors de l'expérimentation, notamment afin de s'assurer que les préfectures concernées avaient bien accès à tous les outils. On a constaté que les préfets étaient assez preneurs de dérogations quand il s'agissait des élus mais beaucoup plus réticents vis-à-vis des entreprises. C'est surtout au sujet de la vie économique qu'il faut continuer à travailler. L'unité d'appui, guichet unique de la simplification, a vocation à permettre aux préfets de connaître la palette d'outils dont ils disposent.

On doit aussi valoriser la prise de risque – la bonne prise de risque – dans les carrières. Tout le monde parle de l'expérimentation mais on n'a jamais réfléchi à ce qu'on doit faire quand elle n'est pas concluante. Il est normal qu'elle marche parfois moins bien que ce qu'on pensait. Comment faire, dans ce cas, pour que des gens ne soient pas mis au rebut ou pénalisés dans leur carrière ? Et quel discours tenir aux élus locaux ? Il faut développer toute une culture.

Que se passe-t-il dans le monde de l'entreprise et des start-up ? Bien que 30 % d'entre elles ne vivent pas plus de trois ans, on les valorise, même quand elles se plantent, car on pense qu'il était utile d'essayer. Les parlementaires ont un rôle important à jouer. Il faut valoriser les expérimentations et, quand elles n'ont pas fonctionné, reconnaître le caractère néanmoins positif de la démarche.

Dernier point, une partie de la décentralisation est analysée uniquement comme une perte car l'État fait moins. Mais c'est parce que d'autres agissent à sa place – ce sont les compétences partagées dont parlait Mme Brugnera. Ce n'est pas parce que les effectifs de l'État sont moins nombreux pour beaucoup d'actions que moins d'agents s'en occupent. Je tiens à votre disposition les mouvements totaux, département par département. S'il y a eu parfois des transferts, les effectifs ont tenu au niveau global. Quand on regarde ce qui s'est passé dans beaucoup de départements, ruraux ou non, on voit que les effectifs totaux des trois versants de la fonction publique ont été stables ou en hausse entre 2010 et 2018. Le taux d'administration n'a pas baissé dans les territoires.

Un tel exercice statistique est parfois complexe car on n'a pas toujours suivi ces éléments en tant que tels. En Dordogne, néanmoins, il y avait 29 000 agents publics en 2010 et il y en a aujourd'hui 31 000 ; en Ariège, on est passé de 12 076 à 12 629. Les effectifs de la fonction publique, d'État, territoriale et hospitalière, sont passés de 5 millions d'agents à 5,2 millions au total, et de 4,895 millions à un peu plus de 5 millions hors outre-mer – les dynamiques y sont parfois différentes.

Le but n'est pas de s'inscrire dans une hausse perpétuelle, mais il faut casser l'idée que l'État serait parti et qu'il aurait laissé les territoires à l'abandon. Le baromètre que je vais publier montre que toutes les politiques publiques sont menées dans tous les territoires. Aucun n'est oublié, négligé. Toutes les données seront disponibles sur le site data.gouv.fr., car la transparence est nécessaire à la confiance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.